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Abduction

  • Lat. abductio “action d’emmener”, par un mouvement dirigé vers l’extérieur (v. infra, sens 2).

1. L’abduction comme réduction relative de l’incertitude

Aristote définit l’abduction comme un syllogisme dialectique dont la majeure est vraie, la mineure simplement probable, et, en conséquence, la conclusion probable (Aristote, P. A., ii, 25-30, p. 317). La conclusion seule, sans la mineure, est plus improbable que la mineure, donc la mineure renforce relativement l’acceptabilité de la conclusion. Cette situation rappelle la définition cicéronienne de l’argumentation comme rédution de l’incertitude, V. Argumentation 1.

Ce syllogisme permet de construire une réponse à la question “La justice peut-elle être enseignée ?”, “Peut-on apprendre à être juste ?” en combinant :

— Une prémisse certaine : il est clair que la science peut être enseignée,
— avec une prémisse douteuse : la vertu est une science, qu’on pourrait exprimer sous la forme d’une analogie, la vertu ressemble à la science ;
— pour conclure que : la vertu peut s’enseigner.

Bien qu’incertaine, la seconde prémisse est tout de même moins douteuse que la conclusion “la vertu peut s’enseigner” : elle peut donc servir d’argument pour cette conclusion. On retrouve ce montage dans des discours comme :

Il faut enseigner la citoyenneté, ce n’est au fond qu’un ensemble de savoirs et de pratiques sociales ; or les savoirs, ça s’enseigne et toutes les compétences pratiques peuvent s’améliorer par l’enseignement.

Cette forme est exemplaire du fonctionnement de l’argumentation. Dans des contextes démonstratifs, le raisonnement se développe à partir du vrai, dans la stricte limite de ce qu’autorisent les prémisses prises à la lettre. L’argumentation conclut, en toute connaissance de cause, à partir d’informations incomplètes, faute de mieux ; elle permet néanmoins d’améliorer le statut épistémique d’une croyance. C’est une logique non pas d’élimination mais de réduction du doute et de l’incertitude, V. Raisonnement par défaut.

2. L’abduction comme dérivation d’hypothèse à partir de faits

Le concept moderne d’abduction a été introduit par le philosophe Charles Sanders Peirce. Pour Peirce, il existe deux sortes d’inférences, l’inférence déductive et l’inférence abductive ou abduction. Dans l’abduction, on part de la constatation d’un fait “inattendu”, c’est-à-dire n’entrant pas dans le système explicatif disponible. L’abduction est une forme d’inférence par laquelle on propose une hypothèse expliquant ce fait. Cette hypothèse n’est pas le produit de l’application d’un algorithme de découverte, mais le fruit d’un processus créatif : « en fin de compte, l’abduction n’est rien d’autre que de la devinette [guessing] » (Peirce [1958], § 219).

La problématique dans laquelle s’inscrit l’abduction est non pas celle de la logique mais celle de la méthode scientifique (ibid., chap. 6). Le travail scientifique consiste à proposer, sur la base de faits, des hypothèses vraisemblables « suggérées » par ces faits, dans le cadre d’un paradigme scientifique donné. L’abduction est le premier moment de cette démarche.
La pratique de l’abduction n’est pas guidée par des règles logiques mais par des principes, comme le principe selon lequel tout fait admet une explication : une hypothèse “abduite” est intéressante « s’il apparaît qu’elle rend le monde raisonnable [reasonable] » (ibid., §202) ; ou encore le principe d’exclusion des hypothèses dites métaphysiques, c’est-à-dire qui n’auraient aucune conséquence expérimentale.

À la différence de l’abduction qui part des faits à la recherche de théorie, la déduction peircienne part d’une théorie à la recherche de faits : on recherche les conséquences expérimentales de l’hypothèse explicative.
L’opposition abduction / induction rappelle celle qui existe entre raisonnements a priori / a posteriori  (propter quid — quia).

Mieux que comme une forme bâtarde de déduction ou d’induction, l’argumentation gagnerait à être vue comme une forme d’abduction ; du fait que la lumière est allumée, “j’abduis”, je fais l’hypothèse, qu’il y a quelqu’un dans la pièce ; mais cette hypothèse reste à vérifier.
L’étude de l’argumentation comme processus abductif s’est révélée particulièrement fructueuse dans les domaines de la médecine, de la science et du droit (Walton 2004 ; Gabbay & Woods, 2005 ; Woods, 2009).


 

Contre-Argument, Contre-argumentation

Argumentation, Contre-argumentation

Sous une même question argumentative QA, peuvent se développer :

— d’une part, un discours D qui développe la proposition P,
— et d’autre part, un discours Dqui réfléchit au même problème selon d’autres critères, et lui trouve une solution P, différente de P, en s’appuyant sur des arguments et des argumentations Arg, et tout cela en s’abstenant systématiquement de mentionner D.

D se présente simplement un discours autre qui choisit d’ignorer le discours concurrent, et de se concentrer sur la construction de sa propre position.
Une telle stratégie fortement assertive permet de focaliser positivement l’intervention, elle évite les paradoxes de la réfutation, mais peut être considérée comme une forme de mépris des arguments avancés par une partie adverse, “même pas dignes d’une réfutation

On parle de contre-argumentation lorsque de tels discours entrent ouvertement en contact. À l’affirmation d’une position argumentée D, l’interlocuteur réplique par l’affirmation d’une autre position également argumentée, CD.

L : — Construisons la nouvelle école ici, les terrains sont moins chers.
           PropositionD, Argument ArgD

L : — Si on la construit là-bas, les élèves auront moins de transport.
— PropositionD, Argument ArgD

Cette structure d’argumentation / contre-argumentation peut correspondre à une situation argumentative émergente, ou aux moments où les participants présentent et argumentent leur position sans considérer la proposition de l’antagoniste. Une telle situation peut se produire à tout moment dans une situation argumentative concrète, particulièrement aux moments où les partenaires doivent récapituler leurs positions. V. Antithèse.

