ANCIEN TEXTE
L’un des phénomènes les plus fréquents de l’interaction consiste en la réparation (repair), phénomène qui se manifeste par une perturbation de la progressivité des échanges.
- La réparation peut n’engager que le locuteur lui-même qui hésite, se reprend, cherche ses mots, alors que ses interlocuteurs restent simples témoins et n’interviennent pas.
- La réparation peut faire intervenir les interlocuteurs dans deux cas de figure au moins: quand ils sont à l’origine de l’interruption de parole pour demander la clarification d’un élément mal entendu ou mal compris (ils sont alors les initiateurs de la réparation), ou lorsqu’ils collaborent à une réparation initiée par le locuteur.
Bien souvent la réparation ne concerne pas seulement le tour du locuteur, mais elle engage l’ensemble des participants dans une véritable activité collective et collaborative. C’est en quoi elle est intermédiaire entre le tour et l’échange (Traverso, 2016).
Notons que les difficultés, perturbations et autres troubles que les participants réparent ne sont pas des problèmes dans l’absolu, mais seulement dans le contexte où les participants se trouvent et dans l’activité en cours. Il est possible que les locuteurs réparent des éléments non problématiques par rapport à une norme externe, et ne pas s’occuper de productions non conformes aux règles de la langue (Ibid.).
Plus spécifiquement, le phénomène de réparation intervient « after a responsive turn has displayed to a prior speaker that, and how, the prior turn has been misunderstood » (Schegloff, 1990:68, plus particulièrement au sujet du “third position repair”). Ce tour de parole fait office de réparation après une incompréhension. Le repair désigne donc le processus mis en place afin de régler le problème (trouble) intervenu dans un tour de parole précédent. Schegloff (2007 :101) insiste sur l’importance de faire la « distinction between initiating a repair undertaking and « solving it », or carrying through to completion ».
Les réparations sont des phénomènes incessants de l’interaction. Elles renvoient à des fonctions interactionnelles variées (Traverso, 2016) :
- travailler à l’intelligibilité de la parole,
- (r)établir l’intersubjectivité,
- s’adapter aux interlocuteurs,
- modaliser clarifier ses propos, les clarifier, les compléter,
- désarçonner le locuteur,
- manifester son désaccord,
- exprimer son savoir et prendre position dans l’interaction
- etc.
De l’initiation à la réparation
L’initiation du repair peut prendre plusieurs formes, en fonction des « three types of troubles sources can serve to display this point: word replacement, repairs on person-reference, and repairs on next-speaker selection » (Schegloff, Sacks, Jefferson, 1977:370). L’interlocuteur rencontrant des difficultés à saisir un élément, peut manifester son incompréhension en répétant le segment problématique, en utilisant un pronom interrogatif qui localise le trouble, ou au contraire il peut utiliser un petit mot qui ne précise pas le trouble mais signale qu’il y en a un. Cette dernière catégorie d’initiation correspond à l’ « open class repair initiator », c’est-à-dire les initiateurs de réparation qui n’oriente pas la réparation de manière claire et précise et qui est dite « ouverte » (Drew, 1997 :72). Ces différentes initiations de repair sont à considérer comme des Premières Parties de pair adjacente (Figols, 2012).
Les procédés les plus courants pour ouvrir une auto-réparation en français sont : le « euh » d’hésitation, les pauses, les allongements syllabiques, les mots interrompus, les constructions grammaticales laissées en suspens, les marqueurs discursifs et les commentaires métadiscursifs.
Les procédés utilisés pour signaler un problème dans le tour du locuteur sont : des marqueurs interrogatifs isolés (« quoi », « comment », « hein », « pardon ») ; des questions ciblées sur le trouble (« qui donc? », « où ça? », « le quoi? ») ; des répétitions qui peuvent être à l’identique, étendues, déformés, ou des commentaires métadiscursifs (« j’ai pas compris », « qu’est-ce que tu dis? », « tu veux dire »).
La corrélation entre l’initiation et la réparation peut donner lieu à plusieurs combinaisons (Schegloff 2007):
- L’initiation du repair, son signalement, peut être faite par le locuteur à l’origine du trouble, on parle alors d’auto-initiation (self-initiation of repair). S’il s’agit d’un interlocuteur qui signale le trouble, on parle d’hétéro-initiation (other-initiation of repair).
- Si la réparation est faite par celui-même qui a produit le trouble, au sein par exemple du même tour de parole, le repair sera auto-réparé (et également auto-initié). Si la réparation est menée à son terme par un autre locuteur, le repair sera hétéro-réparé.
Le repair peut donc être :
- auto-initié auto-réparé,
- auto-initié hétéro-réparé,
- hétéro-initié auto-réparé,
- hétéro-initié hétéro-réparé.
Levinson (1983 : 340), schématise ces différentes possibilités, en mettant en évidence la position de l’initiation et de la réparation complétée :
Même si toutes les configurations sont possibles, certaines semblent être préférées.
La préférence dans la réparation
Selon Levinson (1983 :341), il semblerait qu’il y ait un ordre de préférence parmi les différentes possibilités qu’offre la réparation :
- Le repair auto-initié auto-réparé dans le même tour de parole que le trouble
- Le repair auto-initié auto-réparé, dans le « transition space», juste avant le tour de l’interlocuteur
- Le repair hétéro-initié (au moyen d’un NTRI), puis auto-réparé
- Le repair hétéro-initié hétéro-réparé.
Cette classification met en évidence la préférence du self-repair (auto-réparation); l’intervention de l’interlocuteur semble être évitée le plus possible. Si un repair hétéro-initié hétéro-réparé est possible, il sera la plupart du temps remplacé par un Next Turn Repair Initiator (Levinson, 1983 : 348), afin de donner l’opportunité au locuteur A d’effectuer la réparation. La préférence pour l’auto-réparation dans l’environnement immédiat du trouble, peut être également liée au fait qu’une telle opportunité arrive avant les autres (Schegloff et al. 1977 :377).
Si l’hétéro-réparation est inévitable (après la tentative ratée d’une auto-réparation notamment), on trouvera alors des modalisateurs dans le tour de parole réparateur ; la réparation peut également passer inaperçue si le locuteur réparateur substitue le terme correct à celui qui pose problème, sans attirer l’attention sur le trouble (Levinson, 1983 : 360).
Des stratégies interactionnelles semblent se mettre en place pour respecter cette préférence. Ainsi la présence de tel ou tel format du repair apporte au chercheur de nombreuses indications sur le déroulement de l’interaction (Figols, 2012).
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