Semblable et contraire

L’opposition a contrario vs a pari

Deux topoi antagonistes

D’un point de vue logique, l’argument a contrario s’oppose à l’argument a pari. D’une façon générale, le fait que deux topoï appliqués à une même donnée livrent des conclusions contradictoires correspond à une situation banale en argumentation. Considérons la relation père / fils ; on reconnaît telle qualité au père. Que peut-on en conclure pour le fils ?

— Par le topos de la causalité génétique, le fils hérite de la qualité du père, V. Métonymie :

Tel arbre, tel fruit ; tel père tel fils, les chiens ne font pas des chats, bon sang ne saurait mentir:
Le père est riche financier et le fils habile trader.

— Par le topos des contraires, le fils hérite du défaut, et non pas de la qualité, contraire :

À père avare, fils prodigue, et non pas à père avare fils généreux

L’opposition a contrario / a pari en situation argumentative

.1 Fusionner deux catégories / distinguer deux catégories

La symétrie logique a pari vs a contrario se défait lorsque a pari et a contrario apparaissent sous une question argumentative sérieuse, structurée par l’existence d’une charge de la preuve.

Situation :        Les A et les B reçoivent des traitements différents (S)
Question :       Les A doivent-ils être traités comme les B ?
Proposition :    Oui. Les différences entre les A et les B sont négligeables / non pertinentes pour notre discussion. Les A et les B doivent être traités a pari.
Opposition :      Non. Les différences entre les A et les B sont essentielles / pertinentes pour notre discussion. Les A et les B doivent être traités a contrario.

Dans la situation (S), le proposant se sert de a pari pour défaire l’opposition, alors que l’argument a contrario est l’argument de l’opposant qui soutient le statu quo, avancé par l’opposant.
Le proposant s’attache à minimiser l’opposition, alors que l’opposant la maximise.

Soit une situation où certaines personnes sont traitées comme des égaux en droit alors qu’ils ne le sont pas de fait.
Le proposant prend acte de l’inégalité de fait, considère que la différence de traitement de fait est indéniable, et propose la création d’une nouvelle catégorie, celle des gens qui ne luttent pas à armes égales.
L’opposant cette fois utilisera a pari pour maintenir le statu quo et s’opposer à l’innovation, en minimisant la différence et en disant que la proposition est discriminatoire

Exemple

Soit une phratrie composée de garçons et de filles, deux espèces du genre “adolescent”. Les garçons sont autorisés à sortir le soir, mais pas les filles. Considérons la situation où cette interdiction de sortir le soir pèse aux filles. Elles peuvent argumenter de multiples façons, par exemple par les conséquences positives qu’auront les sorties nocturnes sur la formation de leur conscience sociale, V. Pragmatique. Elles peuvent également observer que leurs frères sortent, et utiliser un elliptique a pari :

F : — Les garçons sortent bien tous les soirs !

L’ontologie des filles est la suivante :

Genre : adolescent, enfant d’une même famille…
Espèces : {garçon, fille}
“Sortir le soir” est une propriété attachée au genre adolescent, (non pas à l’espèce garçon)
Toutes les espèces peuvent donc s’en réclamer.

Sans surprise, certains parents répondent a contrario :

P : — Oui, mais vous, vous êtes des filles !

Leur ontologie est la suivante :

Genre : adolescent
Espèces : {garçon, fille}
Différence : masculin / féminin ; la différence de genre est construite comme spécifique.

Par une argumentation par la définition, “sortir le soir” apparaît comme une licence attachée à l’espèce “garçon”, elle fait partie de sa définition. La propriété ne peut être transférée, car elle est une différence liée à l’espèce en tant que telle. L’argumentation a pari fondée sur le genre commun est donc bloquée.

Si a contrario radicalise les oppositions catégorielles, a pari les efface. Il y a donc une solution pour les filles: il leur suffit d’effacer la différence, et de reconstruire sous le genre une catégorie unique, qui permettra de revendiquer l’application de la règle de justice, et pour cela elles doivent :

(i) Construire une nouvelle catégorie, “comme les garçons”, en agissant sur deux fronts.

— Maximiser les activités communes aux garçons et aux filles :

Les garçons et les filles reçoivent la même éducation ; ils et elles ont accès aux mêmes médias ; ils et elles font du judo ; l’école a les mêmes exigences vis-à-vis d’eux et d’elles ; ils et elles partagent les mêmes tâches à la maison et se préparent aux mêmes professions…

— Réduire la différence :

Quand je sors, je suis un garçon” : La question d’être un garçon ou une fille n’est pas un fait biologique, mais un choix d’identité personnelle, qui ne peut (donc) pas motiver une telle interdiction.

(ii) Raisonner par la définition dans cette nouvelle catégorie. La différence, qui à l’intérieur d’un même genre, en séparait les espèces et permettait le fonctionnement de a contrario, est annulée par la création de cette nouvelle catégorie, où la différence biologique est considérée comme socialement non pertinente.