Richesse – Pauvreté, arg. de la –

Richesse et pauvreté sont deux sources d’autorité au sens où on peut donner un poids spécial à la parole du riche parce qu’il est riche, comme à celle du pauvre parce qu’il est pauvre. Le Riche et le Pauvre sont alors crus sur parole. Cette forme d’autorité peut être exploitée par un locuteur, qui valide sa position en la mettant dans la bouche d’un riche ou d’un pauvre, V. Autorité ; Invention. Ces deux formes d’argumentations sont extrêmement courantes et également redoutables.

1. Argument de la richesse

L’argument de la richesse est sous-tendu par le principe général « les riches ont raison, la preuve, ils sont riches” (IEP, art. Fallacies).

Ils sont riches donc ce qu’ils disent est vrai ; leurs décisions financières sont les meilleures ; leurs avis sont autorisés ; leurs goûts artistiques sont remarquables, comme le prouve la valeur de leurs collections — je vote pour eux !

Le Riche, les riches… disent, font P, donc P, je fais P.
Un jour je serai riche, alors je dis, je pense, je dis, je fais, je vote comme les riches

Cet argument s’étend aux classes supérieures, aux classes dirigeantes, aux élites, aux professions les plus prestigieuses et lucratives, etc. Il est vulnérable au discours ad populum, contre les riches et contre les élites.

2. Argument de la pauvreté

La forme symétrique de l’argument de la richesse est l’argument qui valide un dire par l’autorité tirée de la pauvreté, “les pauvres ont raison”.

Le pauvre est bon et authentique, parce que celui qui n’a pas d’argent n’a pas de vices.
Ce qu’il dit est vrai ; son opinion doit être prise en compte ; ses goûts artistiques sont authentiques.

Le Pauvre, les pauvres… dit, fait, pense  P, donc P, je fais P

Cet argument s’étend aux classes exploitées,  aux « gens de peu”, aux défavorisés, aux “premiers de corvée”, etc.

La parabole rapportée dans Luc 16, 20-23) [1] donne définitivement raison au pauvre contre le riche, car le pauvre ira au paradis, « dans le sein d’Abraham », tandis que le riche est en enfer « en proie aux tourments ».

20 Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d’ulcères,
21 et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche; et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères.
22 Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli.
23 Dans le séjour des morts, il leva les yeux; et, tandis qu’il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein.
24 Il s’écria: Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau et me rafraîchisse la langue; car je souffre cruellement dans cette flamme.
25 Abraham répondit: Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres.
[…]

On utilise parfois l’expression latine argument ad Lazarum désigner cette justification finale, Lazare étant considéré comme le parangon du malheur et de la pauvreté. Cette parabole fait des pauvres les personnes véridiques par excellence, celles qui non seulement disent vrai, mais sont dans le vrai.

L’adage vox populi vox dei, la voix du peuple est la voix de Dieu”, qui sous-tend l’argument ad populum prend sa garantie autant dans l’argument de la pauvreté que dans celui du nombre.

Les arguments de la richesse et de la pauvreté, l’argument de la richesse n’ont rien à voir avec l’argument du portefeuille (appeal to money), vu comme une forme d’argumentation par le châtiment et la récompense, V. Menace.

 


[1] Bible Louis Segond. https://www.biblegateway.com/passage/?search=Luc%2016%3A20-31&version=LSG