Invention: La collecte des arguments

La théorie de l’argumentation comprend un volet formel et un volet substantiel. Le premier s’intéresse aux différents modes de passage d’un argument à une conclusion, autrement dit aux types d’argumentations. Le second porte sur la recherche et la sélection de contenus exploitables comme arguments, objet propre de la théorie de l’inventio, V. Rhétorique. Le mot peut se traduire par “invention”, mais seulement au sens que le mot a dans l’invention, l’inventeur d’un trésor pour parler de sa “découverte” et de la personne qui l’a trouvé. La rhétorique n’invente pas ses arguments au sens courant du terme, elle les découvre.

L‘inventio rhétorique exploite une méthode générale de recherche et de structuration de l’information fondée sur un questionnement systématique, en principe applicable à tous les êtres et à tous les événements.

1. Une technique universelle de recherche de l’information

    • inventio “Action de trouver, de découvrir ; Faculté d’invention, invention”.

1.1 Organisation et questionnement du réel ordinaire

L’inventio rhétorique exploite une méthode universelle de fouille du réel procédant par un questionnement systématique qui permet de dégager, structurer et exploiter l’information.

Ce questionnement repose une ontologie, qui est dérivée des Catégories d’Aristote (1b 25 sq. ; Tricot, p. 5) ; selon Benveniste (1966, ch. VI), ces catégories de pensée sont liées aux catégories de langue. Cette ontologie organise le monde des événements selon les paramètres suivants :

Personne, Action, Temps, Lieu, Manière, Cause ou Raison …

Il s’agit d’une ontologie occidentale ; nous parlons d’ontologie tout court par ignorance d’autres ontologies. Les paramètres qui la composent varient selon les auteurs.

Ces paramètres sont des “têtes de chapitres” qui permettent d’effectuer un premier découpage de la réalité. Ils peuvent être rapprochés du système de complémentation des phrases, et de celui des mots interrogatifs.

Paramètres Question Exemple
Temps Quand ? hier,
Personne focus Qui ? Pierre
Action Quoi ? a rencontré Paul
Quantité Combien ? deux fois
Lieu Où ? à la brasserie Georges
Manière Comment ? avec beaucoup de précautions
But, raison Pourquoi ? pour discuter de leurs affaires

On peut parler de topique interrogative en référence aux questions elles-mêmes, ou de topique substantielle en référence aux informations concrètes qui leur répondent.

L’application systématique de la grille interrogative fournit une méthode d’enquête permettant de collecter exhaustivement et d’organiser les informations relatives à un événement quelconque. Cette méthode interrogative est extrêmement efficace, toujours utilisée, et on ne voit pas comment elle pourrait ne pas l’être.

Elle est connue actuellement comme la méthode “QQOQCCP, Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi ?” (“Five W” en anglais). Au Moyen Âge, elle guidait la pratique des confesseurs pour traquer le péché (Robertson & Olson, 2017). On peut parler de questions “inquisitoires”, au sens où une inquisition est définie comme une « enquête, recherche méthodique, rigoureuse » (TLFi, Inquisitoire). Elle constitue un socle de la pensée ordinaire occidentale.

Les mots interrogatifs ont déjà été reconnus dans diverses langues à des fins différentes : à des fins spéculatives, dans le latin des scolastiques : cur, quomodo, quando [pourquoi, comment, quand] ; à des fins militaires en allemand, où la tétralogie “Wer ? Wo ? Wann ? Wie ?” est enseignée à toutes les recrues militaires comme canevas des renseignements que tout éclaireur en reconnaissance doit être capable de se procurer et de rapporter à ses chefs. (Tesnière 1959, p. 194)

1.2 Exploitation de la topique interrogative

Du point de vue de la rhétorique, ces questions topiques guident la quête d’arguments, en pointant vers les points où il faut chercher les informations constituant la substance des arguments. Ces points sont désignés métaphoriquement comme des lieux, topos (pl. topoï) en grec, locus (pl. loci) en latin, V. Topos ; Types d’argument.