On parle de contre-proposition argumentée, et de conclusion incompatible, non pas de *contre-conclusion.

Contre-argumentation faible

La contre-argumentation faible fonctionne comme la réfutation faible : elle renforce la position qu’elle attaque. Dans le passage suivant, N. Chomsky tire argument de ce qu’il construit comme l’échec de la contre-argumentation de son adversaire, le philosophe H. Putnam, pour suggérer que lui, Chomsky, pourrait bien avoir raison :

Jusqu’ici, à mon sens, non seulement [Putnam] n’a pas justifié ses positions, mais il n’est pas parvenu à préciser ce que sont ces positions. Le fait que même un philosophe de son envergure n’y parvienne pas nous autorise peut-être à conclure que…
Noam Chomsky, Discussion sur les commentaires de Putnam 1979 [1]

Les points de suspension terminant la phrase sont de Chomsky. L’éloge des compétences de son adversaire, « un philosophe de son envergure », fait partie de cet important topos de la réfutation du discours contre-argumentatif. V. Politesse ; Ignorance.

Réfutation substantielle et réfutation contextuelle

La réfutation substantielle d’une argumentation correspond aux mécanismes de réfutation visant la forme et le contenu de cette argumentation (Brandt et Apothéloz 1991, p. 98-99).Dans une opposition argumentation vs contre-argumentation, les deux partenaires argumentent au sens positif du terme, c’est-à-dire défendent une position. Mais argumentation et contre-argumentation ont en outre un rôle de réfutation réciproque, qu’on peut appeler réfutation contextuelle.
Par le jeu de la négation en situation bipolarisée, le fait de fournir une raison de faire ou de croire B, incompatible avec A, se transforme en raison de ne pas faire ou de ne pas croire A.
Les arguments positifs qui soutiennent A peuvent être désignés, relativement à B, comme des contre-arguments contextuels c’est-à-dire “des arguments qui défendent une proposition autre”.

Discours, Contre-discours et Charge de la preuve

Lorsque le dialogue argumentatif est engagé, particulièrement lorsque la question argumentative a une longue histoire, les deux discours en présence combinent en miroir deux types d’opérations :

Travail négatif de rejet de l’autre discours.
Travail positif de construction d’une proposition autre.

La charge de la preuve rompt cet équilibre apparent. On peut alors parler, dans une situation donnée de discours et de contre discours. Si Y supporte la charge de la preuve, il est dans l’absolu, contre-discours de X.
Si le cadre de la discussion change, la charge de la preuve change de discours.


[1] Massimo Piattelli-Palmarini éd., Théorie du langage, théorie de l’apprentissage, Paris, Le Seuil, 1979, p. 461.

 

 

 

Ad rem

In the Latin phrase ad rem, rem is the accusative of the noun res, which can be taken to mean « object, being » or « legal case, dispute ». (Gaffiot, Res)

The argument ad rem can be defined in two ways.

Ad rem1. In the first sense of res, « reality », the argument ad rem is an argument that focuses on « the reality of things ». It is probably in this sense that Whately assimilates the argument ad rem to Locke’s argument ad judicium.

Ad rem2. On the other hand, res can refer to « the judicial case, the dispute ».
[Res] clearly refers to a debate in the expressions nihil ad rem « that is not the question » and quid ad rem?, « what does it matter?« .

In this sense, the ad rem argument relies on a fact [res] that is relevant to a cause [causa]. S. Matter

On the articulation ad remad judicium – to the matter – to the letter (ad litteram), S. Ad judicium.

Counter-Accusation

The counter-accusation is a defense strategy by which the accused

— Acknowledges the existence of the facts (the moped was burned) and their qualification (it is a misdemeanor).
— Denies being the author of the misdemeanor, and attributes it to someone else, S. Stasis.

Accuser: — You stole the moped!

Among other possibilities, the accused can countercharge:

— a third person:
            But it’s not me, it’s the boss!

— her accuser:

— of the misdemeanor of which she is herself accused:
           You stole the moped! it is the one who says who is!

— of another misdemeanor:
            And you stole a backpack in the train!

The reply (3) can be taken as an implicit admission and can also be used to allow the prosecution of the new accused.

Examples of counter-accusation

The counter-accusation strategy works as well in the informal setting of the family as in some types of courts.

It is reported that the accused in witchcraft trials in the Basque Country in the 17th century used this procedure.

Shortly before the sending of the royal commission of which de Lancre would be a part, significant events had already taken place, in the same places, and with the same characters that we will see reappear in the text of the Table: Local rivalries between family groups had given rise to accusations of witchcraft, an expeditious but disastrous way of getting rid of the rival group, which in response makes use of the same procedure.

Pierre De Lancre, [A Picture of the inconstancy of evil angels and demons, where it is amply spoken about sorcerers and witchcraft,] 1612 [1]

The strategy  works dramatically in political trials, especially if the accuser is the judge.

The láogăi “is a re-education through labor camp in the People’s Republic of China” (Wikipedia, Laogai).

Finally, as we have seen in the laogai, whoever accuses, in communist China, is always right, since he is armed with untouchable quotes and slogans; you almost systematically worsen your case by defending yourself. The only effective response is therefore a counter-accusation at a higher level: whether it is well-founded or not is of little importance, the main thing being that it is expressed in politically correct terms. The logic of the debate thus leads to a constant widening of the field of attacks, of the number of attacks and of the number of those attacked.
Stéphane Courtois & al. [The Black Book of Communism] 1997 [2]

It has a lot of weight in the people’s court and the media tribunal.

