Il est possible de distinguer dans les interactions verbales, une structure globale et une structure locale. La première fait référence, à un niveau macro, aux unités hiérarchisées de l’interaction et la seconde renvoie à un niveau micro — celui des tours de parole.
Construction globale
L’organisation de l’interaction peut être conçue en terme de rangs. L’analyse interactionnelle en rangs consiste alors à définir l’interaction comme « une structure constituée d’unités hiérarchisées » (Traverso, 1999 : 35). Il possible de distinguer trois rangs d’unités dialogales : l’échange, la séquence, l’interaction.
- L’échange correspond à la plus petite unité dialogale et représente l’unité fondamentale de l’interaction. Il se compose d’au moins deux interventions produites par des locuteurs différents. L’intervention du locuteur initial — intervention initiative — contraint l’intervention de l’interlocuteur — intervention réactive. S’observent ainsi des échanges essentiellement à structure ternaire (question-réponse-évaluation, offense-excuse-acceptation, …), si ce n’est pas le cas, il s’agit d’une troncation. L’agencement syntaxique des échanges peut être linéaire — échange coordonné — ou hiérarchique — échange subordonné.
- La séquence, plus complexe à délimiter, se compose d’un ou plusieurs échanges liés entre eux au niveau thématique ou pragmatique voire aux deux niveaux.
- Enfin, l’interaction constitue l’unité de rang supérieur et correspond à l’ensemble des interventions des locuteurs de leur entrée en contact à leur séparation (Traverso, 1999 : 37-38).
Au sein de l’interaction, cette entrée en contact ainsi que cette séparation des locuteurs font l’objet de rituels. La première constitue l’ouverture et la seconde la clôture de l’interaction, et ces deux séquences entourent le corps de l’interaction.
- L’ouverture comprend nécessairement les salutations des interactants et peut faire l’objet d’autres actes facultatifs (manifestation de cordialité, expression du plaisir éprouvé à cette rencontre,…). Les salutations consistent notamment à confirmer l’apparition des participants à l’interaction à venir. Kendon définit en effet les salutations comme « that unit of social interaction often observed when people come into one another’s presence, which includes a distinctive exchange of gestures or utterances in which each person appears to signal to the other, directly and explicitly, that he has been seen » (1990 : 153). Kendon (1990) distingue par ailleurs, au sein de la sous-séquence de salutations : une pré-phase de regard et décision de saluer ou non, les phases de salutation distante, d’approche et de salutation rapprochée, et une post-phase de transition vers le corps de l’interaction. La séquence d’ouverture joue un rôle déterminant dans l’interaction globale qu’elle prépare. C’est au cours de cette séquence que les interactants opèrent une prise de contact physique et psychologique et une première mais décisive définition de la situation d’interaction (Kerbrat-Orecchioni, 1996 : 37). Il est possible de distinguer une séquence préalable à l’ouverture : la pré-ouverture (pre-opening Mondada, 2008 ou pre-beginning Schegloff, 1979) notamment dans les interactions mobiles entre inconnus (demande d’itinéraire, …). Mondada (2008) distingue quatre phases de pré-ouverture : le choix et l’identification de l’autre comme futur partenaire de l’interaction à venir, l’organisation de la convergence avec l’interlocuteur imminent (regard, posture), la construction d’un espace interactionnel commun, la reconfiguration de l’espace interactionnel en fonction de l’activité à venir. La pré-ouverture forme une séquence au cours de laquelle les participants exposent leurs attentes concernant les activités, catégories et identités impliquées dans l’interaction à venir et commencent à s’aligner sur elles (Mondada, 2008 : 1983).
- Le corps de l’interaction fait suite aux séquences de pré-ouverture et ouverture. Le corps renferme des séquences au nombre et à la longueur variables. Si l’organisation de l’ouverture et de la clôture est plus de nature pragmatique, celle du corps de l’interaction est généralement de nature thématique avec des glissements d’un thème à l’autre (Traverso, 1996 : 19).
- La clôture de l’interaction fait figure de fermeture de la communication menant à la séparation des interactants. Il s’agit d’annoncer et d’organiser de manière harmonieuse la fin de la rencontre notamment au moyen d’échanges à fonction « euphorisante » (évaluation positive de la rencontre, excuse et justification du départ, remerciement, vœux, salutations et promesses de se revoir,…) (Kerbrat-Orecchioni, 1999 : 37). Au même titre que l’ouverture, la clôture peut être précédée d’une séquence préalable : la pré-clôture. La séquence de pré-clôture permet, si la conversation n’est pas relancée, de mener à la clôture de l’interaction. Elle se réalise par des indicateurs verbaux (conclusifs tels que « enfin », « bon », « ben j’vais y aller ») ou posturo-mimo-gestuels (faire mine de se lever,..) (Traverso, 1996 : 32). La séquence de pré-clôture cherche à répondre au problème de la clôture : « how to organize the simultaneous arrival of the coconversionalists at a point where one speaker’s completion will not occasion another speaker’s talk, and that will not be heard as some speaker’s silence » (Schegloff & Sacks, 1973 : 295). En effet, la clôture nécessite un aménagement dans la mesure où les participants mettent fin à l’interaction et par là même à leur relation immédiate. Cette rupture du lien interactionnel induit alors un allongement de la séquence final, la pré-clôture pouvant être réitérée autant de fois que nécessaire jusqu’aux salutations finales afin de ménager les faces de chacun des interactants (Traverso, 1996 : 75).
