Topos – Lieu Commun

À la différence de type d’argument, le mot topos et l’expression lieu commun, sont ambigus entre une interprétation formelle et une interprétation substantielle.

1. Topos

1.1 Topos inférentiel

Pour désigner les types d’argumentations, Aristote utilise le mot grec topos (sg. τόπος, pl. τόποι, topoï). Le topos des contraires, le premier de la liste des topoï de la Rhétorique est introduit comme suit :

Un lieu (topos) des enthymèmes démonstratifs se tire des contraires (Rhét., II, 23, 231397a7 ; Dufour, p. 115)

Un topos inférentiel est un schème argumentatif ou type d’argumentation, c’est-à-dire un schème discursif général associant de façon plausible un énoncé argument à un énoncé conclusion.
L’actualisation d’un topos, d’une forme argumentative, produit une argumentation concrète ou enthymème.

Le terme topos n’est jamais péjoratif lorsqu’il désigne un type d’argument.

Une topique est un ensemble plus ou moins systématique de topoï inférentiels fonctionnant dans sur domaine argumentatif particulier, V. Topique juridique ; Topique politique.

À la différence de type d’argument, le mot topos est ambigu entre une interprétation formelle et une interprétation substantielle.

Le concept de topos a été redéfini dans la théorie de l’argumentation dans la langue, V. Topos en sémantique.

1.2 Topos en analyse littéraire

En analyse littéraire, le concept de topos a été introduit par Curtius, pour désigner une donnée substantielle, thème, matière, permanente, amplifiable et adaptable ; « un archétype, une représentation du subconscient collectif au sens où l’entendait C. G. Jung » (Curtius [1948], I, p. 180). Par exemple, l’association “le vieillard et l’enfant” constitue en ce sens un topos, toujours exploité dans les publicités pour les sociétés de gestion de patrimoine.

Le topos substantiel permet de remplir une case discursive obligée. Ainsi, l’évocation d’éventuels contre-exemples ou même d’une réfutation auxquels on déclare se soumettre docilement par avance est un topos de clôture des exposés scientifiques. Les propositions de Curtius ont été à l’origine d’un important courant de recherche sur les topoï, notamment en Allemagne (Bornscheuer 1976 ; Breuer et Schanze 1981). L’expression lieu commun est également utilisée avec ce même sens.

2. Lieu commun

Comme topos, lieu commun, souvent réduit à lieu, peut désigner une formule inférentielle ou un lieu commun substantiel, V. Invention.

2.1 Lieu commun inférentiel

Cicéron traduit topos (inférentiel) par locus “lieu” (pl. loci), locus communis, “lieu commun” (pl. loci communes, “lieux communs”).

La définition du lieu [locus] pourrait donc être : magasin des arguments, et celle de l’argument : moyen servant à convaincre d’une chose douteuse (Top., II, 16, 8 ; p. 69-70)

L’expression lieu commun correspond au latin locus communis, qui traduit le mot grec topos. En ce sens, un lieu commun est une forme inférentielle, un schème argumentatif.
Dans cet emploi, lieu commun peut être réduit à lieu ; on parle ainsi du lieu de la personne, du lieu des contraires, etc.

2.2 Lieu commun substantiel : le cliché

Un lieu commun substantiel, ou lieu commun tout court, correspond à l‘expression formulaire d’une pensée courante. C’est le sens courant de l’expression, qui est synonyme de “cliché”, dont elle partage l’orientation dépréciative : “pensée commune, non critiquée donc probablement fausse, sans originalité ni valeur esthétique ou conceptuelle”.
Comme dans le cas de fallacie, la frontière est floue entre le formel et le substantiel.

Le terme topos peut avoir le même sens dépréciatif lorsqu’il désigne un lieu commun substantiel.

3. Lieux communs inférentiels et prémisses propres à chaque genre

La Rhétorique distingue topoï universels et prémisses propres à un domaine de la réalité :

Par “espèces” j’entends les prémisses propres à chaque genre et par “lieux” j’entends les lieux qui sont communs de façon indifférenciée à tous les domaines de réalité.
Aristote, I, 2, 1358a1, 30 ; Chiron. p.138

Les topoï (modes de raisonnement) sont universels :

Les lieux (topoi) « sont ce qui s’applique en commun aux questions de justice, de physique, de politique et à nombre d’autres questions d’espèces (eidos) différentes, par exemple le lieu du plus et du moins ; car un syllogisme ou un enthymème tiré de ce lieu ne seront pas plus applicables à une question de justice qu’à une question de physique ou à n’importe quel autre sujet. (Ibid., 10-15, p. 136-137).

Les domaines de connaissance se distinguent les uns des autres non pas parce qu’ils mobilisent des lieux (modes de raisonnement) spécifiques, mais parce que certaines prémisses leurs sont propres, « spécifiques » :

Il y a en physique des prémisses dont on ne peut tirer ni enthymème ni syllogisme qui soit valable sur des questions d’éthique  (Ibid., 15, p. 137), — et inversement.

La distinction entre prémisses spécifiques et topoï est tributaire de l’ontologie aristotélicienne et de la vision de la logique et des sciences qui lui est attachée.