Absurde

  • Lat.  absurdus, « qui a un son faux, qui détonne […] qui jure, qui ne convient pas […]. [En parlant des idées, des paroles, etc.] absurde, saugrenu. » (Gaffiot).
    On trouve les étiquettes argument ad absurdum, ab absurdo, ex absurdo. On parle également de reductio ad absurdum, “réduction à l’absurde”, sous différentes formes : réduction à l’impossible (reductio ad impossibile), au faux (reductio ad falsum), au ridicule (reductio ad ridiculum), à l’indésirable (reductio ad incommodum).

1. Le schème argumentatif

L’argumentation par l’absurde repose sur la mise en contradiction de deux jugements. L’opération générale de réduction à l’absurde correspond au mécanisme suivant :

— On part d’une proposition (d’une hypothèse)
— On en déduit des conséquences, quelles qu’elles soient, causales ou logiques
— On constate qu’une de ces conséquences est “absurde”, pour une raison quelconque.
— On rejette la proposition (l’hypothèse) de départ.

La démonstration par l’absurde fournit une preuve indirecte, renvoyant à une famille d’arguments qui conclut au rejet d’une proposition sur la base des conséquences insoutenables qu’entraînerait son adoption.

2. Variétés de l’absurde

Il y a autant de formes de réduction à l’absurde, que de modes de déduction et de raisons de trouver inadmissible une conséquence. Le terme général “absurde” peut ainsi s’appliquer à une conséquence :

Absurde logico-mathématique
On voit clairement la variété et la diversité de ce qu’on appelle absurde en argumentation en contrastant ces formes avec la démonstration mathématique par l’absurde, où “absurde” signifie contradictoire, voir infra.

Absurde sémantique
Les conséquences dérivées analytiquement, à partir du sens même d’une expression, aboutissent à une contradiction sémantique, V. Contraires ; Conséquence.

Absurde parce que non ratifié par l’expérience
Dans le domaine physique et de l’expérience naturelle, les effets prévus par l’hypothèse ne sont pas attestés, V. Causalité.

Dès que l’on passe du lien causal scientifiquement établi au “roman causal” tel qu’il est utilisé par exemple dans l’argumentation pragmatique, la personne intervient par le biais des valeurs en fonction desquelles elle évalue des conséquences comme positives ou négatives. Une conséquence est alors dite absurde parce que :

Absurde parce que contraire aux buts poursuivis
Les effets de l’action proposée sont pervers, la mesure est contre-productive, contraire à des intérêts très divers, V. Pragmatique.

Absurde parce que contraire aux valeurs du groupe ou du locuteur.
La conclusion proposée est inacceptable du point de vue la loi, de la morale sociale, du bon sens, ou des valeurs spécifiques poursuivies par le locuteur V. Apagogique ; Ad incommodum

L’argumentation par l’absurde se rapproche alors de l’argumentation pathétique.

L’argumentation par l’absurde n’est pas une argumentation par l’ignorance. L’argumentation par l’ignorance affirme que P est vraie parce qu’on a échoué à démontrer non-P. L’argumentation par l’absurde affirme que P est vraie parce qu’on a démontré que la proposition non P est fausse, et que, de P ou de sa contradictoire non-P, une seule peut être vraie. Cette démarche correspond à une argumentation au cas par cas dans une situation où le nombre de cas est réduit à deux : la proposition est vraie ou sa contradictoire est vraie ; or la contradictoire est fausse.

La réfutation pragmatique par les conséquences négatives s’oppose à une mesure en montrant qu’elle aura des conséquences négatives imprévues par celui qui la propose et que ces inconvénients l’emporte sur tout avantage éventuel. Le caractère absurde de la proposition réfutée est renforcé si on montre qu’elle aura des effets diamétralement opposés à ceux qu’elle se propose, et qu’elle augmentera en fait le mal qu’elle est supposée combattre.

3. Démonstration par l’absurde

En mathématique, la démonstration par l’absurde repose sur le principe du tiers exclu, selon lequel on a nécessairement “A ou non A” (ou exclusif).
Il s’agit de déterminer la vérité ou la fausseté d’une proposition A.  Le raisonnement s’effectue à partir de sa contradictoire, non A, que l’on admet provisoirement. On en déduit les conséquences, jusqu’au moment où on est conduit à affirmer A. On affirme donc “A et non A”, ce qui enfreint le principe de contradiction. On conclut que non A et que A est nécessairement vraie.
Dans le langage de l’implication, on est dans une situation où “A non A”. Cette implication n’est vraie que si A est faux, selon le principe “du faux on peut déduire n’importe quoi”.

On démontre ainsi par l’absurde que “la racine carrée de 2 (le nombre dont le carré est 2, noté √2) n’est pas un nombre rationnel” (proposition A).

Hypothèse : Le nombre correspondant à √2 est rationnel (proposition non A).

— Par définition, un nombre rationnel peut s’écrire sous la forme d’une fraction p/q, où p et q sont premiers entre eux (n’admettent que 1 comme diviseur commun).

√2 = p/q donc p2 = 2q2 ; donc p2 est pair
or on sait que si le carré est pair, la racine est paire
donc p est pair.

— Si le carré de p est pair, il peut s’écrire : p = 2k, et son carré p2 = 4k2.

or p2 = 2q2 (voir supra)
donc 2q2 = 4k2 et q2 = 2k2

donc le carré de q est pair
donc q est pair.

— p et q sont pairs ; donc ils admettent 2 pour diviseur commun, ce qui est contradictoire avec l’hypothèse de départ.

Conclusion : l’hypothèse exprimée en (1) est fausse, et, en vertu du principe du tiers exclu, “√2 n’est pas un nombre rationnel” (proposition A).

La démonstration par l’absurde est une façon indirecte de démontrer une proposition : on n’a pas démontré que A est vraie, mais seulement que sa contradictoire est fausse.

Ce mode de raisonnement n’est pas admis par tous les spécialistes : «si les mathématiciens classiques tiennent pour valide la preuve par l’absurde, les intuitionnistes la récusent : pour démontrer a, disent-ils, il ne suffit pas d’établir que non-(non-a) » (Vax 1982, Absurde).
On voit qu’on peut discuter du caractère démonstratif d’une démonstration.