Examinons maintenant les lieux [loci] qui fournissent les arguments. […] pour moi, ce sont des bases [sedes] où se cachent les arguments et d’où il faut les tirer. En effet, toutes les terres ne produisent pas la même chose […] ; de même parmi les poissons, les uns aiment les fonds plats, les autres les fonds rocheux […] ; de même n’importe quel argument ne peut être tiré de n’importe où et il ne faut pas chercher sans discrimination. (I. O, V, 10 § 20-21 ; p. 132-133)

La discussion de la méthode de questionnement est reprise par Quintilien, dans la discussion des « états de cause » (I. O. III, 6 ; Cousin p. 160 sq. V. Stase). Pour Quintilien la topique substantielle la plus générale permettant de caractériser un événement (quoi ? de quoi s’agit-il ?) est constituée par l’ensemble des questions topiques portant sur les points suivants :

les personnes (a personis) : Qui ?
les motifs (causis) : Pourquoi ?
les lieux : Où ?
les temps : Quand ? (avant, pendant, après)
les moyens, « où nous avons rangé l’instrument » : Comment (moyens) ?
la manière, « c’est-à-dire les modalités particulières d’une action » : Comment (manière) ?

O., V, 10, 94 ; p. 153

La liste des questions permettant de trouver des informations sur l’événement s’étend à « la définition, le genre, l’espèce les différences, les propriétés, l’élimination (finitio), la division, l’origine, les accroissements, les similitudes, les dissemblances, les contraires, les conséquences, les causes efficientes, les effets, les résultats, la comparaison, qui est subdivisée en plusieurs espèces » (V, 10, 94). Ces différents paramètres fournissent ainsi des arguments “tirés de” la définition, du genre, de l’espèce… de l’origine (de la cause…) des analogues, des contraires, etc. L’énumération fournit une liste de types d’arguments.

Par exemple, on m’accuse de vol. Le lieu (la question) de la définition joue un rôle essentiel : qu’est-ce qu’un vol ? Comment définit-on le vol ?

— L’accusateur porte plainte pour vol, en fournissant une description d’un événement correspondant à la définition d’un vol, “c’est mon sac ! ; il me l’a arraché ”.
— Le défendeur peut répondre en redéfinissant son action, “Ce n’est pas un vol, c’est juste un acte rituel compulsif, j’en ai parlé beaucoup avec mon thérapeute”.

Une question topique est une question portant sur un de ces paramètres, considéré métaphoriquement comme un “lieu”. L’ensemble de ces questions constitue ainsi une topique. Chacun de ces lieux généraux constituent un domaine spécifique, lui-même structuré selon un ensemble de paramètres liés à des sous-questions constituant des sous-topiques, voir §2 Topique de la personne). Les “têtes de chapitres” pertinentes ainsi déterminées sont les points d’engendrement du texte.

D’une façon générale, tout domaine structuré est organisable selon cette méthode de questionnement. Comme ces “têtes de chapitres” correspondent à des types d’arguments, le terme topique peut être utilisé pour désigner un ensemble des types d’arguments caractérisant le domaine, ou les plus courants dans le domaine, V. Topique politique ; Topique juridique.

1.3 La méthode

Ces rubriques permettent d’atteindre des informations qui peuvent être très précises et concrètes

— Quand [avez-vous établi le contact] ?
— Le 23 juillet 2020 à 20h32.

L’ensemble des informations recueillies permet de constituer une documentation exhaustive et méthodique sur un événement. Cette documentation peut être utilisée comme base d’une description, d’une narration, d’un rapport, d’un article de journal, d’un essai etc. Elle n’est pas, dans son principe, liée spécifiquement à un souci argumentatif, mais les informations qu’elle réunit peuvent aussi être traitées comme des données qui, structurées par un principe inférentiel, conduiront à des conclusions.

La qualité de la documentation obtenue dépend entièrement de la façon dont sont obtenues les réponses, selon qu’elles sont ou non construites sur une base empirique.

— Elles peuvent être fournies a posteriori, c’est-à-dire après une enquête complète et documentée sur les spécificités du cas. Les arguments obtenus sont dits “non techniques”, parce qu’obtenus sans le secours de l’art rhétorique.