You are fake news!”.
Trump’s Impeachment Defense Borrows an Old Karl Rove Strategy — Ed Kilgore (The Guardian, 11. 13, 2019)

There’s one Rovian strategic principle that Team Trump is following to absolute perfection before and during the impeachment proceedings the president now faces, as explained in a 2005 academic discussion of Rove’s campaign modus operandi :
            Tactic #3: Accuse Your Opponent of What He/She is Going to Accuse You Of
This is another preemptive tactic, in which Bush has launched his campaigns by accusing his opponent of his own weaknesses.[3]


[1] Pierre De Lancre. Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, où il est amplement traité des sorciers et de la sorcellerie, 1612. Introd. and notes by Nicole Jacques-Chaquin. Paris, Aubier, 1982, p. 8.
[2] Courtois Stéphane, Werth Nicolas, Jean-Louis Panné, Paczkowski Andrzej, Margolin Jean-Louis 1997. Le livre noir du communisme – Crimes, terreur, répression. Paris, Robert Laffont, p. 582
[3] http://nymag.com/intelligencer/2019/11/team-trump-deploying-rovian-strategy-of-accusing-accusers.html


 

Lettre, Appel à la — du discours

Lat. arg. ad litteram, de littera, “lettre”.
Lat. arg. ad orationem, de oratio, “propos, parole”.
Les deux étiquettes peuvent se référer à un discours écrit ou oral.

1. En droit

En droit, l’argument de la lettre de la loi (ad litteram, ad orationem) sert à justifier une application de la loi fondée sur le sens évident du texte légal, V. Sens strict.
Cet appel à la lettre est contré par l’appel à l’esprit de la loi, fondé, par exemple, sur l’intention du législateur.

D’une façon générale, l’appel au sens littéral d’un texte oral ou écrit peut être invoqué dans toutes les questions d’interprétation.

1. Dans l’argumentation quotidienne

— Dans une interaction, le second tour de parole “à la lettre” s’en tient au sens littéral, à ce qui vient d’être expressément dit, mot pour mot, par le premier locuteur, en laissant de côté ce qu’il a voulu dire.
C’est le cas de la réponse suivante à un acte de parole indirect de demande de faire, adouci en une question :

L1 :    — Pouvez-vous me passer le sel ?
L2 :    — Oui

Mais L2 ne passe pas la salière à L1. L2 a répondu à la lettre de la question de L1, sans tenir compte du fait que L1 ne sollicitait pas une information sur la capacité de L2 à faire circuler la salière, mais demandait à L2 de faire quelque chose, lui passer le sel.

— Dans une situation argumentative, la réponse à la lettre est une manœuvre de destruction du discours. Pour cela, L2 s’en tient au sens de l’énoncé, du discours (oral ou écrit) produit par L1, sans tenir compte des intentions communicationnelles de L1 (du sens de l’interlocuteur).
Dans un troisième tour, L1 peut rejeter cette réponse :

Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire !

L2 peut alors justifier sa réponse en donnant pour argument la lettre de ce qu’a dit L1 dans son premier tour de parole :

Je ne sais pas ce que vous avez voulu dire, mais c’est ce que vous avez dit.

L2 satisfait à son obligation de parole, et renvoie la parole à son interlocuteur, à charge pour ce dernier de reformuler ce qu’il veut dire. L2 considère qu’il n’a pas à contribuer à la recherche de la vérité, V. Silence, et qu’il peut légitimement chercher à bloquer le discours de L1 par tous les moyens.
La réponse sur la lettre du discours est un bon indicateur de situation conflictuelle. Elle s’oppose à une réponse qui, charitablement, tient compte de l’intention du discours et ne cherche pas à tirer avantage d’une formulation indirecte ou maladroite.

L’exemple suivant est un cas extrême de réponse à la lettre :

Le policier : — Tu me dis “Untel a fait le coup” et je te libère
Le suspect : — “Untel a fait le coup[1].

Le suspect a dit à la lettre ce que le policier lui demandait de dire, mais il ne sera probablement pas libéré pour autant.

Exemple : Objectif officiel et objectif caché d’une recherche scientifique

Le cas suivant est un cas particulier de l’opposition Motif — Mobile, où on oppose à la bonne raison expressément formulée une raison inavouable cachée, ici parce qu’elle est illégale.

— SITUATION : Un litige sur le statut juridique d’une recherche et de son  financement.
Cadre général : La recherche dans le domaine D est soumise à une disposition légale L interdisant la recherche susceptible de conduire à des résultats de type U.
Cas particulier : Un groupe de recherche R soumet à l’institution I un projet P relevant du domaine D. Les objectifs de recherche sont définis dans le projet accompagnant la demande de financement.
— Le financement est accordé.
— La recherche produit un résultat X apparemment de type U.

QUESTION : Cette recherche a-t-elle respecté la disposition légale L interdisant la recherche conduisant à des résultats de type U ?

OUI : La défense peut soutenir que 1) X n’est pas de type U, ou que 2) X est bien de type U, mais qu’il a été obtenu involontairement, donc que la loi a été respectée. Dans ce second cas, la défense argumente en deux temps, d’abord sur la lettre de ce que dit et ne dit pas expressément le projet P :

Aucune recherche susceptible de produire des résultats de type U ne figure dans les objectifs de recherche.

Elle rend compte ensuite du résultat U :

X (U) est un résultat inattendu, comme cela arrive régulièrement dans la recherche scientifique.

— NON : L’accusation rejette l’argument fondé sur la lettre du projet :

Si le cahier des charges ne fait pas explicitement référence à U comme un objectif de la recherche c’est pour éviter les conséquences juridiques et politiques évidentes.

Puis elle réinterprète le projet :

Des membres éminents de la communauté scientifique concernée disent que le cahier des charges décrit des travaux correspondant à la définition communément admise de U. Il s’agit donc bien d’une recherche de type U. Le résultat en question n’a pas “émergé », mais a été produit intentionnellement. Financeurs et chercheurs ont donc sciemment enfreint la disposition légale L.

Conclusion :

Les chercheurs avaient un agenda caché. Ils ont effectivement effectué des recherches de type U, qu’ils les aient désignées comme telles ou non.
Les responsables de la recherche et de l’institution l’ayant financée doivent être condamnés. [2]


[1] Exemple venant du séminaire d’Oswald Ducrot. 

