Autorité

1. Auctoritas, autorité, autoritaire, autorisé

1.1 Auctoritas

Autorité vient du latin auctoritas qui renvoie notamment à l’autorité des juges, des instances judiciaires ; au prestige, à la parole de poids
Auteur vient du latin auctor  est « celui qui augmente la confiance », le garant, le modèle, le maître (d’après Gaffiot, Auctoritas, Auctor)
Ellul décrit comme suit l’exercice institutionnel de l’auctoritas :

L’auctoritas est la qualité de l’auctor. […] L’auctoritas apparaît comme l’autorité d’une personne qui sert de fondement à un acte juridique. Celui-ci n’a de valeur et d’efficacité que par l’auctoritas. […] Le pater donne son auctoritas au mariage de son fils. Dans la vie religieuse, l’auctoritas du prêtre délimite le domaine du sacré, et trace la frontière du profane. Dans la vie juridique, l’auctoritas délimite le domaine du légitime, le sépare de ce qui n’est pas le droit. (Ellul [1961], p. 248-249)

1.2 Mots et concepts contemporains

Les mots
— Les mots latins, dont sont issus les mots français, relèvent tous de ce sens fondationnel d’auctoritas.
— Le français a distendu le lien auteur autorité ; un auteur peut n’avoir aucune autorité, et le détenteur d’une autorité n’est pas forcément un auteur.
Avec autoritaire et autoritarisme, il a développé une ligne lexicale stigmatisant l’autorité.
Le mot autorité a conservé son sens positif (anglais authoritarian / authoritative) dans  l’expression faire autorité, (être) une autorité, autorisé2 “avoir du poids” (vs autorisé1 “permis”)

Le concept d’autorité
Le concept d’autorité est redéfini et discuté dans tous les champs des sciences humaines, en relation avec la soumission et en opposition avec la ou les libertés. Des études majeures sur le thème de l’autorité, du pouvoir et du totalitarisme ont marqué le siècle dernier : en psychologie particulièrement depuis les retentissantes expériences de Stanley Milgram sur la « soumission à l’autorité » (1974) ; en philosophie, avec l’étude de la « personnalité autoritaire » de Theodor Adorno ([1950]), ou l’étude du “système totalitaire” d’Hannah Arendt ([1951], 1972) ; ou en sociologie avec Max Weber ([1921]), dont les distinctions entre les différentes sources d’autorité et de légitimité sont passées dans la pensée commune : autorité traditionnelle, charismatique, et rationnelle-légale.

2. “Faire faire” : l’autorité légale et réglementaires

L’autorité, au sens le plus courant du terme, a pour prétention d’être respectée, c’est-à-dire obéie.

2.1 L’ordre autoritaire

Le principe d’autorité comme “faire faire” veut, sous sa forme radicale, que l’ordre soit obéi en vertu de son origine, sans qu’aucune justification ne l’accompagne nécessairement.

Contexte : L détient le pouvoir et des moyens de coercition, récompense et sanction.
L dit à O de faire F.
O fait F.

L’idéal de l’autorité autoritaire est d’agir causalement sur le comportement d’autrui. Si l’on n’est sensible ni aux bonnes raisons ni au charisme du tyran, il lui reste le recours aux deux célèbres manipules, le châtiment et la récompense.
L’autorité radicale demande que la personne qui reçoit l’ordre obéisse “comme un cadavre” (perinde ac cadaver), selon la métaphore qu’Ignace de Loyola reprend pour illustrer la perfection de la vertu d’obéissance. Pour celui qui n’est pas membre de l’organisation, obéir ainsi c’est se réduire à l’état d’instrument en renonçant à son libre examen et de sa volonté propre. Pour celui qui est membre de l’organisation, c’est simplement faire confiance à la qualité naturelle ou surnaturelle de l’organisation à laquelle il appartient.

À rebours, l’ordre reçu fournit la justification de l’action accomplie : “ j’en ai reçu l’ordre, je n’ai fait qu’obéir”. Cette forme d’autorité est antinomique de la philosophie de l’argumentation qui universalise l’impératif de justification. Selon les conventions internationales des droits de l’homme et la Convention de Genève, l’argument de l’obéissance aux ordres n’est pas recevable sans condition.

