L’exigence de faire du terrain n’est pas avant tout linguistique mais émerge dans une discipline voisine, l’anthropologie. Même dans ce domaine, le terrain en tant que partie constitutive de la recherche n’apparaît que peu à peu (ce n’est que vers 1880 que les chercheurs eux-mêmes vont aller sur le terrain, une division du travail entre savants de cabinet et hommes de terrain existant jusqu’alors).
Cette exigence de faire du terrain a depuis lors été reprise dans de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales, avec des finalités diverses. En anthropologie elle est devenue un rituel d’entrée dans la discipline ; en linguistique elle est très variablement invoquée selon les sous-disciplines.
Les pratiques ethnographiques se sont elles-mêmes diversifiées : l’idée d’«intensive study of limited areas» est toujours présente, mais est complétée par des exigences issues du travail de terrain dans les sociétés urbaines contemporaines, qui privilégient :
– l’ethnographie « multi-site » (Marcus), consistant à suivre en parallèle plusieurs terrains, plusieurs réseaux d’acteurs, plusieurs objets dans plusieurs lieux. Cette ethnographie multi-site est aussi facilitée par les allers-retours fréquents entre l’«académie» et le «terrain», contrairement à ce qui était le cas pour les longues permanences sur des terrains éloignés.
– l’ethnographie « quick and dirty » (Rouncefield), qui reconnaît que face aux permanences de plusieurs années sur le terrain des anthropologues traditionnels, les pratiques ethnographiques dans les sociétés contemporaines sont plus fragmentaires, plus rapides, plus mouvantes. Cette idée a surtout été reprise et développée dans le cadre de la conception d’innovations technologiques.
En linguistique interactionnelle, les exigences du fieldwork sont étroitement associées aux exigences de la constitution de corpus enregistrés, ce qui rend spécifiques ces pratiques de terrain (par rapport à la « simple » prise de notes) : le terrain est conçu en vue des enregistrements qu’il prépare :
– sélection des activités à enregistrer, parmi les multiples événements qui se déroulent sur le terrain ;
– compréhension des activités, de leur représentativité, de leur sens dans le contexte et selon leurs interrelations, de leur structuration, de leur durée, de leurs cadres de participation. Cette compréhension est essentielle pour choisir les activités qui seront enregistrées et pour que l’enregistrement leur soit adapté ;
– identification des spécificités du cadre et du site qui détermineront les choix techniques pour l’enregistrement, les conditions à observer pour la prise de vue et de son (de la qualité de l’ambiance sonore à la qualité de la lumière aux possibles cadrages) ;
– contact avec les personnes concernées en vue d’obtenir leur accord pour être enregistrées.