1. ÉMOTION ET SITUATION
L’émotion est liée, associée à une situation. Dans son analyse des ‘verbes psychologiques’, Ruwet (1994: 45) parle de “source“ de l’émotion, sans développer la question de la relation de l’émotion à cette source.
Nous parlerons indifféremment de situation ou de source et de bonne raison de l’émotion en référence à la représentation de la situation qu’en donne l’expérienceur.
James : L’ours — la fuite — la peur
Dans un article fondateur, What is an emotion? (1884), James part de ce que, selon lui, le sens commun dit de l’émotion :
My thesis is that the bodily changes follow directly the perception of the exciting fact, and that our feeling of the same changes as they occur IS the emotion. Common sense says, we lose our fortune, are sorry and weep; we meet a bear, are frightened and run: we are insulted by a rival, are angry and strike. The hypothesis here to be defended says that this ordrer of sequence is incorrect, that the one mental state is not immediately induced by the other, that the bodily manifestations must first be interposed between, and that the more rational statement is that we feel sorry because we cry, angry because we strike, afraid because we tremble, and not that we cry, strike, or tremble because we are sorry, angry or fearful, as the case may be. Without the bodily states following the perception, the latter would be purely cognitive in form, pale, colourless, destitute of emotional warmth. We might then see the bear, and judge it best to run, receive the insult and deem it right to strike, but we could not actually feel afraid or angry.
James distingue trois composantes de l’émotion
we lose our fortune
we meet a bear
we are insulted by a rival
[we] feel sorry
[we] are frightened
[we] are angry
- Une action / attitude / manifestation V-MPG:
[we] weep
[we] run
[we] strike.
La thèse de James-Lange porte sur l’enchaînement de la composante corporelle et de la composante psychique de l’émotion ce qui est typiquement un problème de structure de syndrome. Comme le sens commun, James considère comme évident que ces deux manifestations se succèdent, la discussion portant sur l’ordre de succession.
On également supposer que < perception – état mental – état corporel >sont simultanées, à la durée de transmission des l’influx nerveux près.
Dans tous les cas, le déclencheur de la réaction (émotion – expression) ou (expression – émotion) est la perception de la situation.
Dans ce schéma, la situation apparaît comme la cause externe de l’émotion, qu’elle agit comme un stimulus déclenchant une réponse corporelle – mentale.
James caractérise chacune des composantes de cettre réponse par une association d’éléments typiques :
sorry – weep ; frightened – run ; angry – strike.
James décontextualise la situation émotionnante et ne distingue pas la situation matérielle et sa perception. Or la perception est un acte analytique, et c’est cette analyse de la situation qui détermine l’émotion.
En d’autre termes, ce n’est pas la situation mais son analyse qui agit causalement.
- J’ai depuis longtemps un profond désir de me faire anachorète :
Je perds ma fortune — ma figure s’illumine — je ressens une grande joie
- Je fais un séjour d’observation de la faune sauvage :
Je vois un ours — je l’observe — je suis émerveillé
Je suis insulté par un rival — je tends l’autre joue — je ressens un immense soulagement d’être enfin libéré de mon imposture.
Je vois des gens sales et mal et bizarrement vêtus dans le métro
- je vois des terroristes, j’ai peur, je sors du wagon
- je vois un groupe d’exilés, je ressens de la compassion et je leur parle
- je vois des sdf, je suis embarrassé, je baisse la tête.
Exercices
— Je rencontre un groupe de gens mendiant dans le métro.
Quelle description / perception pour quelle émotion ?
description1, [émotion1 = peur]
description2, émotion2 = haine]
description3, [émotion3 = pitié]
description4, [émotion4 = indignation]
— “I meet a bear” — quelles émotions ?
2. SITUATION STIMULUS OU SITUATION REPRÉSENTÉE ?
Illusion du stimulus
Schématiquement, selon le modèle stimulus-réponse, l’émotion est un syndrome affectant un individu ayant sa source causale dans une situation extérieure.