— Elles peuvent être forgées a priori. L’argumentation s’alimente alors d’endoxa, de représentations socialement admises et d’idées préconçues plausibles, au sens d’approuvée par le groupe social concerné. Les conclusions de ces argumentations sont des “preuves rhétoriques”, “preuves techniques, qui peuvent être d’une efficacité redoutable lorsqu’elles se substituent à l’enquête empirique, V. Probable, plausible, vraisemblable.

Dans les deux cas, la base documentaire réunie nourrit la machine inférentielle argumentative. Si elle fonctionne sur la base de données endoxales, a priori, obtenus par la méthode “technique”, une argumentation de bureau produira en conclusion un nouveau lieu commun. Cette argumentation endoxale se développe naturellement lorsque les données concrètes manquent, ou que l’information disponible ne va pas dans le sens de la cause. C’est alors que le rhéteur déploie, à ses risques et périls, son habileté “technique” en suppléant à l’information factuelle manquante l’information plausible exprimée par les lieux communs. Les certitudes s’appuyant sur la doxa viennent alors combler les lacunes de l’information.

2. Topique de la personne

2.1 Paramètres de la personne

Dans le cadre des représentations et des valeurs de la société romaine du 1er siècle, Quintilien considère les paramètres suivants qui guident l’enquête sur une personne :

Famille ? — Nation, patrie ? — Sexe ? — Âge ? — Fortune, condition ? — Dispositions caractérielles ? — Genre de vie ?

Cet ensemble constitue la sous-topique attachée à la question Qui ? de la topique substantielle universelle précédemment définie. Tous les autres lieux admettent leurs propres sous-topiques : topique du lieu, du temps, etc.

L’argumentation rhétorique “technique” élabore ses conclusions sur ces endoxa, en l’absence ou au mépris des données concrètes de l’enquête. Quintilien propose les lignes argumentatives suivantes.

— « La famille, car on croit généralement que les fils ressemblent à leurs père et mère et à leurs ancêtres, et cette ressemblance est parfois la cause de leur comportement, honnête ou honteux » (I. O., V, 10, 24 ; p. 133). L’enquête sur la famille permettra par exemple de recueillir des informations “son père est de bonne famille”, ou “son père a été condamné”. Les informations venant sous ce topos fournissent les arguments permettant par exemple l’application de la règle “tel père, tel fils”, qui fonde des inférences comme :

Le père a été condamné, donc le fils a une “lourde hérédité”.
Il a commis une erreur, mais son père est de bonne famille, bon sang il ne saurait mentir, il mérite donc une seconde chance.

Le topos “À père avare, fils prodigue” s’oppose au précédent : si le père a un vice, le stéréotype sociolinguistique n’attribue pas au fils la vertu correspondante, mais soit le même vice, soit le vice opposé.

— « La nation », « la patrie » (ibid., 24 ; 25 ; p.133). La question sur la nation permet de dégager les stéréotypes nationaux : “s’il est Espagnol, il est fier, s’il est Britannique, il est flegmatique”. Ces conclusions “il est fier, il est flegmatique” serviront ensuite comme prémisses pour d’autres conclusions désirées.

— « Le sexe,étant donné qu’on croit plus aisément à un vol de la part d’un homme, à un empoisonnement de la part d’une femme » (ibid., 25 ; p. 133-4). Si l’enquête sur l’empoisonnement conclut à la culpabilité d’une femme, tout est dans l’ordre.

— « L’âge », qui peut être une circonstance atténuante ou aggravante ; « l’état physique car l’on invoque souvent comme argument pour la débauche la beauté, pour l’agressivité la force » (ibid., 25 ; p. 134). Autrement dit, “il est beau, c’est un débauché” est plus vraisemblable-persuasif que “il est beau, donc il mène une vie de saint”. Si A est plus fort que B, alors “A est plus agressif que B” est vraisemblable, et, en conséquence, si A et B se sont battus, “c’est A qui a attaqué B”, en d’autres termes, A supporte la charge de la preuve. Ces inférences se retournent par appel au paradoxe du vraisemblable : “c’est B qui a attaqué A, parce qu’il savait que les vraisemblances (les apparences) étaient contre A”.

