K_Indirection

Stratégies de vérité
dans l’Encyclopédie de Diderot et  D’Alembert (1751-1772)

Comment se jouer d’une censure despotique ?
Indirection : Les « articles détournés » de l’
Encyclopédie

La stratégie d’indirection des encyclopédistes est explicitée par Condorcet, un des collaborateurs de L’Encyclopédie.

[L’Encyclopédie], « est un dépôt où ceux qui n’ont pas le temps de se former une idée d’après eux-mêmes, devaient aller chercher celles qu’avaient eues les hommes les plus éclairés et les plus célèbres ; dans lequel  enfin des erreurs respectées seraient ou  trahies par la faiblesse de leurs preuves ou ébranlées par le seul voisinage des vérités qui en sapent le fondement.
Condorcet, Vie de Voltaire. 1798.
Cité d’après les Œuvres complètes de Voltaire. Tome I. Paris, Ozanne, 1838, p. 27-28.

Un argument faible pour P affaiblit P ,  et une réfutation faible d’ une position renforce cette position, V. Paradoxes de l’argumentation ; Loi de discours.
Les effets du mélange d’erreur et de vérité sont contrastés.
— Un peu de vérité mélangé au mensonge fait passer le mensonge.
— Juxtaposée à une erreur , la vérité ébranle l’erreur : alors que dans le cas du révisionnisme, l’erreur tente d’ébranler la vérité durement acquise, dans le cas de l’Encyclopédie, la vérité ébranle l’erreur traditionnelle.

L’éditeur de Diderot, Jacques-André Naigeon, accompagne l’article de l’Encyclopédie « Mosaïque et chrétienne philosophie », rédigé par Diderot, de l’avertissement suivant à propos du contraste   entre les termes « si mesurés, si respectueux » de l’article et « les principes philosophiques » de leur auteur

Diderot n’avait donc pour ce qu’il appelle ici très pieusement les saintes écritures, qu’un respect apparent, et à proprement parler, de pure circonstance et il pensait même avec un savant théologal* dont les paroles sont remarquables, que toutes les religions ont cela, qu’elles sont étranges et horribles au sens commun : mais il écrivait sous le règne d’un tyran jaloux de son autorité à qui les prêtres répétaient sans cesse qu’il se rendrait d’autant plus puissant, qu’il saurait mieux faire respecter la religion, c’est-à-dire ses ministres. Il ne se dissimulait pas tout ce qu’il avait à craindre de ces apôtres du mensonge (p. 411)

[Diderot]  s’exprime avec la même circonspection dans tous les articles où il était à peu près sûr que ses ennemis iraient chercher curieusement* sa profession de foi mais dans d’autres articles détournés & dont les titres assez insignifiants semblent ne rien promettre de philosophique, il foule aux pieds ces mêmes préjugés religieux avec d’autant plus de mépris qu’il avait été forcé de les respecter ailleurs. (p. 412-413)

(*) professeur de théologie
(*) avec grand soin

Naigeon, Œuvres de Denis Diderot. publiées, sur les manuscrits de l’auteur, par Jacques-André Naigeon. T. VI. Paris, Desray et Deterville, An VI – 1798 ; p. 411-413.
https://books.google.fr/books?redir_esc=y&hl=fr&id=7OpLLvpB47YC&q=mosaique+#v=snippet&q=mosaique&f=false