Cadre du projet
Le projet vise à produire un dispositif d’analyse d’un corpus d’œuvres d’art issues de trois musées partenaires du projet : le Musée des Beaux-Arts de Lyon, le Palais des Beaux-Arts de Lille et le Musée National d’Histoire et d’Art du Luxembourg.
Ce projet sera mené par les équipes issues des laboratoires lyonnais ICAR (Interaction, Corpus, Apprentissages, Représentations) et LIRIS (Laboratoire d’Informatique en Image et Système d’Information), de l’institut luxembourgeois de l’IRAM (Institut d’Etudes Romanes, Arts et de Médias) ainsi que de deux centres de recherche partenaires (Center for Contemporary and Digital History et Centre d’Analyse Culturelle de la Première Modernité). Il mobilisera ainsi un ensemble de compétences pluridisciplinaires dont les principales disciplines représentées seront la Pragmatique, la Sémiotique (ICAR), l’Informatique (LIRIS), et l’Histoire de l’Art (IRAM et centres de recherche associés) formant un ainsi un socle de compétences pluriel apte à soutenir le courant actuel des Visual Studies.
Objectifs du projet
Plus encore, le dispositif analytique que nous cherchons à créer est à la base d’au moins trois défis de la modernité :
- Reconnaître les compétences de l’intelligence artificielle et lui donner un terrain d’expérimentation herméneutique propre à investiguer son potentiel scientifique ;
- Construire des ponts théoriques et pratiques entre les disciplines de l’Histoire de l’Art, de la Sémiotique d’une part de l’Informatique et des Visual Studies, d’autre part ;
- Proposer une analyse novatrice des œuvres d’art qui serait à la fois augmentée et personnalisée pour un panel de visiteurs varié.
Le dispositif permettra l’étude des différents niveaux d’organisation d’une œuvre d’art: plastique, figuratif, figural. Pour ce faire il emploiera deux modalités d’observation : une modalité sur place (observation in situ) et une modalité à distance à travers un corpus d’images en accès libre. Ainsi le dispositif prévoit-il plusieurs voies d’accès au sens et à la pratique de l’œuvre d’art considéré comme un objet d’expertise stratifié ou multicouche (Greimas, 1986) .
Ces défis lancés impliqueront notamment :
- D’élucider des généalogies et des dialogues intertextuels, résultats qui seront à la base de notre dispositif augmenté ;
- De rendre accessible ces résultats en pensant la distance entre ce que l’usager recherche et ce qu’il trouve grâce au dispositif ;
- De soutenir une nouvelle histoire de l’art renouvelée entre autres par une approche des formes inédites inspirées des travaux d’Henri Focillon et par de nouvelles méthodes en analyse visuelle qui reconnaissent notamment l’intérêt de la dimension plastique des images soit une nouvelle conception sémiotique d’une histoire des formes artistiques.
Concepts mobilisés
Plusieurs concepts-clés découlent de ces objectifs :
1 – La notion de généalogie à la croisée entre génétique et dialogisme, renvoie dans le cadre de notre projet à la notion de forme prise comme une identité visuelle résistante dans le temps à l’intérieur d’un domaine donné et répertorié selon des critères généalogiques. La généalogie s’attache donc complémentairement à d’autres classes iconographiques à l’idée de reconnaissance de la filiation entre plusieurs familles de transformations ; la forme – dans ce cadre étendue à la complexité de enjeux de formes symboliques – constituant un indice pertinent de filiation.
2 – La notion d’augmentation appliquée aux œuvres d’art en premier lieu, appliquée au dispositif technologique en second lieu, constitue un tournant numérique important dans le renouveau des stratégies d’accompagnement de l’expérience muséale. En tant que telle, l’augmentation des oeuvres d’art apparaît comme une capacité des images à tenir ensemble ouvrant à la possibilité de constituer des parcours de consultation et de jouissance transversaux. Ainsi, dans notre projet l’augmentation vise à jouer un rôle d’optimisation des pratiques interprétatives déjà attestées et respectueuses des toutes les facettes identitaires de l’image ;
3 – La notion de musée complémentaire : le musée en tant que lieu d’implémentation et de test préalable du dispositif procure des connaissances complémentaires à celles développées dans les instituts de recherche. En effet, le partenariat avec trois musées différents confère le cadre idéal à notre projet pour mieux comprendre la figure de l’usager et étudier ces compétences, connaissances et objectifs au moyen de séances d’observation in situ. Le musée en tant que terrain complémentaire de paramétrage de l’usager constitue ainsi une occasion de pouvoir régler et mettre à l’épreuve l’exploitabilité de notre prototype.
Perspectives du projet
En résumé le défi scientifique du projet pris dans sa globalité consiste à combiner (i) des avancées récentes dans les études visuelles, (ii) des affordances de réalité augmentée et (iii) des méthodes de détection et de reconnaissance d’objets basées sur le «deep learning » afin de produire une nouvelle conception sémiotique d’une histoire des formes artistiques.
Pour l’histoire de l’art numérique, le projet d’une histoire des formes est lié à la tradition établie par Henri Focillon. Ce dernier a conçu les formes comme (i) les germes d’une dynamique structurale à l’intérieur d’une œuvre d’art et (ii) les origines d’une famille de transformations qui traverse les œuvres d’art. Ce programme de recherche n’a pas été exploité sur une large échelle, malgré des prédécesseurs importants et des reprises. Ceci est dû à deux obstacles techniques :
- prendre en charge de grands corpus d’images
- détecter des patterns significatifs qui traversent des corpus hétérogènes.
Afin de dépasser ces obstacles, nous proposons d’étudier les changements diachroniques des formes et de ses ramifications généalogiques multiplement médiées grâce à une pluralité d’outils herméneutiques : internes (pour les aspects métavisuels) et externes (pour l’étude des paratextes). Ainsi, un dispositif numérique fournira une représentation homogène où pouvoir
- observer si des images structurent leur propre signification en attirant l’attention du spectateur sur la manière dont elles sont construites et dont elles demandent â être vues ;
- vérifier si le processus herméneutique peut exploiter d’autres sources (littéraires, musicales, théâtrales) ;
- évaluer si l’explication des images doit passer par leur dimension sensorielle / perceptive / expérientielle.
Enfin, le projet AAA vise à comprendre toute image donnée simultanément à des niveaux (1) intratextuel et (2) intertextuel. Le traitement automatique est nécessaire aux deux niveaux, spécialement pour la consultation des archives. L’aspect le plus novateur est l’expérience qu’une image peut être expliquée par une multitude d’autres images (dispositif augmenté) et non par un discours verbal intégratif et réducteur.
Très éloignée d’une réalité augmentée construite sur un savoir encyclopédique existant, la lecture des images ne peut pas être réduite à la seule extraction d’informations. Ainsi, le prolongement de ces aspects épistémologiques constituerait à termes une base pédagogique riche et apte à combler des lacunes dans l’enseignement primaire et secondaire, dont le curriculum est presque dépourvu de programmes consacrés à la culture visuelle.