[2] Exemple adapté de Glenn Kessler, « The repeated claim that Fauci lied to Congress about ‘gain-of-function’ research ». The Washington Post, 29 octobre 2021.
https://www.washingtonpost.com/politics/2021/10/29/repeated-claim-that-fauci-lied-congress-about-gain-of-function-research/


 

 

 

Ad judicium

Lat. iudicium, “judgment”. legal action; judgment; capacity to judge

Locke [1690] opposes the ad judicium argument, declared valid, to three kinds of argument he considers fallacious, the arguments ad ignorantiam, ad hominem and ad verecundiam (Lat. verecundia, modesty); S. Collections (2).

The argument ad judicium is defined as:

The using of proofs drawn from any of the foundations of knowledge or probability. This I call argumentum ad judicium. This alone of all the four, brings true instruction with it, and advances us in our way to knowledge. (Locke [1690], Vol. 2, p. 411)

The following declaration shows that this validity is derived not only from judgment but also from “the things themselves”:

[truth] must come from proofs and arguments, and light arising from the nature of things themselves. (Id., p. 411-412).

So, the ad judicium argument, is based on scientific procedures and criteria (“foundations of knowledge or probability”), and develops object-based knowledge. In any case, this mode of reasoning excludes the passions and distrusts the speech, S. Ornament and argument.

Ad judicium is not strictly speaking an argument scheme in itself, but instead covers the whole scientific methodology. From Locke’s definitions, it follows that the correct argumentative method is the name of scientific method when applied to social questions and human projects.

*

Ad hominem and ad verecundiam arguments also appeal to judgment, at least to a calculus: ad hominem appeals to consistency; ad verecundiam is based on a sense of modesty or personal insufficiency that can be well grounded or not. They are nonetheless considered fallacious because they are subjective. Subjective does not here mean “arbitrary”, but rather nonuniversal, context-bound, taking the circumstances of the speech situation and the speaker’s transitional state of knowledge into account, what he or she knows, believes or dares say or not.

Argument thus conceived rejects the speaker and his system of knowledge as consistently relative. It is the antithesis of what Grize calls « a logic of subjects », S. Schematization

Ad judicium, a homonymic label

Various non-equivalent, definitions are attached to the ad judicium label. This can prove somewhat confusing.

(1) Perhaps referring to Locke, Whately considers that the ad judicium label designates “most likely the same” as the ad rem argument ([1832], p. 170), that is, argument to the matter, or to the thing itself.This identification is grounded in the fact that Locke considers that true knowledge derives “from the nature of things themselves” (see supra).
In this case the terminology would just be redundant, which is relatively benign.

(2) A dictionary of theology defines ad judicium as: “an argumentation calling on common sense and general opinion to validate a position”[1] which is something quite different, and totally opposed to Locke’s perspective, if we consider his positions on rhetoric, S. Ornamental fallacy.

(3) And Bentham uses the ad judicium label to designate a series of fallacies of confusion (Bentham [1824]), S. Political Arguments: Two collections.

The terminological and conceptual field covered by the ad judicium label can thus be arranged as follows:
— In Locke’s sense scientific reasoning, based on things.
— In Whately’s sense, same as ad rem, argument on the merits of the case.
— In theology, argument based on the consensus of nations.
— In Bentham’s sense, the ad judicium fallacies are manoeuvres tending to obstruct the sound exercise of judgement.


 

Expérience de pensée

1. Expérience de pensée

L’expression “expérience de pensée” (EP) apparue au 18e siècle, a été popularisée par Ernst Mach (Gedanken Experiment) au 20e siècle  (SEP, Thought experiment), Cette forme de raisonnement a été pratiquée depuis l’antiquité aussi bien en Orient qu’en Occident.
(Ex. 1) L’exemple qui suit est empruntée à Ibn Sina (Avicenne) (980-1037), où il apparaît dans deux passages:

We say: If a human is created all at once, created with his limbs separated and he does not see them, and if it happens that he does not touch them and they do not touch each other, and he hears no sound, he would be ignorant of the existence of the whole of his organs, but would know the existence of his individual being as one thing, while being ignorant of all the former things. What is itself the unknown is not the known.
Avicenna, al-Nafs (c. 1027). V.7 (Marmura p. 390) [1]

He will not doubt his affirming his self existing, but with this he will not affirm any limb from among his organs, no internal organ, whether heart or brain, and no external thing. Rather, he would be affirming his self without affirming for it length, breadth and depth. And if in this state he were able to imagine a hand or some other organ, he would not imagine it as part of his self or a condition for its existence.
You know that what is affirmed is other than what is not affirmed and what is acknowledged is other than what is not acknowledged. Hence the self whose existence he has affirmed has a special characteristic of its being his very self, other than his body and organs that have not been affirmed.
Hence the one who affirms has a means to be alerted to the existence of the soul as something other than the body—indeed, other than body—and to his being directly acquainted with this existence and aware of it. If he is oblivious to this, he would require educative prodding.
Id. I.1 (Marmura p. 387)

Le raisonnement hypothétique envisage une situation reconnue comme possible dans le monde tel qu’il est, et produit des conclusions exploitables dans ce monde. Ce raisonnement conclut sur la base du vrai et du faux.
À la différence du jugement hypothétique, l’expérience de pensée repose sur la construction narrative d’une situation qu’il est impossible de réaliser, dans l’état actuel de ce que nous appelons “monde, réalité”, de nos capacités technologiques et de nos principes éthiques. Dans ce monde fictionnel les lois de la physique et de la physiologie sont suspendues.

Cette fiction est ensuite développée pour en tirer des conclusions catégoriques qu’elle affirme vraie dans le monde réel et pertinentes pour une discussion en cours dans un domaine spéculatif, ici la philosophie morale. Les expériences de pensée

suggest that we can learn about the real world by virtue of merely thinking about imagined scenarios (SEP, Thought experiment).

L’expression expérience de pensée, ou par la pensée, ou par l’imagination (Wikipedia, Expérience de pensée) est quelque peu oxymorique. L’expérience est définie comme une « connaissance acquise par interaction avec l’environnement » (Wikipedia Expérience, 30-09-21). Par substitution de la définition au défini, une expérience de pensée, par la pensée ou par l’imagination est une connaissance acquise par interaction avec un environnement qu’il est, par définition impossible de construire dans le monde réel et avec lequel il est impossible d’interagir. L’expérience de/par la pensée a tous les charmes de l’énigme de bureau.

