Auto-réfutation

Tout comme une assertion peut s’auto-argumenter, elle peut s’autodétruire si elle exprime un paradoxe ou si elle mène à une contradiction entre ce qui est dit et l’acte de le dire ou les circonstances du dire. À la différence de l’auto-argumentation, l’autodestruction n’est pas spontanée mais demande l’intervention d’un tiers

Selon Perelman & Olbrechts-Tyteca il y a autophagie lorsque :

L’affirmation d’une règle est incompatible avec les conditions ou les conséquences de son assertion ou de son application : on peut qualifier ces arguments d’autophagie. La rétorsion est l’argument qui attaque la règle en mettant l’autophagie en évidence. […] l’action implique ce que les paroles nient
Perelman 1977, p. 83-84

La règle peut avoir la forme d’un énoncé général. Le paradoxe peut être affirmé comme tel, c’est le cas du Crétois Épiménide affirmant que “tous les Crétoissont menteurs”.
La rétorsion ne s’applique que si l’affirmation a été donnée comme vraie, et non pas comme paradoxale :

L1 : — Toutes les affirmations peuvent être mises en doute.
L2 : — Je mets en doute cette affirmation.

Un homme est accusé d’avoir commis un vol la nuit dans un parc de Vienne. L’accusé clame son innocence, et l’on n’a retrouvé aucune trace du portefeuille volé, ni d’indice de la culpabilité de l’accusé qui avait simplement eu la mauvaise idée de se trouver dans le parc ce soir là.

À bout d’arguments, le procureur s’exclame : “Pourquoi l’accusé se serait-il rendu la nuit dans ce parc sinon pour voler ? Personne ne se promène la nuit dans ce parc, à moins qu’il n’ait l’intention de commettre un vol.” À quoi l’avocat répondit en démontrant le caractère irrationnel de ces propos : “Si les voleurs sont les seuls à se rendre dans ce parc la nuit, quelle raison un voleur aurait-il d’y aller à un moment où il serait sûr de n’y rencontrer que des collègues ? »
Thérèse Delpech, L’appel de l’ombre. Puissance de l’irrationnel, 2002[1]

Ce mode de réfutation, connu sous le nom d’épitrope, est utilisé par Socrate pour réfuter la thèse de Protagoras selon laquelle :

L’homme, est la mesure de toutes choses, de l’existence de celles qui existent, et de la non-existence de celles qui n’existent pas.
Platon, Thééthète, 152a[2]

Cette doctrine présente cette caractéristique « plaisante » que si elle est vraie, elle est fausse :

Socrate : — Mais, en second lieu, voici ce qu’il y a de plus plaisant. Protagoras, en reconnaissant que ce qui paraît tel à chacun est, accorde que l’opinion de ceux qui contredisent la sienne, et par laquelle ils croient qu’il se trompe, est vraie.
Théodore : — En effet.
Socrate : — Ne convient-il donc pas que son opinion est fausse, s’il reconnaît pour vraie l’opinion de ceux qui pensent qu’il est dans l’erreur ?
Théodore : — Nécessairement. (Id.)

Cette réfutation exploite le principe de non-contradiction ; pour maintenir la cohérence de son discours, un sceptique devra mettre en doute ce principe.


[1] Paris, Grasset, 2002, p. 105.

[2] Cité d’après http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/theetete2.htm