2.2 Le jugement justifié

L’autorité légale se démocratise lorsque ses capacités de recours à la force portent sur des objets précis, codifiés et connus (payer ses impôts) et que ses possibilités de sanction sont encadrées par la loi. L’autorité est celle de la norme légale, mise en action dans le système judiciaire pénal ou civil. Son exercice est soutenu par le monopole de la violence légale. Schématiquement :

Contexte : Il existe un système de normes N. Une de ces normes habilite un juge pour faire appliquer ce système et lui attribue les moyens de coercition nécessaires à son application.
La personne P a fait telle action A.
Le juge évalue, dans le cadre d’une procédure organisée selon les prescriptions de N, que P constitue ou non une transgression d’une norme.
Le juge prononce la sentence S enjoignant à P de faire F
P fait P : il verse des dommages et intérêts  à la partie adverse et/ ou exécute une obligation au civil ; verse une amende et / ou va en prison au pénal

L’ordre porte sur une action, non pas sur une croyance. P fait S bon gré, mal gré. Les destinataires des bonnes raisons du juge sont plus les collègues du juge, le procureur ou l’avocat que l’accusé lui-même. Il se peut que ce dernier ait été convaincu de la justesse de son châtiment par les bonnes raisons que lui a données le juge, mais cette condition psychologique n’est pas nécessaire ; P doit seulement se plier à la décision du juge. On ne peut pas demander à tout le monde de partager la théorie du châtiment rédempteur, et de consentir  à sa condamnation, même démocratique.

La vie sociale est également régie par de multiples règlements (règlements des services publics, règlements intérieurs des entreprises…) et statuts (des associations, des sociétés…) qui organisent la vie de ces groupes et auxquels les individus concernés doivent se conformer.
La demande émanant de l’autorité réglementaire ou statutaire disposant d’un certain pouvoir ne peut porter que sur du faire. Si le contrôleur du chemin de fer demande de montrer mon billet,  il faut obtempérer ; son autorité est inscrite dans le règlement de la SNCF.
Cette transaction banale est un cas typique illustrant la forme fondamentale que prend l’argumentation par l’autorité dans nos sociétés.

Les autorités légales et réglementaires sont tenues de motiver leurs jugements :

L’obligation de motivation de sa décision oblige le juge au raisonnement juridique, c’est-à-dire à la confrontation de la règle de droit applicable avec les faits de l’espèce. [1]

La technique de raisonnement utilisée fait l’objet de la logique juridique, et ses principaux moyens argumentatifs sont résumés dans les topiques juridiques.

3. “Faire croire” : Formes d’autorité liées à la parole

3.1 L’auctoritas performative

Le locuteur détient une forme unique d’autorité, l’auctoritas liée à la performativité de  différentes classes d’énoncés. D’après Austin [1962], l’énoncé performatif est producteur de la réalité qu’il énonce : on promet en disant “ je promets” ; le locuteur est à la lettre auctor de la réalité qu’il crée, c’est-à-dire de sa promesse.

3.2 “Faire croire” par la parole

On n’a pas ordinairement besoin d’argumenter pour faire croire quelque chose, il suffit de  le dire. Le locuteur est ordinairement cru sur sa parole. Si l’on demande “Quelle heure est-il ?” on accepte la réponse sans chercher à consulter directement la montre de l’interlocuteur.
Les affirmations portant sur des états intérieurs (“Je me sens en pleine forme aujourd’hui”) sont, par défaut, reçues sans problème, de même que les affirmations des personnes bien placées pour voir (témoins) ou pour savoir (experts).
Si avoir de l’autorité signifie “avoir le pouvoir de faire partager à autrui ses représentations”, on a là les formes d’autorité les plus spécifiquement associées à l’activité linguistique ordinaire. Elles sont liée à la notion de préférence pour l’accord.
Néanmoins, la préférence pour l’accord n’est qu’une tendance ; les destinataires sont couramment en désaccord, et la capacité de d’affirmer son désaccord est une capacité argumentative fondamentale, V. Modestie.

Cette autorité attachée à l’exercice même du langage se combine avec d’autres autorités attribuées au locuteur en fonction des différentes identités et rôles sociaux qu’il joue. Ces identités et rôles convergent vers l’autorité manifestée du locuteur, par son éthos.
En situation argumentative, le locuteur peut anticiper les réticences du locuteur, et, par une sorte de prolepse, soigner son éthos, en se décrivant et en se montrant comme une autorité. Il renforce ainsi, par des méthodes rhétoriques, la tendance naturelle à l’accord.
Cette autorité éthotique est auto-fondée : “Vous pouvez croire ce que je dis parce que c’est moi qui vous le dit et je sais de quoi je parle”.

