Orateur – Auditoire

1. Les partenaires de l’adresse rhétorique

Orateur et auditoire sont les termes consacrés pour désigner le producteur et le récepteur du discours rhétorique. La notion d’auditoire est corrélative de celle d’orateur. Elle correspond au format de réception du discours rhétorique argumentatif classique. V. Rhétorique.

L’adresse rhétorique se situe dans un espace public institutionnel (assemblée politique, assemblée religieuse, tribunal), parfois rituel (épidictique).

L’orateur parle sur un sujet relevant des attributions de cette institution, et dans le rôle qu’elle lui donne.

L’auditoire correspond à l’ensemble des participants ratifiés adressés. Dans les domaines politique et judiciaire, l’auditoire prioritairement visé est défini comme l’ensemble des personnes ayant un pouvoir de décision sur le problème abordé par l’orateur, V. Rôles. L’auditoire et le public éventuel sont des participants officiels, l’auditoire seul est adressé ; le public peut avoir des opinions, mais il ne prend pas de décision. L’auditoire est composite, chacun des discours qui lui sont adressés a ses partisans.

Le discours vient à un moment précis d’un scénario discursif ; il correspond à un tour de parole dans une interaction institutionnalisée où la structure de l’échange peut être codifiée dans le plus grand détail. L’alternance des tours de parole est réglée, V. Règles. La structure de l’échange est localement asymétrique, mais le volume de parole accordé à l’orateur peut être rééquilibré par le temps de parole accordé à d’autres locuteurs, défendant des points de vue antagonistes.

L’orateur et l’auditoire sont fonctionnellement définis par leurs caractères ,et leurs émotions V. Éthos, Pathos.

L’adresse rhétorique argumentative relève ainsi de ce que Goffman, dans son analyse des situations de parole, appelle le « monologue d’estrade », et qui constitue une sorte d’hyper-genre, réunissant « discours politiques, sketches comiques, conférences, récitations, lectures poétiques… le lavoir n’est plus le seul lieu où l’on parle » (1987, p. 147).

2. Persuader l’auditoire

La rhétorique argumentative ne parle pas d’interlocuteur mais d’auditoire : l’auditoire entend, on suppose qu’il écoute, mais il ne parle ni ne rétorque. Dans la théorie rhétorique, ce mutisme est constitutif de la notion de public décisionnel. Au moins en situation de face à face, le public réel dispose de quelques moyens de rétroaction lui permettant d’influencer l’orateur, de l’encourager ou de le déstabiliser, comme l’a montré Goffman (1987, p. 133-186), au point que les politiques jugent plus prudent de déterminer eux-mêmes la composition de leurs plateaux de télévision.

L’orateur constitue fondamentalement son auditoire par la demande qu’il lui prête : “ôte-moi d’un doute”. Il s’estime capable de combler ce doute par l’apport de la vérité, de la représentation, de la thèse qui sont les siennes. Il se produit comme homme de bien (vir bonus) qui connaît le vrai, sincère, et apte à conduire les âmes. L’auditoire rhétorique est, en conséquence, à la fois abaissé et magnifié. Il est abaissé, car il est défini par son ignorance et ses insuffisances ; ses représentations et ses opinions sont considérées comme erronées, inexistantes, ou labiles. Typiquement, l’orateur s’adresse aux indécis, et laisse de côté les opposants déterminés, ceux qui ne doutent pas, et sont déjà ralliés à une thèse qui n’est pas la sienne. Mais, dans le cadre de la nouvelle rhétorique au moins, l’auditoire est également magnifié en instance critique, sur le long chemin qui mène à l’universel. Il est donc mis en position haute ou basse, mais jamais en position égalitaire de partenaire ; pour cela, il faut considérer non plus un, mais deux, discours, c’est-à-dire deux positions en confrontation. Ce n’est pas la voie de l’orateur, qui veut moins partager que faire partager son opinion.

3. Auditoire particulier et universel

Perelman et Olbrechts-Tyteca élargissent la notion d’auditoire pour lui faire englober la communication écrite : « Tout discours s’adresse à un auditoire et on oublie trop souvent qu’il en est de même pour l’écrit » ([1958], p. 8). C’est cet auditoire élargi qui intéresse principalement la nouvelle rhétorique, ce qui explique en particulier qu’elle ne s’arrête pas réellement à l’échange oral en face à face, un des objets essentiels de la rhétorique classique.

Sur cette base, sont définis deux types d’auditoires, l’auditoire universel « constitué par l’humanité tout entière, ou du moins par tous les hommes adultes et normaux » (ibid., p. 39) et les auditoires particuliers. Cette opposition correspond à la distinction effectuée entre persuader et convaincre, et elle a valeur normative. Pour la nouvelle rhétorique, la norme de l’argumentation est constituée par la hiérarchie des auditoires qui l’acceptent. Cette position distingue fortement la nouvelle rhétorique des théories standard des fallacies, pour lesquelles la norme est donnée par les lois logiques, ou par un système de règles définissant la rationalité. V. Persuader et convaincre ; Normes ; Évaluation.