— « La fortune », « la différence de condition entre un homme célèbre ou un homme obscur, un magistrat ou un simple particulier, un père ou un fils, un citoyen ou un étranger, un homme libre ou un esclave, un homme marié ou un célibataire, un père de famille ou un homme sans enfants » (ibid., 26 ; p. 134). Sous cette rubrique viennent l’ensemble des rôles sociaux et les lieux communs qui leur sont associés. S’il est possible de dire de quelqu’un que c’est un paysan du Danube, on pourra lui appliquer le topos de la personne qui dit forcément la vérité, V. Richesse. Un vieil homme de la campagne, assis sur un banc dans le soleil couchant, donnera certainement quelque réflexion profonde et vraie sur le temps qu’il va faire et l’état actuel du monde.

— « Les dispositions caractérielles : car l’avarice, l’irascibilité, la pitié, la cruauté, la sévérité, et autres traits semblables, portent souvent à croire ou à ne pas croire à un acte donné » (ibid., 27, p. 134) : “l’assassinat a été commis de manière particulièrement cruelle, Pierre est cruel, donc l’assassin, c’est lui”.

— « Le genre de vie », « fastueux ou frugal ou sordide ; les occupations aussi (car l’activité diffère s’il s’agit d’un paysan, d’un homme de loi, d’un homme d’affaire, d’un soldat, d’un marin, d’un médecin. » (Ibid.). Se situent sous cette rubrique toutes les caractéristiques relevant de l’éthos professionnel.

— « Les prétentions des individus à paraître riches ou éloquents, justes ou influents » (id., 28), V. Mobiles

— « Les activités et les paroles antérieures », qui servent à déterminer les mobiles et les précédents (ibid., 28, p. 134).

— « Les troubles de l’âme, […] la colère, l’épouvante » (ibid., 28, p.134-135), V. Émotions.

— « Les desseins » (ibid., 29, p.135).

— « Le nom », V. Nom (ibid., 30, p.135).

2.2 Tirer le portrait

Les questions associées à ces paramètres de la personne permettent de recueillir et de structurer l’information caractérisant un être ou un événement donné. En regroupant les réponses à ces questions, on peut construire un portrait comme le suivant :

Un homme de trente ans, français, breton, allure sportive, de bonne famille, n’ayant jamais terminé ses études, très aimable avec ses voisins, vivant seul, ayant beaucoup d’amis, menant une vie rangée, employé dans une pharmacie, sans grande ambition…

Chacun des éléments constituant ce portrait est en lui-même parfaitement recevable, et peut être légitimement prise pour prémisse dans une enquête concernant cette personne.

D’autre part à chacune de ces informations correspond des endoxa caractéristiques, sur les hommes de trente ans, les français, les bretons, etc.

2.3 Argumenter sur les données collectées

Le questionnement guide la constitution d’un stock de prémisses. Le raisonnement part de d’information comme “Pierre est un X”, prend pour principe de caractérisation le stéréotype “les X sont comme ça”, et conclut que “Pierre est comme ça”.

Soit une question argumentative “Untel a-t-il commis ce crime affreux ?

1) L’enquête suit le fil du questionnement, à commencer par la question Qui ? Qui est Untel ? ; cette question couvre la question dérivée “Quelle nationalité ?”. On enregistre ici le fait que Untel est Syldave.

Cette information factuelle figure normalement dans le dossier de Untel, mais on ne sait pas si elle se révélera pertinente pour l’enquête. Elle peut l’être, par exemple si Untel est à l’étranger et si se pose la question de son extradition. Dans ces cas, l’information est un élément matériel du dossier, indiscutable (a-stasique) et comme telle, elle est considérée par la rhétorique comme un élément non technique.

2) Endoxon sur les Syldaves. De nombreux stéréotypes de tous ordres sont attachés à la nationalité, “les Syldaves sont comme ça”. Chacun de ces jugements comporte une orientation argumentative particulière. Par exemple, supposons qu’il se dise que “les Syldaves sont d’un naturel paisible/sanguinaire”.