4. L’argument d’autorité

4.1 L‘autorité citée

De l’éthos à l’argument d’autorité
D’une façon générale, l’argument d’autorité consiste à justifier un discours par la qualité de la personne qui tient ce discours, c’est-à-dire par la qualité de son énonciateur.
Cet énonciateur peut être le locuteur lui-même qui exhibe son autorité éthotique, mais les manœuvres éthotiques ne sont pas forcément suffisantes pour forcer l’accord, ce qui ouvre une situation argumentative.
Le locuteur peut alors faire appel à des arguments de n’importe quel type, en particulier des arguments d’autorité. Comme son autorité éthotique n’a pas été suffisante, l’énonciateur garant du discours est un “ tiers énonciateur”, une autorité citée par le locuteur. Cette source extérieure est tenue pour légitimante (autorisée, authoritative).
Il y a alors hétérogénéité des sources énonciatives, et non plus homogénéité, comme dans le cas de l’autorité éthotique.

L’étude technique de cette dernière forme d’argumentation s’inscrit dans le cadre plus général de la reprise discursive.

L’argument d’autorité
L’argument d’autorité classique exploite une des sources de l’autorité ; il repose sur un mécanisme de citation. Il se schématise simplement sous la forme suivante (voir Hamblin 1970, p. 224 sqq.) :

L : — A est une autorité, A dit que P ; donc P est vrai / donc je fais comme ça.
L : — A dit que P

Dire que A est une autorité, c’est dire qu’il est un expert dans un domaine de savoir ou une pratique : une autorité en matière de football, de vin, une autorité en virologie.
La discussion en cours se rattache au domaine d’expertise de A, L lui-même défend une position coorientée avec P, mais il a moins d’autorité que L dans le domaine concerné.

L’exemple prototypique fondant cette catégorie est celui de Pythagore cité par ses disciples : il l’a dit lui-même” (“ipse dixit !”) donc c’est vrai.
Pythagore n’est pour rien dans l’affaire ; c’est le locuteur qui use de lui comme d’une autorité.

L’autorité peut également justifier des façons de faire comme des croyances, ou combiner les deux :

L : — Le Maître a dit que la pitié est un vice.
L : — C’est comme ça qu’on tient sa fourchette, à Paris.
L : — Je ne donne jamais d’argent aux SDF, j’ai vu sur internet que ça ne leur rendait pas service.

La philosophie de l’argumentation privilégie un idéal d’exposition à la réfutation (Toulmin) : cette exigence est parfaitement satisfaite par l’argumenter d’autorité, puisqu’on sait exactement qui a dit quoi.

Retentissement éthotique de l’argument d’autorité

Le locuteur peut procéder par allusions connotant un discours “autorisé”, dominant, prestigieux ou expert. Si j’insère dans mes paroles les expressions “ formation discursive”, “appareil idéologique d’état” ; “grand Autre”… je laisse entendre mes accointances, ou ma connivence, avec, respectivement, la pensée de Foucault, d’Althusser, de Lacan, etc.
Citer directement ou par allusion une autorité prestigieuse renforce l’éthos du locuteur ; c’est parler par la voix du Maître, faire entendre Sa voix, donc, en fin de compte s’identifier à Lui et recadrer l’échange en conséquence.
Cet enfouissement de l’autorité dans le discours (présupposition, implicitation, moyens para-verbaux), la dérobe à la réfutation.

4.2 Qu’est-ce qu’une autorité ? Le magasin des autorités traditionnelles

L’autorité est au fondement du topos n° 11 de la Rhétorique d’Aristote qui définit sa force comme

[celle du] jugement antérieur prononcé sur la même question, une question semblable ou une question contraire, surtout s’il émane de tout le monde et à toutes les époques, à défaut s’il émane au moins de la majorité, ou des sages — tous ou la plupart —, ou d’hommes de bien ; ou encore des juges de l’affaire eux-mêmes ou de ceux dont les juges admettent l’opinion ou de ceux dont il n’est pas possible de contredire le jugement, par exemple ceux qui ont pouvoir sur nous, ou de ceux dont il n’est pas beau de contredire le jugement, tels les dieux, notre père ou nos maîtres. (Rhét., II, 23, 1398b15-30 ; trad. Chiron, p. 388)

On remarque que le sens du mot jugement évolue au fil des exemples du jugement intellectuel jusqu’au jugement judiciaire.
Sur cette base, les rhétoriques ultérieures énumèrent les autorités susceptibles d’être appelées à la rescousse pour affermir la position d’une partie. Dans le domaine judiciaire, la rhétorique À Herennius propose dix « formules » (topoï) pour « amplifier l’accusation »:

La première est tirée « de l’autorité, quand nous rappelons que l’intérêt les dieux immortels, nos ancêtres, les rois, les cités, les nations, les hommes les plus sages, le sénat, ont pris à la chose – et surtout quelle sanction a été prévue par les lois en ces matières. (À Her., II, 48 ; p.81).

