Objet de discours

Le concept d’objet de discours a été développée dans le cadre de la logique naturelle de Jean-Blaise Grize, en relation avec ceux de schématisation et de faisceau d’objet.

Un objet de discours est fondamentalement une chose, une situation, caractérisée par sa plasticité, c’est-à-dire remodelée en permanence tout au long du discours ou de l’interaction.

1. Faisceau d’un objet de discours

L’objet de discours est défini par son faisceau, formé par l’ensemble de ce qui a « affaire avec » l’objet considéré (Grize 1990, p. 78), soit :

Un ensemble d’aspects normalement attaché à l’objet. Ses éléments sont de trois espèces: des propriétés, des relations et des schèmes d’action. Ainsi dans le faisceau de “la rose” on a des propriétés comme ‘être rouge’ […], des relations comme […] “être plus belle que”, des schèmes d’action comme “se faner” […] » (ibid., p. 78-79).

Le faisceau d’objet est défini au niveau notionnel et ne cherche à coïncider ni avec des catégories linguistiques telles que celles de l’analyse en traits sémantiques (ibid., p. 79) ni avec des données lexicographiques telles que celles utilisés dans les dictionnaires, ni avec des traits ontologiques prétendant saisir l’être de l’objet (différenciant les caractéristiques essentielles des accidentelles (V. Catégorie), ni avec des éléments associés à l’objet par des principes dont la base serait, en fin de compte, psychologique.

Le faisceau caractérisant un objet de discours est défini, à partir d’un corpus donné, par l’ensemble des collocations des termes désignant cet objet ou associés à cet objet.
En pratique, on l’étudie l’objet de discours à partir de l’ensemble des mots renvoyant à cet objet : chaînes coréférentielles évolutives, prédications opérées sur ces termes, connexions avec d’autres objets.
Au fil d’un discours, l’objet de discours est envisagé sous divers angles ; il s’enrichit par progressive agrégation de propriétés nouvelles, qui apparaissent lorsque cet objet est associé avec d’autres êtres (par exemple par causalité, analogie, incompatibilité), selon les événements auxquels il participe.

Les éléments qui entrent dans le faisceau d’un objet donné ne sont pas connus a priori ; ils sont établis à partir de l’examen « de textes effectivement produits » (ibid., p.80). Ainsi, à partir d’un texte de La Mettrie, on constitue le faisceau de l’objet constituant l’objet “corps” :

{corps, mouvement du sang, les fibres du cerveau, les muscles} (Ibid., p. 78)

L’objet de discours s’enrichit par progressive agrégation des propriétés qui lui sont attribuées dans un corpus, des êtres auxquels il est associé, des événements auxquels il participe, etc.

Cette notion est centrale pour la discussion du statut discursif des objets. Un objet de discours (autogéré ou interactif) est un être, une propriété, un fait, un événement… saisi à travers la façon dont le discours le produit, le manifeste et le transforme. L’étude des objets de discours met au premier plan la plasticité des notions : mode d’introduction, évolution propre, évolution de leurs domaines. Elle recoupe l’étude des mécanismes d’isotopie, de cohésion et de cohérence thématique, et ne particulier des paradigmes désignationnels (Mortureux 1993). Un paradigme désignationnel est constitué par l’ensemble des mots et expressions constituant la chaîne anaphorique permettant de tracer l’objet de discours. Elle retrouve des observations essentielles de la rhétorique sur les déplacements de signification.

L’importance de la notion d’objet de discours tient à la rupture qu’elle inaugure avec la tradition logique qui repose sur la stabilité des objets, et considère comme fallacieuses toutes les variations de sens et de référence introduites au fil du discours.

3. Objets de discours en situation argumentative

Le discours peut mobiliser un grand nombre d’objets, et se pose alors la question de la délimitation pratique de l’étude. L’argumentation, en tant qu’elle porte sur des discours en confrontation, introduit un critère de pertinence spécifique, permettant de limiter les objets de discours à prendre en compte : les objets argumentatifs sont ceux à propos desquels il y a opposition. De même que les affirmations non contredites valent les affirmations vraies, les objets de discours non divisifs ou “pacifiques” valent les objets réels et restent périphériques. L’étude de l’argumentation est contrastive ; elle porte d’abord sur les objets disputés, tels que les construisent les discours en opposition sur une question donnée.
L’étude des développements discursifs de ces objets conflictuels est une tâche fondamentale de l’étude des questions argumentatives.

Les données suivantes sont extraites d’une discussion entre étudiants et concernent les conditions qu’une personne doit remplir pour obtenir la nationalité française ; la question clé “Qui peut / doit obtenir la nationalité française ?” structure immédiatement le débat. Les deux positions antagonistes prises par les participants se reflètent clairement dans les deux systèmes de désignations qu’ils utilisent pour construire ce “qui ?”.

Des êtres consensuels

Tous les étudiants s’accordent à dire qu’il existe un groupe non problématique, qui devrait avoir un droit automatique à la nationalité française, à savoir « les persécutés ».

Des êtres conflictuels

Des personnes ayant droit
Un groupe d’étudiants soutient que le processus d’obtention de la citoyenneté devrait être facilité. Les immigrants sont construits comme des personnes ayant droit à la nationalité française ; ce groupe est en outre spécifié comme :

— Une force de travail ; des gens qui sont venus travailler en période de prospérité.
— Des gens à qui nous avons demandé de venir.
— Des gens que nous avons accueillis.
— Des gens qui sont là depuis très longtemps.
— Par extension, leurs proches ; leurs enfants, nés : en France ; dans d’autres pays.

Des personnes problématiques
Un autre groupe d’étudiants soutient que le processus d’obtention de la citoyenneté devrait être durci. Dans cet ensemble de discours co-orientés, les immigrants sont construits comme des personnes n’ayant pas droit à la nationalité française, et ces individus sont désignés comme :

— Des immigrants sans papiers.
— Des immigrants illégaux
— Des personnes ayant des problèmes.
— Des personnes créant des problèmes.
— Des immigrants par « praticité » (migrants économiques)
— N’importe qui, c’est-à-dire tous les étrangers qui demandent la citoyenneté sans raison valable.

Dans la réalité, on constate évidemment que, parmi les personnes qui demandent la nationalité française, il y a à la fois des sans-papiers et des personnes qui sont venues en France il y a de nombreuses années pour travailler. Malgré cela, chaque groupe d’étudiants schématise les immigrants comme appartenant à l’un ou l’autre groupe.

Pour un autre exemple de constructions divergentes de la causalité comme objet de discours, V. Causalité

Cette méthode montre comment les locuteurs « éclairent » un objet de discours conflictuel en fonction de leurs intentions argumentatives, ou, en termes perelmanien, comment ils donnent de la « présence » aux objets qui les occupent (Perelman & Olbrechts-Tyteca ([1958], 154 sv.).