2. Autres exemples

Galileo Galilei (1564-1642) On the speed of falling objects

Dans le Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde), Galilée réfute la théorie aristotélicienne de la chute des corps, selon laquelle les corps lourds tombent plus rapidement que les corps légers. Salviati est le porte-parole de Galilée, et Simplicio celui d’Aristote.
Le passage suivant est considéré comme une expérience de pensée (SEP, Thought Experiment), mais rien ne fait obstacle à sa réalisation physique, et c’est d’ailleurs ce que fait Galilée lui-même. Rien n’empêche donc d’y voir non pas une expérience de pensée mais une compte-rendu ou un projet d’expérience, exposant le raisonnement qui sous-tend le montage expérimental et les mathématiques qui permettent d’anticiper de façon certaine sur son résultat.

Salviati— But, even without further experiment, it is possible to prove clearly, by means of a short and conclusive argument, that a heavier body does not move more rapidly than a lighter one provided both bodies are of the same material and in short such as those mentioned by Aristotle. But tell me, Simplicio, whether you admit that each falling body acquires a definite [63] speed fixed by nature, a velocity which cannot be increased or diminished except by the use of force [violenza] or resistance.
[…]
Salv. — If then we take two bodies whose natural speeds are different, it is clear that on uniting the two, the more rapid one will be partly retarded by the slower, and the slower will be somewhat hastened by the swifter. Do you not agree with me in this opinion?
Simplicio — You are unquestionably right.
Salv. — But if this is true, and if a large stone moves with a speed of, say, eight while a smaller moves with a speed of four, then when they are united, the system will move with a speed less than eight; but the two stones when tied together make a stone larger than that which before moved with a speed of eight. Hence the heavier body moves with less speed than the lighter; an effect which is contrary to your supposition. Thus you see[108] how, from your assumption that the heavier body moves more rapidly than the lighter one, I infer that the heavier body moves more slowly.
Galileo Galilei, Dialogues Concerning Two New Sciences, 1638.[2]

Mencius, 4th Century BC, The Small Child and the Well

Why do I say that all people possess within them a moral sense that cannot bear the suffering of others? Well, imagine now a person who, all of a sudden, sees a small child on the verge of falling down into a well. Any such person would experience a sudden sense of fright and dismay. This feeling would not be something he summoned up in order to establish good relations with the child’s parents. He would not purposefully feel this way in order to win the praise of their friends and neighbors. Nor would he feel this way because the screams of the child would be unpleasant.
By imagining this situation we can see that one who lacked a sense of dismayed commiseration in such a case simply could not be a person. Moreover, anyone who lacks the sense of shame cannot be a person; anyone who lacks a sense of deference cannot not be a person; anyone who lacks a sense of right and wrong cannot not be a person.
The sense of commiseration is the seed of humanity, the sense of shame is the seed of righteousness, the sense of deference is the seed of ritual, and the sense of right and wrong is the seed of wisdom. Everyone possesses these four moral senses just as they possess their four limbs. To possess such seeds and yet claim to be unable to call them forth is to rob oneself; and for a person to claim that his ruler is incapable of such moral feelings is to rob his ruler.
Menciuseno. 2003, Bk 2 Part A, 6. [3]

Chateaubriand (1768-1848), Tuer un homme à la Chine

Ô conscience ! Ne serais-tu qu’un fantôme de l’imagination, ou la peur des châtiments des hommes ? Je m’interroge ; je me fais cette question :Si tu pouvais, par un seul désir, tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu’on n’en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ?
J’ai beau m’exagérer mon indigence; j’ai beau vouloir atténuer cet homicide en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu’il n’a point d’héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l’État ; j’ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins ; j’ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu’il l’appelle lui-même, qu’il n’a plus qu’un instant à vivre; malgré mes vains subterfuges, j’entends au fond de mon cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d’une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.
Chateaubriand, Génie du Christianisme, 1802. 1e Part., L. 6, Chap. 2 Du remords et de la conscience. [4]

3. L’argumentation dans l’expériences de pensée

Norton (1996), réfute l’idée que de telles expériences “draw from some special source of knowledge of the world that transcend our ordinary epistemic resources” (p. 333-334). Il considère que les EP mobilisent “our standard epistemic resources: ordinary experiences and the inferences we draw from them” (id., 334).  La discussion porte sur le statut épistémologique des expériences de pensée,

One viewpoint is my own view that thought experiment are merely picturesque arguments, and in no way remarkable epistemologically. […] The other will be the view of Jim Brown [1991[5]  that certain thought experiments affords us a glimpse into a Platonic world populated by the law of nature themselves.  According to my view it is essential that all thought experiment can be reconstructed as argument (id.)

La reconstruction des EP dans le cadre d’un modèle épistémologique de l’argumentation au sens de Norton n’est pas de notre ressort.
Nous nous bornerons à esquisser une analyse argumentative des quatre expériences de pensée proposées à partir des textes, originaux ou traduits, où elles sont exposées.

On peut distinguer trois types d’EP selon qu’elles se développent :

— à partir d’une situation contrefactuelle, possible, en fait fausse, mais qui aurait pu se réaliser dans le passé (CK Dick)
— à partir d’une situation imaginaire théoriquement possible, mais dont les conditions d’observation ne sont jamais réalisées dans le monde actuel (Mencius)
— à partir d’une situation imaginaire que toute notre expérience et nos savoirs sur le monde existant portent à déclarer impossible, pour en tirer néanmoins des conclusions sur le monde existant (Ibn Sina).

Il est possible d’envisager une situation expérimentale possible sur laquelle on peut raisonner de façon concluante, en attendant la confirmation expérimentale. C’est, si l’on veut, une expérience “par la pensée” (Galilée), mais la différence est cruciale en relation avec l’expérience.