Il s’agit d’autorités susceptibles d’appuyer toute forme de discours, bien distinctes du précédent judiciaire.

L’époque moderne accorde une grande importance à l’autorité des experts et des spécialistes, mais le magasin traditionnel des autorités est largement repris, avec quelques ajustements :

— Autorité des Livres, de la tradition, des ancêtres (ad antiquitatem). On oppose à cette forme d’autorité l’argument du progrès.
— — des  vers célèbres, des proverbes, des exemples, des exempla, des fables, des paraboles.
— — des Américains, des Chinois… (en tant que tels)
— — des médias, des professionnels, de savants, des professeurs…
— — des enfants et des vérités qui sortent de leur bouche, des riches, des pauvres, des paysans du Danube… V. Richesse et pauvreté
— — grand nombre, prestige du consensus majoritaire, d’un groupe particulier… V. Consensus ; Doxa

Ces formes d’autorité sont cumulables : l’autorité scientifique du Maître est parfois mâtinée de l’autorité charismatique du gourou.

Toutes ces variétés d’autorité peuvent être citées ; certaines peuvent être en outre incarnées par le locuteur se mettant en scène comme un Chinois, un expert, un pauvre, un membre d’une communauté éminente, etc.

5. Évaluer et critiquer l’autorité experte

D’un point de vue logico-scientifique, un discours est recevable s’il recueille et articule, selon des procédures admises dans la communauté concernée, des propositions vraies, pour en déduire une proposition nouvelle, vraie et intéressante.
L’acceptation d’un point de vue est fondée sur l’autorité si elle repose non pas sur l’examen de la conformité de l’énoncé aux choses elles-mêmes, mais sur la confiance accordée à la source et au canal par lesquels l’information a été produite et reçue. L’argument d’autorité correspond à la substitution d’une preuve périphérique, indirecte, à la preuve ou à l’examen directs, considérés comme inaccessibles, trop coûteux ou trop fatigants.
Néanmoins, son usage se justifie quotidiennement par un principe d’économie, de division du travail, ou par un effet de position. Il fonctionne très bien, très rationnellement, comme argument par défaut, révisable lorsqu’on aura accès à de plus amples informations.
L’autorité ne soustrait rien ni personne à la contestation, elle établit simplement l’existence d’une présomption transférant la charge de la preuve à la personne qui la conteste, V. Dialectique.

L’argument d’autorité sous sa forme classique est donc bien une forme d’argumentation recommandable, car il expose l’autorité dont il se réclame. On peut opposer l’étayage autoritaire, de l’énoncé autoritaire, soutenu par la position socio-discursive du locuteur, et argument d’autorité, hétéro-fondé, où l’autorité est clairement thématisée.
Autrement dit, l’argument d’autorité n’est ni autoritaire ni fallacieux s’il est invoqué pour ouvrir le débat, mais il le devient s’il prétend le clore.

La méthode des contre-discours fournit un principe d’évaluation et de critique des arguments d’autorité. L’argument d’autorité “L: — A dit que C” est vulnérable à des contre-discours visant soit la citation C en tant que telle, soit la qualité d’expert de A.

5.1 Réfutation de l’argument d’autorité

Contre la citation elle-même

L : — A dit que P

La réfutation remet en cause le fait que A ait dit P, la citation en tant que telle ou la pertinence de la citation dans le cadre de la discussion actuelle. Cette démarche préserve le statut de A en tant qu’autorité.

A n’a jamais dit P ; P n’est pas conforme à la lettre de ce que A a réellement dit.
P est une citation tronquée, coupée de son contexte, V. Circonstances.
P est une paraphrase contenant des éléments malicieux de reformulation et de réorientation, V. Reprise
— Quoique matériellement exacte, la citation P a été mal interprétée par L. Dans le sens où l’entendait A, P n’est pas pertinent pour la présente discussion.

