Éthos, une catégorie stylistique

L’éthos, c’est l’homme, – et l’homme, c’est le style. Si l’on cherche une méthode systématique pour étudier l’éthos, on rencontre la tradition stylistique. Quintilien note ainsi l’efficacité d’un “effet de style” lié au choix du vocabulaire qui doit être considéré comme un effet éthotique :

Les mots archaïques n’ont pas seulement pour eux des garants importants ; ils apportent au style une certaine majesté qui n’est pas sans charme : ils ont en effet, l’autorité du temps, et, comme ils sont tombés en désuétude, ils procurent comme un attrait de nouveauté.
Quintilien, I. O., I, 6, 39 ; p. 115

L’autorité du mot énoncé est constitutive de l’éthos de l’énonciateur. L’être de langage, « effet du discours lui-même », est construit à partir de traits de tous niveaux linguistiques : la voix, puissant vecteur d’attraction / répulsion, les usages lexicaux, la syntaxe, la manière de bafouiller, le type de plaisanterie, etc. Les pratiques argumentatives permettent les mêmes inférences sur le caractère :

— celui qui fait des concessions est un modéré / un faible ;
— celui qui n’en fait pas est droit / sectaire ;
— celui qui fait appel aux autorités est dogmatique ;
— celui qui utilise les arguments par les causes et les conséquences est un pragmatique réaliste ;
— celui qui réfère son discours à la nature des choses et à leur définition affiche un éthos de conviction, conservateur.

D’autres formes comme l’argumentation par l’absurde ou l’argumentation par analogie ne définissent pas d’éthos spécifique.

Le lien de l’éthos avec la stylistique est établi par l’Art rhétorique d’Hermogène de Tarse. Hermogène fait de l’éthos une des sept Catégories stylistiques du discours, qui sont les qualités de :

Clarté, grandeur, beauté, vivacité, éthos, sincérité et habileté
Hermogène, A. R., 217, 20 – 218, 05 ; p. 323 ; Patillon, 1988, p. 213

L’éthos est donc une des catégories stylistiques du discours ; il y a des discours avec ou sans éthos ; et il peut y avoir un peu ou beaucoup d’éthos dans un discours donné. En d’autres termes, le degré d’implication du locuteur dans son discours est une affaire stratégique.

La catégorie de l’éthos est elle-même constituée de quatre composantes : la naïveté (saveur, piquant) ; la modération ; la sincérité ; la sévérité. On comparera avec les qualités de sagesse, d’expertise et de bienveillance dont se compose l’éthos aristotélicien. Chacune de ces composantes se caractérise par des pensées, des méthodes, des mots, des figures, des rythmes et des coupes de phrase.

Ces quatre catégories éthotiques contribuent à la production de l’éthos sincère :

    • La naïveté, le naturel, la franchise des pensées simples.
    • La modération, attribut du citoyen ordinaire, peu habitué aux manœuvres d’assemblées (Patillon 1988, p. 259).
    • La sincérité proprement dite.
    • La sévérité, ou la dureté, dans l’accusation de l’autre ou de soi-même.

Aussi étrange que cela puisse paraître, la sincérité est un style. L’éthos sincère se construit par les moyens langagiers suivants (Patillon 1988, p. 261 sqq.) :

    • Un sentiment, l’indignation.
    • Une méthode de gestion générale du discours, en particulier l’équilibre réalisé entre ce qui thématisé et ce qui suggéré et implicité.
    • L’emploi des mots de la sincérité, « ceux de la rudesse et de la véhémence ».
    • L’emploi de figures comme l’apostrophe, le démonstratif péjoratif, les figures de l’embarras, réticence, doute, hésitation, corrections, interrogations.
    • Les commentaires personnels et la suspension du discours

Les figures servent la construction de l’éthos, donc l’argumentation : on mesure la distance avec les rhétoriques post-ramusiennes où l’invention est divorcée de l’élocution.

La sincérité est le produit d’une stratégie langagière ; ce n’est pas un supplément étranger au discours qui lui viendrait d’un impératif moral extérieur, elle est le produit d’un certain régime de discours. Ce fait a des incidences pour l’éthique du discours.