Analogie (2): Le mot et les concepts

Les dictionnaires de langue définissent l’analogie comme un rapport, une similitude, une ressemblance c’est-à-dire par ses trois premiers synonymes (DES, Analogie). L’analogie est une identité partielle, une proportion existant entre des choses, ou « des réalités différentes » (TLFi, Analogie) ; l’existence d’une relation d’analogie est établie au moyen d’une comparaison qui dégage des traits communs entre les objets ou les réalités considérées (Littré, TLFi, Analogie).

1. Repérer les analogies

1.1 L’analogie marquée

L’analogie peut être marquée par un ensemble ouvert de termes, qui englobe les mots de liaison, V. Connecteur, ainsi que des mots sémantiquement pleins, substantifs et verbes (Eemeren et al. éd. 2007 ; Snoeck Henkemans 2003), V. Balisage.

Substantifs — Le substantif analogie est plus ou moins synonyme de :

affinité, allégorie, association, concordance, convenance, évocation, homologie, harmonie, image, métaphore, parenté, parallèle, précédent, proportion, relation, ressemblance, suggestion, symbole…

L’occurrence d’un de ces termes ne suppose pas forcément qu’il y ait une analogie dans les parages, mais ils fonctionnent dans des discours exploitant ou établissant une analogie. Ils ne disent pas “il y a une analogie, à vous de la trouver” mais “voyez s’il n’y aurait pas une analogie”. Ce sont des termes à fonction heuristique.

Marque prédicative — Certains prédicats sont des connecteurs d’analogie. L’analogie est définie comme le lien existant entre les actants sujets et objets de prédicats comme les suivants :

X a des rapports avec, ressemble à, rappelle, fait penser à, correspond à… Y ;
A est à B ce que C est à ;
X est comme, du même genre que, le même que, pareil à… Y.

Le sens du prédicat peut être fourni par un substantif de la classe synonymique de analogie, ou par l’adjectif correspondant :

X est en concordance, harmonie, a des rapports… avec Y ;
X est comparable, analogue, semblable, similaire, identique, parallèle, équivalent, homologue… à Y.

Relations interphrastiques — Les constructions dites subordonnées comparatives couvrent des relations allant de la comparaison à l’analogie. Lorsque la construction met en jeu un terme comparé X et un terme comparant Y, l’un et l’autre étant susceptibles de recevoir le même prédicat graduable M, on a une analogie de comparaison : “X est aussi M que Y” : Pierre est aussi beau que Paul.
La comparaison peut jouer sur la position respective des deux termes relativement à deux prédicats graduables, M et N :

X est aussi M que Y est N” : Pierre est aussi paresseux que Paul est travailleur.

La construction dite comparative peut correspondre à une analogie structurelle :

P0 comme, ainsi (que), de même que, plus /moins /aussi que, de la même façon que, … P1
P0, et mutatis mutandis, P1

Un énoncé marqué par un adverbe peut être mis en relation d’analogie avec tout un discours antérieur D0 :

D0. De même, même chose, également … pareil, idem pour… P1

D’une façon générale, les indicateurs d’analogie ne font qu’inciter au travail interprétatif dans le sens de l’analogie ; ce sont des indices d’analogie. Même comme n’est pas un indicateur univoque d’analogie. Au sens de alors que, il dénote une relation de simultanéité temporelle :

Comme je descendais, j’ai croisé Pierre.

Au sens de puisque, il articule une relation causale :

Comme Pierre est malin, il verra tout de suite le piège.

Les indicateurs fonctionnent après coup ; ce n’est que quand on a bien saisi l’analogie qu’on est à même d’interpréter correctement tel morphème ou telle construction comme un indicateur, une balise, un signal, un indice d’analogie.

1.2 L’analogie transcende les indicateurs

L’analogie peut être exprimée dans des énoncés métaphoriques de la forme “A est B” :

Metaphor is the dreamwork of language (D. Davidson)

Elle peut également l’être par des énoncés mis en parallèle, sans aucun mot indicateur :

Au football, on joue l’adversaire ou le ballon, parfois les deux. En argumentation, on se focalise sur l’objet du débat ou sur la relation aux opposants.

