Cas par cas, arg. au —

1. Argumentation au cas par cas

L’argumentation au cas par cas (ou argumentation par cas) procède en plusieurs étapes :

— Une question comme “Que s’est-il passé, que peut-il se passer ?” :
— On fait l’inventaire des cas possibles.
— On procède à l’examen successif de chacun de ces cas.
— Cet examen conduit à l’élimination de tous les cas possibles, sauf un.
— Ce dernier cas est déclaré vrai.

L’argumentation par cas est une méthode d’argumentation indirecte, concluante, « fondée sur la nature des choses » (ad rem) , V. Fond. Elle s’applique particulièrement à la recherche des causes et des définitions. Exemple :

Cet argent, soit vous en avez hérité, soit vous l’avez gagné par votre travail, soit vous l’avez volé.
 Si vous l’avez gagné par votre travail ou si vous en avez hérité, il vous est facile de le prouver en nous montrant les documents qui l’attestent. Vous n’avez aucun document de ce type ? Donc vous l’avez volé.

On parle également d’argumentation par division, que Perelman illustre comme suit :

Le pneu a éclaté parce qu’il était usé, parce qu’il y avait des clous sur la route, ou parce qu’il y avait malfaçon. Or le pneu venait d’être acheté, on n’a retrouvé aucun clou dans le pneu. Donc il y avait malfaçon. (Perelman 1977, p. 65)

Ce schème argumentatif est connu depuis l’antiquité grecque, elle est décrite par Socrate, dans La République [1]. Selon Socrate, la cité juste est définie a priori par quatre vertus. Deux chemins permettent d’établir ces vertus, soit par constatation directe, soit indirectement « par la méthode que nous appellerions aujourd’hui des restes ou résidus » (Bacou, 1966, p. 28) [1], qui correspond au cas par cas :

Socrate: Il est donc évident que [la cité recherchée] est sage, virile, modérée et juste. (427e)
Adimante: C’est évident.
Socrate: Par suite, quelle que soit celle de ces vertus que nous trouvions en elle, les vertus restantes seront celles que nous n’aurons pas trouvées.
Adimante: C’est évident.
Socrate: Si par exemple, dans le cas de quatre choses quelconques, nous cherchions l’une d’entre elles dans quelque domaine que ce soit et que nous la reconnaissions en premier, cela nous satisferait; mais si nous reconnaissions d’abord les trois autres, par ce fait même serait découverte celle que nous cherchions: car elle ne serait évidemment rien d’autre que celle qui resterait. (428a) [2]

Cette procédure argumentative est rigoureuse. Elle correspond au schème logique de la négation d’une disjonction, V. Connecteurs logiques :

(P ou Q ou R) est vrai,
P est faux et Q est faux;
Donc R est vrai.

1.1 Argumentation par cas et recherche de la cause

Comme le montrent les exemples précédents,  l’argumentation au cas par cas permet de déterminer la cause d’un phénomène Ph. On fait empiriquement l’inventaire des causes possibles et on regarde ce qui se passe si on les élimine. Par exemple, on constate que Ph est systématiquement précédé ou accompagné des phénomènes A, B et C. On supprime le phénomènes A et B et on constate que E se produit toujours: on en conclut que C est une cause possible de Ph.
Si les causes possibles ont été correctement inventoriées, et si on constate que E ne se produit pas si on supprime C, alors C est la cause de E, V. Réfutation par les faits

1.2 Argumentation par cas et définition en extension

La  définition en extension applique également la méthode des cas, mais dans un contexte tout différent. Il ne s’agit plus d’une recherche portant sur un événement ou un fait empirique, mais de rechercher quels sont les traits définissant un mot-concept (une catégorie). La recherche de Socrate mentionnée supra porte sur la définition de la Cité parfaite est entièrement conceptuelle a priori.

L’impiété peut ainsi être définie comme un manque de respect soit envers les dieux, soit envers leurs prêtres soit envers leurs sanctuaires (Aristote, Rhét., II, 23, 1399a5 ; Chiron, p. 390.

Pour accuser quelqu’un d’impiété, on procède par division ou par cas, en montrant qu’on n’a manqué de respect ni envers les uns, ni envers les autres, ni envers les troisièmes.

Le 18e lieu de Bossuet est l’argumentation par « le tout et la partie » (Lat. ab enumeratione partium) V. Typologies Anciennes.; Typologies Modernes. Ce lieu est illustré par l’exemple suivant, qui repose sur la définition de “(grand) capitaine” :

Le tout et la partie font le dix-huitième lieu. Là se fait cet argument qui s’appelle le dénombrement des parties, ab enumeratione partium. Ainsi l’Orateur romain (= Cicéron) dans l’oraison pour la loi Manilia en faisant le dénombrement de toutes les parties d’un grand capitaine, conclut que Pompée est le capitaine accompli qu’il faut opposer à Mithridate. Par la même raison, si on convient que quelqu’un soit un parfait capitaine, on montrera par là qu’il aura donc la prudence, la valeur, et toutes les autres parties d’un bon général.
Logique, Livre 3, Chap. 20, Des moyens de preuve tirés de la nature de la chose, (p. 140) 

1.3 Terminologie

Le même phénomène argumentatif peut donc être désigné par quatre étiquettes
— Argumentation au cas pas cas
— Argumentation par division
— Méthode des restes ou résidus
— Argumentation par le tout et la partie, ab enumeratione partium.

2. Réfutation de l’argumentation par énumération des cas

Qu’elle touche à la causalité ou à la définition, l’argumentation au cas par cas est une preuve indirecte « fondée sur la nature des choses» (ad rem), V. Fond.
Cette preuve est parfaitement concluante si on a effectivement envisagé tous les cas.

On réfute l’argumentation au cas par cas en montrant que l’énumération des cas est incomplète, par exemple, dans les cas précédents :

— Vous avez oublié un cas : cet argent, je l’ai gagné à la loterie, voici le billet gagnant !

— Vous n’avez pas positivement prouvé qu’il y avait eu malfaçon. Un pneu peut éclater parce qu’il était mal gonflé, parce qu’il y avait un nid-de-poule sur la route, parce qu’il avait pris un choc, parce que (il était surchauffé parce que) l’automobiliste venait d’utiliser un chalumeau pour dévisser un boulon de roue, parce que le frein était collé, parce que la voiture était trop chargée, parce qu’elle roulait à trop vive allure…


[1] Robert Bacou, 1966, Introduction à La République. Garnier-Flammarion, 1966, p. 28.
[2]  L. 4, (trad. de Pierre Pachet, Gallimard, Folio, 1993.