4. Schématisation des processus argumentatifs (Galilée, Mencius)

L’EP suppose un mécanisme de dérivation de la conclusion à partir de la situation hypothétique, possible ou impossible. Ces processus de dérivation peuvent mettre en jeu n’importe quel mécanisme argumentatif.
À titre d’illustration, nous prendrons l’EP de Galilée à propos de la chute des corps, et celle de Mencius, sur l’existence d’un sens moral

(Ex. 2) Galileo Galilei (1564-1642) On the speed of falling objects

Dans l’exemple (2), Galilée traite un problème de physique par un raisonnement par l’absurde@ (lire en Annexe, le texte plus complet). Il s’oppose à la thèse aristotélicienne selon laquelle les corps lourds tombent plus vite que les corps légers, autrement dit :

Assumption for reductio proof : The speed of fall of bodies in a given medium is proportionate to their weight (Norton 1996, p. 41-42)[6]

Galilée a le génie de se demander ce qui se passe lorsque deux pierres, l’une lourde et l’autre légère sont tied together, attachées l’une à l’autre. Cette croyance entraîne deux conclusions contradictoires (id.):

— La pierre légère ralentit la vitesse de la pierre lourde et la pierre lourde accélère la vitesse de la pierre légère. Donc les deux pierres attachées l’une à l’autre tombent à une vitesse intermédiaire, inférieure à la vitesse de la pierre lourde seule. 
— La pierre légère attachée à la pierre lourde forme un corps plus lourd que la pierre la plus lourde. Donc les deux pierres attachées l’une à l’autre ont une vitesse supérieure à la vitesse de la pierre lourde seule (d’après Norton, 1996, 341-342[7]).

On a donc affaire à une argumentation par l’absurde, concluante, qui permet à Galilée de rejeter la thèse d’Aristote, et d’affirmer sa propre thèse, tous les corps tombent à la même vitesse[8] dans le vide.
L’expérience de pensée est ici la pensée d’une expérience possible, que rien n’empêche de réaliser — sauf la difficulté de créer un milieu où règne le vide parfait.

(Ex. 3) Mencius, 4th Century BC, The Small Child and the Well

Pour décrire l’argumentation développée dans le texte de Mencius (exemple 2.2), nous utiliserons une méthode dérivée de celle qu’utilise Grize pour les opérations argumentatives construisant les objets de discours.

3.2.1 L’argumentation positive

(i) Situation
La situation envisagée par Mencius décrit schématiquement un fait sans doute rare mais possible :

Imagine now a person who, all of a sudden, sees a small child on the verge of falling down into a well.

Cette situation décrit une scène et rapporte une perception, sans la lier à aucune action. Le destinataire peut se projeter dans cette situation. Mencius en dérive une thèse, en deux étapes.

On peut sans doute imaginer une expérience, portant non pas sur un individu particulier ni sur l’humanité entière, qui prendrait pour base non pas les réactions à une situation réelle, mais à une situation représentée

(ii) Attribution d’un état mental accompagnant  nécessairement la perception de la scène primitive :

Any such person would experience a sudden sense of fright and dismay.

Cette dérivation est fondée sur une intuition, un sentiment d’évidence ou de révélation intérieure, accessible par introspection.

Cette conclusion serait balayée par l’hypothèse cartésienne du Malin Génie.
L’introspection fournit une conclusion en première personne : “I would experience…”.
Mencius ne dit pas  que l’enfant était sauvable, ni que la personne émue “se précipiterait pour sauver l’enfant”. L’interprétation est compatible avec “se sauverait effrayé / par peur d’être pris dans une sale affaire”.

(iii) Opérations argumentatives: Spécification, Re-catégorisation, Généralisation

Cette conclusion d’abord catégorisée comme une “experience”, est ensuite re-catégorisée, ou précisée  comme a moral sense, un sentiment moral :

all people possess within them a moral sense that cannot bear the suffering of others

Sur le plan de la disposition textuelle, l’objet de discours ainsi développé correspond à la suite :

a sudden sense of fright and dismay … [an experience] …a moral sense… dismayed commiseration

Ici, le moteur argumentatif n’est pas l’inférence mais des opérations de spécification et de re-catégorisation. Sur le plan conceptuel, par abstraction croissante on a :

 [an experience] > specified as a sudden sense of fright and dismay
> re-categorized  as a specifc moral sense, dismayed commiseration

Cette dérivation s’accompagne de deux généralisations portant sur l’être visé par  ce sentiment moral, et sur l’autre sur la situation, globalement  d’un risque individuel de souffrance à la souffrance de tous

a small child > généralisation > others
on the verge of falling down into a well > généralisation > sufferings

(iv) Cette conclusion est testée par application du topos des contraires

all people possess within them a moral sense that cannot bear the suffering of others
one who lacked a sense of dismayed commiseration in such a case simply could not be a person.

{Humans] would experience a sudden sense of fright and dismay, soit H would experience F
— par application du topos des contraires : non-H would experience non-F

en d’autres termes, one who lacked a sense of dismayed commiseration in such a case simply could not be a person.

(v) Sur-exploitation
Une troisième étape introduite par “moreover” affirme l’existence de quatre sentiments moraux définissant l’être humain : la généralisation est portée par une analogie :

humanity, righteousness, ritual, right and wrong.
Everyone possesses these four moral senses just as they possess their four limbs

3.2.2 Objections et réfutation

La nature argumentative du texte est  attestée par la mention d’objections possibles (prolepse), de nature utilitariste :

— something he summoned up in order to establish good relations with the child’s parents.
— purposefully feel this way in order to win the praise of their friends and neighbors
— because the screams of the child would be unpleasant.

Ces objections sont rejetées, non pas discutées et réfutées.
Elles sont exploitées par une argumentation implicite ad ignorantiam – cas par cas: on ne peut pas imaginer d’autres ressorts à l’action secourable.

