Raisonnement hypothétique — R. contre-factuel

1. Syllogisme hypothétique

Un syllogisme hypothétique ou (syllogisme conditionnel) est un syllogisme dont une ou deux prémisses a/ont la forme d’une implication (“—>”, “si … alors …”), V. Connecteur logique, §6.2.

En mathématique, « un axiome est une proposition non démontrée, utilisée comme fondement d’un raisonnement ou d’une théorie mathématique” (Wikipedia, Axiome). L’axiome n’est pas forcément évident (n’est pas une vérité évidente).
On distingue les axiomes au fondement d’une théorie et les hypothèses constituant l’énoncé d’un problème particulier (“Soit un triangle …) V. Démonstration.

2. Constructions conditionnelles dans le langage ordinaire

Le raisonnement conditionnel  (hypothétique) en langue ordinaire correspond aux constructions suivantes, liées à une forme expression ramenable à la forme typique “si … alors ” :

“Si on prend les routes de montagne, il faut plus de 3 heures pour arriver”  (L)
La même loi peut être exprimée par les formes suivantes :
— une structure “quand … alors …”,
— une juxtaposition : tu passes par la montagne, tu mets trois heures,
— une relative : celui qui passe par la montagne met trois heures,
— une construction participiale : en passant par la montagne, il faut trois heures
— par la mention “Faisons l’hypothèse, supposons que…

Si Pierre prend —,      il lui faudra plus de trois heures pour arriver              (1)
S’il prenait —,              il lui faudrait —                                                                  (2)
S’il a pris —,                 il lui faudra —                                                                     (3)
S’il avait pris —,           il lui aurait fallu —                                                             (4)

Le locuteur raisonne à propos d’une personne et d’un voyage que cette personne peut réaliser soit, première  hypothèse qui place le locuteur dans le monde M1, en prenant par les routes de montagne soit, seconde hypothèse (monde M2) par une autre route. Il en tire des conséquences qui valent dans le monde considéré, au moyen de la loi empirique (L).

(1) et (2) appliquent cette loi à la situation S1 où, au moment de l’énonciation, le locuteur :

      • Sait ou croit savoir que Pierre n’est pas parti.
      • Ne sait pas si Pierre a l’intention de prendre / prendra ou non par la montagne.

(3) applique cette loi à la situation S2 où,  au moment de l’énonciation, le locuteur :

      • Sait ou croit savoir que Pierre est parti.
      • Ne sait pas si Pierre a pris par la montagne ou non

(5) applique cette loi à la situation S3 où, au moment de l’énonciation, le locuteur :

      • Sait ou croit savoir que Pierre est parti.
      • Sait que Pierre n’a pas pris par la montagne.

L’assertion conditionnelle (5), exprime l’irréel du passé qui oppose au monde réel un monde alternatif ou contre-factuel.

3. L’argumentation dans un monde possible

Les informations peuvent être vraies, possibles ou fausses. Ces informations sont mélangées de façon indistinguable  dans le monde du mensonge et de la manipulation.
Le monde fictionnel est un monde possible, qu’on sait distinct du monde réel existant ou ayant existé. La collection éditoriale dans laquelle un livre est publié marque le monde dont il est question comme un monde fictionnel.

Un monde possible est un monde où se mélangent informations vraies, possibles et fausses.
Le monde possible n’est pas manipulatoire dans la mesure où il est possible de trier le réel, le possible (hypothèse) et le faux, car ils sont marqués comme tels

Rien ne limite les développements possibles du raisonnement hypothétique dans un monde mathématique ou de l’argumentation dans un monde possible.

Dans l’argumentation conditionnelle, les formes d’argumentation sont les mêmes que dans l’argumentation dans le monde réel,

L’argumentation conditionnelle n’est pas un type d’argument comme l’argumentation causale, mais une argumentation qui se développe à partir d’une prémisse dont on ne dit pas qu’elle est vraie comme le monde réel, mais qu’elle est possible dans un monde possible, ou même fausse dans un monde contre-factuel (§3.2).

La constructions hypothétique simple pose l’existence d’un monde possible ayant telle et telle caractéristique, et en tire une conséquence valable dans ce monde.

(1b) … Il est 6h (I1), et nous devons être au restaurant à 8h (I2). Soit il passe par la plaine, et il sera là vers 8h. soit nous devons annuler le restaurant.

Dans (1b) le locuteur se situe dans le monde (M1) où “Pierre prend par la montagne”, il l’enrichit de deux nouvelles informations partagées (I1) et (I2), introduit un nouveau monde possible où “Pierre prend par la plaine” (M2), se livre à un petit calcul “6 +3+ = 9+”, sous-entend une argumentation par les conséquences négatives (le restaurant n’acceptera plus de commencer à servir à 9h) et replanifie la soirée en conséquence.

4. Raisonnement dans un monde contre-factuel

Soit le fait avéré :

Pierre est parmi les victimes de l’attentat.

Ce fait entre dans une narration qui reprend les derniers moments de la vie de Pierre.

Avant de se coucher, il a eu  envie d’une cigarette, mais il n’en avait plus. Le bureau de tabac en bas de chez nous était fermé, comme tous les dimanches soir.  il m’a dit que, comme il faisait bon, allait au drugstore. Et il est mort dans l’attentat.

Cette situation qui aboutit à un fait tragique est propice à la reconstruction du passé. On imagine un monde où les choses se sont passées autrement, par exemple, en imaginant un événement qui brise la chaîne causale qui a conduit à la catastrophe :

Si Pierre avait pu arrêter de fumer, si le bureau de tabac avait été ouvert… alors il serait toujours en vie.

La construction contre-factuelle permet de construire des mondes fictionnels à partir du point où ils dévient du monde réel :

Énoncé factuellement vrai : Les États-Unis ont vaincu le Japon et l’Allemagne en 1945

Énoncé contre-factuel (faux) correspondant :
Le Japon et l’Allemagne [ont] vaincu les États-Unis en 1945

Développement du monde contre-factuel :
Si le Japon et l’Allemagne avaient vaincu les États-Unis en 1945 …

Les situation contre-factuelles peuvent se développer en fictions complexes : voir par exemple, à propos de la situation précédente, Philip K Dick, Le Maître du haut château, 1970 [1] 

5. L’argumentation dans l’expériences de pensée

Les situations contre-factuelles peuvent également se développer sur le mode de l’expérience de pensée, dont la finalité est entièrement de prouver une thèse.


[1] J’ai lu, 1970. Trad. de l’anglais, The Man in the High Castle 1962.