L’argumentation par autorité exploite une autorité, et cette ligne critique regarde si cette exploitation est correcte, en vérifiant que la citation proposée est recevable. Elle laisse intact le statut de A comme une autorité

Contre la qualité de la personne citée comme une autorité

— Retournement de l’autorité : A a évolué sur ce point ; ses déclarations et ses résultats plus récents ne vont pas dans le même sens.
On ne dispose d’aucune preuve directe de P , il n’y a donc pas d’authentiques expert dans ce domaine, ni A ni qui que ce soit d’autre.
— Par application de l’argument ad hominem : P est peu compatible, voire contradictoire avec d’autres affirmations (ou prescriptions) de A ; A s’est contredit sur ce point.
Il n’y a pas consensus parmi les experts.
A a parlé hors de son domaine de compétences ; il n’est pas expert dans le domaine précis dont relèvent les prises de position du type P.
A n’est pas un vrai expert, A est dépassé, il se trompe, il s’est souvent trompé.
A il est intéressé, manipulé, vendu : A est payé pour dire ce qu’il dit.
— On peut coiffer le tout par une attaque personnelle : A n’est pas un expert mais un bouffon.

L’argumentation par l’autorité suppose que la source soit une réelle autorité. La réfutation s’en prend maintenant au statut de A comme autorité.
Elle correspond a contrario à l’argumentation qui fonde une autorité légitime :

A parle dans son domaine de compétence, il est au fait de l’état de la question, son système est cohérent, il dispose de preuves directes, tous les experts sérieux sont d’accord avec lui, il a déjà fait telle prédiction juste.

Les deux formes de réfutation peuvent se combiner : A n’est pas un expert (son autorité n’est pas établie), et L le cite n’importe comment (lui fait dire n’importe quoi).

Argumentation fondant / exploitant l’autorité

On retrouve les deux classes d’argumentations, : argumentations établissant une autorité et les argumentations exploitant cette autorité.

5.2 Contre-argumentations

Discours de résistance à l’autorité

Le cadrage dialogal invite à focaliser non plus sur l’argument d’autorité, mais sur la relation d’autorité. La focalisation est moins sur le problème de l’autorité citée que celui de la pusillanimité de l’interlocuteur qui accepte l’argument d’autorité, V. Modestie.

Contre-argumentation par des arguments sur le fond

L’opposant peut opposer directement à P des arguments directs, portant sur le fond, tirés non pas de l’autorité mais de la raison scientifique, ou du savoir historique. Ces arguments sont par nature supérieurs à l’appel à l’autorité, qui reste un argument périphérique.

6. Usages réfutatifs de l’autorité

6.1 Usages réfutatifs de l’autorité positive

Les paragraphes précédents abordent l’autorité en tant qu’elle sert d’appui à une affirmation. Dans les mêmes conditions, l’appel à l’autorité sert à la réfutation lorsqu’il soutient une affirmation opposable à celle qu’on veut réfuter :

L1 : — !
L2 : — X dit le contraire, et il s’y connaît !

Si X est du même camp que L1, la réfutation combine autorité et ad hominem, V. Ad hominem.

L’autorité positive peut aussi être utilisée pour détruire non plus le contenu de ce qui est dit, mais la prétention à l’autorité et donc la compétence de la personne qui tient le discours d’autorité :

L1 : — !
L2 : — C’est exactement ce que dit Perelman !

La pensée est un dialogue intérieur? Ça on le sait depuis Platon, Thééthète !

6.2 Autorité négative : Ad Hitlerum

L’autorité négative sert à la réfutation du dire dans le cas suivant :

L1 : — !
L2 : — H dit exactement la même chose !

H est une personne, un parti rejeté dans la communauté de parole à laquelle appartiennent L2, les tiers arbitres de l’échange et possiblement L1 lui-même ; H est une anti-autorité, V. Imitation.
Dans l’argumentation positive par autorité, le lien de l’énoncé à l’autorité positive est fait par le proposant ; ici, c’est l’opposant qui relie l’énoncé qu’il conteste à l’autorité négative. Hitler occupe le sommet de la catégorie graduée des personnes dont il est impossible de reprendre les termes : on parle de reductio ad Hitlerum pour désigner ce cas d’autorité négative, dont l’invocation est supposée mettre un terme à toute discussion :

L’an dernier, on s’en souvient, des barons de l’industrie financière se sont excités à propos d’une très légère critique du Président Obama. […] Et quant à leur réaction à la proposition de supprimer une niche fiscale permettant à certains d’entre eux de payer vraiment peu d’impôts, — eh bien, Stephen Schwartzman, Président du groupe Blackstone, l’a comparée à l’invasion de la Pologne par Hitler
Paul Krugman, Panic of the Plutocrats, 2011 [3]]

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[1] https://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/obligation-motivation-decisions-justice-juge-20105.htm (01-04-2022).

[2] Racine, Andromaque, 1667. I, 2.

[3] New York Times, 10 octobre 2011. http://www.nytimes.com/2011/10/10/ opinion/panic-of-the-plutocrats.html?_r=1&ref=global-home], ( 20-09-2013).