Contre-Argument, Contre-argumentation

Argumentation, Contre-argumentation

Sous une même question argumentative QA, peuvent se développer :

— d’une part, un discours D qui développe la proposition P,
— et d’autre part, un discours Dqui réfléchit au même problème selon d’autres critères, et lui trouve une solution P, différente de P, en s’appuyant sur des arguments et des argumentations Arg, et tout cela en s’abstenant systématiquement de mentionner D.

D se présente simplement un discours autre qui choisit d’ignorer le discours concurrent, et de se concentrer sur la construction de sa propre position.
Une telle stratégie fortement assertive permet de focaliser positivement l’intervention, elle évite les paradoxes de la réfutation, mais peut être considérée comme une forme de mépris des arguments avancés par une partie adverse, “même pas dignes d’une réfutation

On parle de contre-argumentation lorsque de tels discours entrent ouvertement en contact. À l’affirmation d’une position argumentée D, l’interlocuteur réplique par l’affirmation d’une autre position également argumentée, CD.

L : — Construisons la nouvelle école ici, les terrains sont moins chers.
           PropositionD, Argument ArgD

L : — Si on la construit là-bas, les élèves auront moins de transport.
— PropositionD, Argument ArgD

Cette structure d’argumentation / contre-argumentation peut correspondre à une situation argumentative émergente, ou aux moments où les participants présentent et argumentent leur position sans considérer la proposition de l’antagoniste. Une telle situation peut se produire à tout moment dans une situation argumentative concrète, particulièrement aux moments où les partenaires doivent récapituler leurs positions. V. Antithèse.

On parle de contre-proposition argumentée, et de conclusion incompatible, non pas de *contre-conclusion.

Contre-argumentation faible

La contre-argumentation faible fonctionne comme la réfutation faible : elle renforce la position qu’elle attaque. Dans le passage suivant, N. Chomsky tire argument de ce qu’il construit comme l’échec de la contre-argumentation de son adversaire, le philosophe H. Putnam, pour suggérer que lui, Chomsky, pourrait bien avoir raison :

Jusqu’ici, à mon sens, non seulement [Putnam] n’a pas justifié ses positions, mais il n’est pas parvenu à préciser ce que sont ces positions. Le fait que même un philosophe de son envergure n’y parvienne pas nous autorise peut-être à conclure que…
Noam Chomsky, Discussion sur les commentaires de Putnam 1979 [1]

Les points de suspension terminant la phrase sont de Chomsky. L’éloge des compétences de son adversaire, « un philosophe de son envergure », fait partie de cet important topos de la réfutation du discours contre-argumentatif. V. Politesse ; Ignorance.

Réfutation substantielle et réfutation contextuelle

La réfutation substantielle d’une argumentation correspond aux mécanismes de réfutation visant la forme et le contenu de cette argumentation (Brandt et Apothéloz 1991, p. 98-99).Dans une opposition argumentation vs contre-argumentation, les deux partenaires argumentent au sens positif du terme, c’est-à-dire défendent une position. Mais argumentation et contre-argumentation ont en outre un rôle de réfutation réciproque, qu’on peut appeler réfutation contextuelle.
Par le jeu de la négation en situation bipolarisée, le fait de fournir une raison de faire ou de croire B, incompatible avec A, se transforme en raison de ne pas faire ou de ne pas croire A.
Les arguments positifs qui soutiennent A peuvent être désignés, relativement à B, comme des contre-arguments contextuels c’est-à-dire “des arguments qui défendent une proposition autre”.

Discours, Contre-discours et Charge de la preuve

Lorsque le dialogue argumentatif est engagé, particulièrement lorsque la question argumentative a une longue histoire, les deux discours en présence combinent en miroir deux types d’opérations :

Travail négatif de rejet de l’autre discours.
Travail positif de construction d’une proposition autre.

La charge de la preuve rompt cet équilibre apparent. On peut alors parler, dans une situation donnée de discours et de contre discours. Si Y supporte la charge de la preuve, il est dans l’absolu, contre-discours de X.
Si le cadre de la discussion change, la charge de la preuve change de discours.


[1] Massimo Piattelli-Palmarini éd., Théorie du langage, théorie de l’apprentissage, Paris, Le Seuil, 1979, p. 461.