Ainsi, ouverture et clôture forment des moments particulièrement délicats de l’interaction en ce qu’elles impliquent un risque de menace pour les faces des participants, « menace territoriale quand on entre en interaction, menace pour la face positive du partenaire quand on met un terme à l’échange » (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 45). C’est pourquoi au cours de ces séquences, les interactants usent de procédés rituels verbaux et posturo-mimo-gestuels dédiés à la valorisation des faces.
Construction locale
À un niveau plus local, l’interaction fait également l’objet d’une structuration spécifique. Rappelons en effet que selon Sacks, Schegloff et Jefferson la conversation repose sur une organisation structurelle faite d’une succession de « tours de paroles » : « it has become obvious that, overwhelmingly, one party talks at a time, though speakers change, and though the size of turns and ordering of turns vary. » (Sacks et al., 1974 : 699).
Cette structuration repose sur une règle claire ; chacun parle à son tour. Les interactants recherche la « minimisation des silences et des chevauchements » (Traverso, 1999 : 31). D’une part, les interlocuteurs évitent de parler l’un sur l’autre, le chevauchement constituant une violation des règles conversationnelles. La survenue d’un chevauchement oblige l’un des interlocuteurs à s’interrompre rapidement. En effet, « if two parties find themselves talking at the same time, one of them will stop prematurely, thus repairing the trouble » (Sacks et al., 1974 : 701). D’autre part, les interlocuteurs évitent qu’aucun d’entre eux ne parlent. Les pauses inter-tour doivent être les plus courtes possible. Sacks et al. précisent que « transitions (from one turn to a next) with no gap and no overlap are common. Together with transitions characterized by slight gap or slight overlap, they make up the vast majority of transitions. » (Ibid. 1974 : 701).
Afin d’éviter les situations de chevauchement ou de pause, existent des techniques de base qui servent à gérer la construction des tours de parole. L’allocation du tour au locuteur suivant et la coordination du transfert sont donc construites. En effet, « turn allocation techniques are obviously used. A current speaker may select a next speaker (as when he addresses a question to another party) ; or parties may self-select in starting to talk.» (Sacks et al., 1974: 701). En d’autres termes, il peut s’agir d’hétéro-sélection (sélection par le locuteur en cours) ou d’auto-sélection (sélection par le locuteur suivant). Différents types d’unités peuvent être utilisés pour permettre aux interlocuteurs de construire un tour de parole. Les tours sont ainsi constitués d’unités flexibles, dynamiques, produites en temps réel et négociables en temps réel, que sont les « Turn Constructional Unit » (TCU):
- La production et donc la reconnaissance des TCU se fonde sur une pluralité de ressources, souvent mobilisées ensemble : syntaxique, phonétique, prosodique, pragmatique, gestuelle, visuelle, etc.
- Elles ne sont cependant pas prédéterminées mais reconnaissables par les interlocuteurs.
- Ces TCU donnent lieu à des moments de prises de parole potentielles : les « Transition Relevance Place » (TRP). Sacks, Schegloff et Jefferson expliquent que « the first possible completion of a first such unit constitutes an initial transition relevance place. Transfer of speakership is coordinated by reference to such transition-relevance places, which any unit-type instance will reach. » (1974 : 703).
Par ailleurs, les tours de parole se succèdent de façon cohérente au moyen de paires adjacentes. Un échange est en effet usuellement constitué d’une paire adjacente, à savoir « deux énoncés contigus, produits par des locuteurs différents, fonctionnant de telle sorte que la production du premier membre de la paire exerce une contrainte sur le tour suivant » (Traverso, 1999 : 33).
- Il existe un principe de dépendance entre la First Pair Part (FPP) — première partie de la paire — et la Second Pair Part (SPP) — seconde partie de la paire qu’elle anticipe (pour exemple une question appelle une réponse, une requête une réalisation ou un refus, un reproche une excuse, etc.) (Schegloff, 1990 : 59).
- En outre, un système de préférence contraint la nature de la SPP. Cette dernière est dite préférée dans le cas où elle est plus courante, de structure plus simple et de production plus rapide (« tu viens toujours ? Oui. »). Au contraire si la SPP se trouve produite avec difficulté, hésitation, justification, elle est alors non préférée (« tu viens toujours ? Euh… bah… en fait… je vais pas pouvoir parce que… »).
Une paire adjacente peut également faire office de préliminaires (ou presequence Schegloff, 1990) soit des « sequences initiated by turn-types built to be specifically preliminary to some other turn-type, whose subsequent occurrence is projected to occur contingent on the response which the interlocutor gives to the presequence’s first pair part. » (Schegloff, 1990 : 60).
- La réponse obtenue à la FPP préliminaire détermine alors la production de la FPP de la paire adjacente suivante (« Tu es fatigué ? Non. On sort ? Oui. »).
- Les préliminaires peuvent induire des négociations, des ménagements de face, des gestions de thèmes conversationnels, etc. elles aménagent la suite de l’interaction.
À des fins de clarification de l’échange, la paire adjacente peut aussi faire l’objet d’expansions : « preexpansion before the FPP, insert expansion between the FPP and SPP, and postexpansion after the SPP » (Schegloff, 1990 : 50). Au sein des Insert Expansions (IE), il est possible de distinguer les postfirst dédiée à clarifier la FPP des presecond visant à évaluer les SPP alternatives (Ibid. : 64).
La production de paire adjacente apparaît donc soumise à des contraintes de co-construction des tours par les interactants.
L’ensemble de ces ressources conversationnelles nous renseigne sur l’activité que les participants façonnent depuis la paire adjacente à la structure globale de l’interaction afin d’en définir le contenu, la forme et les actions mises en jeu.