On peut opposer à la conclusion de Mencius la thèse de Xunzi (3e siècle av. JC) selon laquelle “Human nature is bad”

Human nature is bad. Their goodness is a matter of deliberate effort. […] They are born with feelings of hate and dislike with them. (Xunzi, Chap 25, Human Nature is bad, p. 248. [9])

Conclusion

L’EP part d’une situation contrefactuelle ou fictive et lui applique un mécanisme de dérivation afin d’en tirer une conclusion pertinente dans le cadre d’une certaine question que nous nous posons sur le monde.

La structure de l’EP  est celle de l’argumentation hypothétique. Sa spécificité tient à la situation envisagée qui est  aux limites, voire au delà du possible. Une fois posée cette hypothèse, l’argumentation se déroule selon les mécanismes argumentatifs généraux.

L’EP met en jeu les mécanismes généraux de l’argumentation ; en cela, elle ne constitue pas un nouveau “type d’argument”.
Cette conclusion est banale, si on la rapporte au fait connu de tous, que l’argumentation peut être extrêmement pressante et bien construite dans un discours par ailleurs délirant.


[1] Avicenna’s al-Nafs [On Psychology)] , which is a section of his al-Shifa (On Healing). Translations are from Michael Marmura, 1986, “Avicenna’s  ‘Flying Man’ in Context” The Monist 69  p. 387. Quoted from David Sanson, “Selection from the floating man”. https://www.davidsanson.com/texts/avicenna-floating-man.html

[2] Dialogues Concerning Two New Sciences by Galileo Galilei. Translated from the Italian and Latin into English by Henry Crew and Alfonso de Salvio. With an Introduction by Antonio Favaro. New York: Macmillan, 1914. [Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze attenenti alla meccanica e i movimenti locali. Leiden, Elzevier 1638. Quoted after https://oll.libertyfund.org/title/galilei-dialogues-concerning-two-new-sciences#Galileo_0416_238

[3] Mencius. [2003]. Translated with an Introduction and Notes by D. C. Lau. Penguin Classics. (First published 1970). Mencius is the romanized name of the Chinese philosopher Mèng Kē or Mengzi, et le titre de l’ouvrage rassemblant ses propos.
Pour bien marquer que l’analyse ne porte pas sur le texte chinois de Mencius mais sur une traduction anglaise de ce texte par Robert Eno, nous tiliserons systématiquement la notation Menciuseno. On peut comparer avec la traduction anglaise MenciusLau ou la traduction française Menciuscouvreur.

[4] Chateaubriand,  Génie du Christianisme, 1802. 1e Part., L. 6, Chap. 2 Du remords et de la conscience. Cité d’après l’éd. Tours, Mame, 1877, p. 87. Sur l’origine littéraire du “paradoxe du mandarin” et sur son immense fortune, voir Michel Delon, « De Diderot à Balzac, le paradoxe du mandarin », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 15 décembre 2013, consulté le 02 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/rief/248 ; DOI : 10.4000/rief.248

[5] Jim R. Brown, The laboratory of the mind: Thought experiments in the Natural Science. London, New York: Routledge 1991)

[6] Norton, John D. 1996, Are Thought Experiments Just What You Thought? Canadian Journal of Philosophy, 26: 333–366.

[7] Norton, John D. 1996, Are Thought Experiments Just What You Thought? Canadian Journal of Philosophy, 26, p. 333–366.

[8] Pour une discussion intégrant le milieu dans lequel tombent les pierres, voir Norton, 1996.

[9] Xunzi – The complete text. Translated and with an introduction by Eric L Hutton. Princeton, Princeton UP, 2014.

[10] Chateaubriand,  Génie du Christianisme, 1802. 1e Part., L. 6, Chap. 2 Du remords et de la conscience. Cité d’après l’éd. Tours, Mame, 1877, p. 87. Sur l’origine littéraire du “paradoxe du mandarin” et sur son immense fortune, voir Michel Delon, « De Diderot à Balzac, le paradoxe du mandarin », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 15 décembre 2013, consulté le 02 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/rief/248 ; DOI : 10.4000/rief.248

Raisonnement hypothétique — R. contre-factuel

1. Syllogisme hypothétique

Un syllogisme hypothétique ou (syllogisme conditionnel) est un syllogisme dont une ou deux prémisses a/ont la forme d’une implication (“—>”, “si … alors …”), V. Connecteur logique, §6.2.

En mathématique, « un axiome est une proposition non démontrée, utilisée comme fondement d’un raisonnement ou d’une théorie mathématique” (Wikipedia, Axiome). L’axiome n’est pas forcément évident (n’est pas une vérité évidente).
On distingue les axiomes au fondement d’une théorie et les hypothèses constituant l’énoncé d’un problème particulier (“Soit un triangle …) V. Démonstration.

2. Constructions conditionnelles dans le langage ordinaire

Le raisonnement conditionnel  (hypothétique) en langue ordinaire correspond aux constructions suivantes, liées à une forme expression ramenable à la forme typique “si … alors ” :

“Si on prend les routes de montagne, il faut plus de 3 heures pour arriver”  (L)
La même loi peut être exprimée par les formes suivantes :
— une structure “quand … alors …”,
— une juxtaposition : tu passes par la montagne, tu mets trois heures,
— une relative : celui qui passe par la montagne met trois heures,
— une construction participiale : en passant par la montagne, il faut trois heures
— par la mention “Faisons l’hypothèse, supposons que…

Si Pierre prend —,      il lui faudra plus de trois heures pour arriver              (1)
S’il prenait —,              il lui faudrait —                                                                  (2)
S’il a pris —,                 il lui faudra —                                                                     (3)
S’il avait pris —,           il lui aurait fallu —                                                             (4)

Le locuteur raisonne à propos d’une personne et d’un voyage que cette personne peut réaliser soit, première  hypothèse qui place le locuteur dans le monde M1, en prenant par les routes de montagne soit, seconde hypothèse (monde M2) par une autre route. Il en tire des conséquences qui valent dans le monde considéré, au moyen de la loi empirique (L).

(1) et (2) appliquent cette loi à la situation S1 où, au moment de l’énonciation, le locuteur :

      • Sait ou croit savoir que Pierre n’est pas parti.
      • Ne sait pas si Pierre a l’intention de prendre / prendra ou non par la montagne.