1.3 Le mot analogie comme terme couvrant

Si l’on met à part la question mathématisable de la proportion, la définition du mot analogie se fait au travers des trois substantifs similitude, ressemblance, comparaison. Faut-il faire correspondre un concept spécifique à chacun de ces trois mots ? La réponse à cette question doit tenir compte de la structure des familles dérivationnelles auxquelles ces mots appartiennent. Les données sémantico-lexicales s’organisent selon le tableau suivant :

La série comprend deux verbes, (se) ressembler et comparer ; on peut considérer que (ne pas) ressembler est le résultatif de comparer :

H (agent humain) compare A et B ; après examen, il conclut que :
A et B (ne) se ressemblent (pas), A (ne) ressemble (pas) à B.

Les substantifs et les adjectifs s’alignent sur le verbe (se) ressembler :

Il existe une analogie, similitude, ressemblance (*comparaison) … entre A et B.
A est semblable, ressemblant, similaire, analogue, comparable… à B.
A et B sont semblables, ressemblants, similaires, analogues, comparables.
<=> A et B se ressemblent.

Cette contrainte a pour effet de faire des adjectifs ressemblant, semblable, similaire, analogue des quasi-synonymes, ainsi que les trois substantifs dérivés ressemblance, similarité, similitude. Ces données conduisent à faire de la paire {analogie, ressembler} les termes pivots (termes couvrants) du discours sur l’analogie.
On fait généralement correspondre une notion à un terme substantif ; en fait la notion se dit sous diverses formes lexicales, verbe, adjectif ou substantif ; or il se trouve que le substantif analogie n’a pas de verbe correspondant, le concept doit trouver son verbe ailleurs : ce sera ressembler.

Métaphore, comparaison, proportion, similitude… exploitent l’analogie, sous différentes formes et définitions.

2. Explication des analogies

L’analogie comme parenté ou identité de forme (isomorphisme) demande à être expliquée ; pour cela, on a invoqué :

La cohérence de la création divine, V. Analogie (I).

— L’imitation d’un modèle :

B imite A <=> B ressemble à A.
S’il y a des analogies entre la Grèce et Rome, c’est parce que Rome a imité la Grèce. (D’après Paul Veyne).

 L’empreinte de sa cause : A crée, engendre, produit, cause… B <=>B ressemble à A.

— L’œuvre d’un même producteur :

Les pyramides aztèques et mayas font partie des grandes merveilles de L’Humanité. Qui a bien pu les construire ? Certainement pas ces pauvres indiens qui vivent à leur ombre. Des extra-terrestres ? L’hypothèse n’est pas sérieuse non plus. Mais ces pyramides font penser aux pyramides égyptiennes… Bon sang, mais c’est bien sûr : c’est donc qu’en des temps immémoriaux, bien avant Christophe Colomb, de hardis navigateurs égyptiens ont franchi l’Atlantique et sont venus s’installer au Mexique.

3. Formes argumentatives exploitant l’analogie

Avec la causalité et la catégorisation – définition, l’analogie est une ressource argumentative majeure, permettant d’associer êtres et objets. L’analogie au sens large est une notion pivot par rapport à laquelle se définissent une dizaine d’étiquettes d’arguments, parfois redondantes.
Les principales formes d’analogie exploitées en argumentation sous l’étiquette  argument par analogie (per analogiam) sont les suivantes.

L’analogie catégorielle est celle qui existe entre deux êtres qui entrent dans une même catégorie, et qui entre dans les argumentations a pari et par la définition

— L’argument a pari (a simili)

L’exemple. On distinguera le sens d’exemple comme spécimen et exemple comme modèle à suivre ou à ne pas suivre, et mettant en jeu un précédent (réel ou fabuleux), un parangon, V. Exemplum ; Ab exemplo ; Imitation.

—­ Le précédent.

La comparaison, a comparatione.

— L’analogie de proportion (ou analogie de relation) est définie comme une analogie entre deux relations, chacune d’elle unissant deux êtres. Elle met donc en jeu quatre termes.

L’analogie structurelle (ou analogie de forme, isomorphisme) est celle qui existe entre deux systèmes complexes partageant une même structure. L’analogie structurelle repose sur la mise en relation d’un nombre a priori indéfini d’éléments et de types de relations susceptibles de les unir.

La métaphore repose sur un mécanisme d’analogie. La métaphore filée est une forme d’analogie structurelle. La métaphore simple est un processus de recatégorisation, qui pousse l’analogie jusqu’à l’identité.