Le CNRS intitule l’un de ses appels à projets « Osez l’interdisciplinarité » (AAP, appels à projets non thématiques), parce que sa
« Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires (MITI)conduit une réflexion coordonnée et transversale à l’organisme afin d’assurer la mise en œuvre d’une politique de soutien et de renforcement de l’interdisciplinarité. A travers elle, le CNRS impulse et structure des interfaces entre disciplines, tant au niveau national, que sur site. Cet effort vise à favoriser l’émergence de nouvelles théories et de nouveaux objets de recherche.
Ainsi de
« nouveaux concepts, de nouvelles méthodologies et des solutions innovantes qui n’auraient pu être obtenus sans coopération entre les différentes disciplines du CNRS (…) des idées nouvelles, nécessitant l’apport de plusieurs disciplines » peuvent émerger.
« Au niveau territorial, où les politiques de site conduisent à des regroupements d’établissements, l’interdisciplinarité est souvent utilisée comme source de structuration.
Les équipes se rejoignent dans les axes de recherche interdisciplinaires ce qui permet le lancement d’une réflexion intégrée. La PI [Pépinière Interdisciplinaire] peut également être un vecteur d’articulation de l’interdisciplinarité et d’ouverture à l’internationale (…)» (http://www.cnrs.fr/mi/spip.php?article743)
Voilà pointés (en gras ci-dessus), dans ces citations des textes CNRS, les mots-clés qui doivent nous guider dans nos missions interdisciplinaires au sein d’une UMR :
– impulsion et structuration d’interfaces entre disciplines ;
– naissance, production de nouveaux concepts, de nouvelles méthodologies, d’innovations dues à l’apport de plusieurs disciplines ;
– une réflexion intégrée ;
– une ouverture qui conduit à l’internationalisation.
Epistémologie heuristique de l’interdisciplinarité
Multidisciplinarité, Inter ou transdisciplinarité ? Recherches transversales et/ou interdisciplinaires ?
Le groupe ne souhaite pas juxtaposer les approches et les éclairages scientifiques ni valider la domination de l’une sur l’autre (ou les autres) qui seraient alors considérée(s) alors comme accessoire(s) ; cela ne relèverait pas de l’interdisciplinarité.
La multidisciplinarité/pluridisciplinarité peut faire émerger une approche dite transversale,qui risquerait d’envisager un objet d’étude, quel qu’il soit, seulement par la juxtaposition, la superposition de points de vue éloignés les uns des autres, et sans dégager de véritable unité, de lien, de jonction, de corrélation entre les disciplines. Ce qui, à mon sens, conduirait à appauvrir les études.
Par ailleurs, il est évidemment paradoxal d’opposer les disciplines au projet interdisciplinaire.
En acceptant l’interdisciplinarité, chaque chercheur, chaque équipe a l’opportunité, à partir d’une discipline considérée, d’appréhender les apports des disciplines afférentes, de compléter ou de définir les apories d’un modèle, d’un cadre théorique.
Une telle démarche conduit à un croisement fécond et créatif quant aux processus utilisés et aux résultats obtenus, pour se doter d’informations supplémentaires et non envisagées initialement, et subséquemment obtenir une conception approfondie, et à terme systémique, de l’objet étudié.
L’objectif est d’étudier et d’analyser dans une perspective plus globale.
Il faut aussi confronter, au champ interdisciplinaire, la transdisciplinarité, qui, en réalité, alimente l’interdisciplinarité. La détermination à traverser des approches, leurs productions et leurs issues, les points de vue et les interprétations liées, conduirait à faire ressortir des constantes transversales aux disciplines mobilisées – ce qui aboutit à faire émerger plutôt de grandes « tendances » transverses, si l’ont veut rester lucide.
Et il sera plus difficile d’aborder une thématique sans être submergé par la confusion continuelle des champs qui peuvent les construire.
La transdisciplinarité est volontariste et exprime le choix d’une voie plus déductive qu’inductive.
Tenter de déborder les champs disciplinaires pour considérer l’objet d’étude dans sa complexité et surtout dans son caractère absolu (tel un système), puis passer de la complexité à la « simplexité » pour aboutir à des résultats nouveaux, reste un champ presque « idéal ». (Berthoz, A., La simplexité, Odile Jacob, 2009 ; Morin, E., Introduction à la pensée complexe, 1990 (réédition Le Seuil 2005) ; Berthoz, A., (dir.) ; Petit, J.-L. (dir.). Complexité-Simplexité.Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Collège de France, 2014 (généré le 13 mai 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cdf/3339>. ISBN : 9782722603301. DOI : 10.4000/books.cdf.3339)
En revanche, l’interdisciplinarité bien menée et mise en pratique fait émerger une ou des transversalités, des thématiques qui jailliront et s’imposeront aux chercheurs (d’elles-mêmes non par une démarche inverse) parce qu’elles traversent les disciplines dans une certaine temporalité, sans que des prémisses déterminées les aient posées par substruction.
Le rôle de l’interdisciplinarité en sciences humaines et sociales a été bien étudié (Charaudeau P., 2010, « Pour une interdisciplinarité « focalisée » dans les sciences humaines et sociales », Questions de communication, 10, pp. 195-222); l’auteur oppose la notion d’interdisciplinarité aux notions de « pluridisciplinarité », de « transdisciplinarité », de « multi disciplinarité » et d’« études monodisciplinaires ».
Il s’agit de
démontrer que l’enfermement « monodisciplinaire » peut avoir pour conséquence la réduction de questions fondamentales au statut d’impensé ou le renoncement, et même le refus de voir et de savoir en quoi les recherches effectuées dans des disciplines voisines peuvent confirmer et ainsi renforcer la légitimité et la validité de conclusions déduites d’un cadre théorique monodisciplinaire. (Koren, R., « Quand l’interdisciplinarité est un « état d’esprit » critique et heuristique », Questions de communication, 18 | 2010, 159-170. DOI : 10.4000/questionsdecommunication.385)
(…) deux chercheurs insistent , et dans la « Présentation » et dans un article commun, non pas sur la juxtaposition de leurs disciplines respectives, mais sur la nécessité de réfléchir sur leurs «relations ». (Boutet J., Maingueneau M., (2005). « Présentation », Langage & Société, 114, pp. 9-13. DOI : 10.3917/ls.135.0005), et l’article commun, « Sociolinguistique et analyse de discours : façons de dire, façons de faire », ibid. : 15-47, ibid. : 10) ; il ne s’agit pas de se contenter de prôner l’interdisciplinarité ou de la revendiquer, mais d’explorer une « interdisciplinarité en actes et en pratiques »(ibid. : 31 ; ibid. : 159-160).