(3) applique cette loi à la situation S2 où,  au moment de l’énonciation, le locuteur :

      • Sait ou croit savoir que Pierre est parti.
      • Ne sait pas si Pierre a pris par la montagne ou non

(5) applique cette loi à la situation S3 où, au moment de l’énonciation, le locuteur :

      • Sait ou croit savoir que Pierre est parti.
      • Sait que Pierre n’a pas pris par la montagne.

L’assertion conditionnelle (5), exprime l’irréel du passé qui oppose au monde réel un monde alternatif ou contre-factuel.

3. L’argumentation dans un monde possible

Les informations peuvent être vraies, possibles ou fausses. Ces informations sont mélangées de façon indistinguable  dans le monde du mensonge et de la manipulation.
Le monde fictionnel est un monde possible, qu’on sait distinct du monde réel existant ou ayant existé. La collection éditoriale dans laquelle un livre est publié marque le monde dont il est question comme un monde fictionnel.

Un monde possible est un monde où se mélangent informations vraies, possibles et fausses.
Le monde possible n’est pas manipulatoire dans la mesure où il est possible de trier le réel, le possible (hypothèse) et le faux, car ils sont marqués comme tels

Rien ne limite les développements possibles du raisonnement hypothétique dans un monde mathématique ou de l’argumentation dans un monde possible.

Dans l’argumentation conditionnelle, les formes d’argumentation sont les mêmes que dans l’argumentation dans le monde réel,

L’argumentation conditionnelle n’est pas un type d’argument comme l’argumentation causale, mais une argumentation qui se développe à partir d’une prémisse dont on ne dit pas qu’elle est vraie comme le monde réel, mais qu’elle est possible dans un monde possible, ou même fausse dans un monde contre-factuel (§3.2).

La constructions hypothétique simple pose l’existence d’un monde possible ayant telle et telle caractéristique, et en tire une conséquence valable dans ce monde.

(1b) … Il est 6h (I1), et nous devons être au restaurant à 8h (I2). Soit il passe par la plaine, et il sera là vers 8h. soit nous devons annuler le restaurant.

Dans (1b) le locuteur se situe dans le monde (M1) où “Pierre prend par la montagne”, il l’enrichit de deux nouvelles informations partagées (I1) et (I2), introduit un nouveau monde possible où “Pierre prend par la plaine” (M2), se livre à un petit calcul “6 +3+ = 9+”, sous-entend une argumentation par les conséquences négatives (le restaurant n’acceptera plus de commencer à servir à 9h) et replanifie la soirée en conséquence.

4. Raisonnement dans un monde contre-factuel

Soit le fait avéré :

Pierre est parmi les victimes de l’attentat.

Ce fait entre dans une narration qui reprend les derniers moments de la vie de Pierre.

Avant de se coucher, il a eu  envie d’une cigarette, mais il n’en avait plus. Le bureau de tabac en bas de chez nous était fermé, comme tous les dimanches soir.  il m’a dit que, comme il faisait bon, allait au drugstore. Et il est mort dans l’attentat.

Cette situation qui aboutit à un fait tragique est propice à la reconstruction du passé. On imagine un monde où les choses se sont passées autrement, par exemple, en imaginant un événement qui brise la chaîne causale qui a conduit à la catastrophe :

Si Pierre avait pu arrêter de fumer, si le bureau de tabac avait été ouvert… alors il serait toujours en vie.

La construction contre-factuelle permet de construire des mondes fictionnels à partir du point où ils dévient du monde réel :

Énoncé factuellement vrai : Les États-Unis ont vaincu le Japon et l’Allemagne en 1945

Énoncé contre-factuel (faux) correspondant :
Le Japon et l’Allemagne [ont] vaincu les États-Unis en 1945

Développement du monde contre-factuel :
Si le Japon et l’Allemagne avaient vaincu les États-Unis en 1945 …

Les situation contre-factuelles peuvent se développer en fictions complexes : voir par exemple, à propos de la situation précédente, Philip K Dick, Le Maître du haut château, 1970 [1] 

5. L’argumentation dans l’expériences de pensée

Les situations contre-factuelles peuvent également se développer sur le mode de l’expérience de pensée, dont la finalité est entièrement de prouver une thèse.


[1] J’ai lu, 1970. Trad. de l’anglais, The Man in the High Castle 1962.


BROU-Argumentation DIRECTE vs INDIRECTE

En droit, on oppose les preuves directes aux preuves circonstancielles ou indirectes. Les arguments indirects introduisent une étape supplémentaire, c’est-à-dire potentiellement un maillon faible dans le raisonnement.

L’argumentation indiciaire est indirecte, lorsqu’elle exploite des indices non déterminants, accidentellement associés à l’action ou relevant des circonstances accompagnant l’action, et non pas de l’action elle-même  : “il avait l’air de quelqu’un qui prépare un mauvais coup”.
Un témoin affirmant qu’il a vu l’accusé sur les lieux du crime peu après le crime est un argument central ; s’il dit qu’il a vu un ami de l’accusé sur ces lieux, son témoignage est périphérique, à moins qu’il n’établisse une complicité dans la préméditation du crime.
Le poids de la personne et de ses sentiments peut jouer un rôle central ou périphérique

L’argumentation par l’ignorance est indirecte. Elle conclut par le défaut d’alternative. Une proposition est admise parce qu’on ne peut ni la réfuter, ni en proposer une autre. Elle considère que l’absence de preuve en faveur d’une thèse est argument décisif contre cette thèse.

L’argumentation au cas par cas, qui conclut par élimination de toutes les possibilités sauf une qui est déclaré correspondre au cas en question. On fait l’inventaire des possibilités, on constate positivement qu’aucune d’entre elles sauf une n’est avérée, et on déclare que celle-ci est avérée. Si dans une affaire on a dix coupables potentiels, si les neufs premiers disposent d’un alibi concluant, rien ne permet de dire que le dixième est forcément coupable.