3) L’instanciation de cet endoxon est exploitée comme un argument allant dans le sens de l’innocence / de la culpabilité de Untel. Si l’instanciation de la définition endoxale dit que “Untel est (certainement) d’un naturel paisible / sanguinaire”, on en dérive, par application directe au cas considéré, “la culpabilité de Untel est peu plausible/plausible”.

On continuera la recherche en posant toutes les questions constituant la topique interrogative de la personne, voir infra. Puis on enchaînera par les autres questions composant la topique interrogative générale … où, quand, … cela s’est-il passé ?

D’autres questions topiques posées à propos du même Untel pourraient fournir d’autres orientations, éventuellement incompatibles.

Ces questions mettent à jour des possibilités, qui créent des présomptions et placent la charge de la preuve sur la base de jugements préétablis, indépendamment du résultat de toute enquête détaillée sur l’affaire.

2.4 La littérature de “caractères”

Elle fournit une technique de construction du portrait. Elle établit ainsi un lien entre argumentation et littérature, littérature des “Caractères”, en premier lieu ceux de Théophraste, mais d’une façon générale littérature des portraits et des mœurs. On passe de l’éthos à l’éthopée. On n’est plus dans le domaine de l’auto-fiction mais dans celui de la fiction tout court. Cet éthos fictionnel articule l’éthos en action et en paroles : on décrit les actions de l’Avare ou du Bavard et on reproduit ses discours.

De tels portraits décontextualisés peuvent être utilisés comme des stocks de jugement autorisés sur le type de personnage qu’ils dépeignent, V. Autorité. Ils servent de préparation à l’exercice de l’argumentation en situation, qui les appliquera à une personne particulière.

Historiquement, la littérature des portraits est liée à un processus éducatif, esthétique et cognitif cohérent d’écriture et de pensée contrôlées et systématiques, l’antithèse même d’une écriture automatique.

3. “Cette mauvaise fertilité des pensées communes” (Port-Royal)

Un lieu commun substantiel, ou lieu commun tout court, est fondamentalement un jugement partagé dans une communauté, sans aucun sens péjoratif. Un tel jugement trouve son usage optimal quand il est utilisé comme argument, puisqu’il est difficilement récusable dans cette communauté. Il exprime un accord socialement ratifié, préalablement à son usage dans une argumentation particulière. Les lieux communs constituent un plus petit dénominateur social partagés, et en tant que tels, sont de puissants instruments de cohésion orateur-auditoire.

Ces lieux communs peuvent porter sur n’importe quel élément de réalité. Il n’est pas possible d’en établir une liste. Les plus prestigieux de ces lieux communs substantiels étaient rassemblés dans des “commonplace books”, ou “livres de sagesse”, comme les Adages d’Erasme, une forme littéraire qui n’a plus cours.

Mais la machine à collecter les prémisses est en fait surpuissante. Lorsqu’elle repose exclusivement sur des associations de certitudes constituant la doxa, elle permet de produire rapidement des images plausiblespersuasives, des choses et des événements, et par conséquent difficiles à réfuter sinon par d’autres endoxa, — mais empiriquement vides.

Port-Royal a sévèrement blâmé « cette mauvaise fertilité de pensées communes » :

Car tout ce qu’on peut prétendre par cette méthode est de trouver sur chaque sujet diverses pensées générales, ordinaires, éloignées […]. Or tant s’en faut qu’il soit utile de se procurer cette sorte d’abondance, qu’il n’y a rien qui gâte davantage le jugement.
Rien n’étouffe plus les bonnes semences que l’abondance des mauvaises herbes : rien ne rend un esprit plus stérile en pensées justes et solides que cette mauvaise fertilité de pensées communes. L’esprit s’accoutume à cette facilité, et ne fait plus d’effort pour trouver les raisons propres, particulières et naturelles, qui ne se découvrent que dans la considération attentive de son sujet.
Arnauld, Nicole, [1662], III, XVII; p. 235