L’émotion est subie ; elle est produite par le choc d’un événement sur une personne. La situation agit comme un stimulus ; l’émotion est la réponse à ce stimulus.
Il existe un certain nombre, restreint, d’émotions de base universelles
Le mécanisme de l’émotion, réactions physiques et ressentis psychiques sont d’ordre physiologique. Ces mécanismes sont innés, donc universels.
Le modèle de l’émotion passive calque le choc émotionnel sur le choc physique
je me heurte à la table, j’ai un hématome ; puis, je mets de l’arnica, et si tout se passe bien, l’hématome se résorbe.
je vois un ours, j’ai peur et je fuis, puis, si tout se passe bien, je trouve un refuge et je me calme ; ou quelqu’un me rattrape et me tranquillise.
Quiconque se heurtera à la table / verra un ours aura un bleu / aura peur, et tout cela se résorbera dans les mêmes conditions organiques;
L’émotion est une condition individuelle. Si plusieurs personnes ressentent la même émotion dans les mêmes conditions, c’est que leur câblage physioogique est le même. La situation est émotionnante comme la pluie est mouillante.
Injonctions de faire, injonction d’éprouver
L’existence d’injonctions émotionnelles montre que la situation ne détermine pas causalement l’émotion à laquelle elle est liée:
Indignez-vous! (Stéphane Hessel)
Aimez-vous les uns les autres!
Redoutez ma colère!
Si l’expérienceur était causalement ému de telle émotion par la situation, on ne comprendrait pas ces injonctions. La pluie mouille causalement; l’injonction “soyez mouillés“ ne suffit pas à faire que quelqu’un soit mouillé, même s’il est sensible à l’injonction et essaie de toutes ses forces de l’être.
Si l’on peut enjoindre à quelqu’un d’aimer les autres, de s’indigner ou d’avoir peur, c’est parce que l’émotion se construit sur la base de bonnes raisons, qui sont fondamentalement des descriptions des situations dans lesquelles se trouve l’expérienceur potentiel sujet de l’injonction. On n’est pas dans du causal mais dans du sémiotique.
Désaccord sur les émotions
On parvient à la même conclusion à partir des situations d’antagonisme et de désaccord sur l’émotion appropriée:
L1: – Pleurons la mort du père de la patrie!
L2: – Réjouissons-nous de la mort du tyran!
L1: – Je n’ai pas peur des ours!
L2: – Pourtant tu devrais.
L1: — Arrête de faire la gueule
L2: — Je fais pas la gueule, je suis déprimé
L’émotion n’est pas attachée causalement à une situation donnée, mais à son formatage, repérable dans le matériau langagier. C’est en ce sens qu’on peut parler de construction argumentative de l’émotion et de la parole émotionnée comme d’une activité. Ce n’est pas la situation brute, s’il existe quelque chose de tel, qui détermine l’émotion, mais la situation sous une certaine perception – description de cette situation
À propos d’une émotion, on peut poser la question „pourquoi? (es-tu triste, en colère…)”, à laquelle on répond par l’énumération de bonnes raisons, qui ne sont autres que la description d’une situation, dont, par réification de ces bonnes raisons, on dit qu’elle est ‘la cause’ de l’émotion.
C’est la coorientations des formatages qui produit l’illusion du stimulus. Si un groupe de personne partage la même façon de voir le monde et les humains, alors plongés dans la même situation, ils l’analyseront spontanément et insconsciemment de la même façon et verront des sdf ou des terroristes ou des réfugiés.
La situation est dans l’émotion
L’émotion est inscrite dans la situation par l’expérienceur. L’expérienceur perçoit – formate la situation de telle façon, et ce formatage correspond à celui de telle ou telle émotion.
La source de l’émotion n’est pas la situation en soi, mais la situation sous une certaine description.
C’est cette description qui est activée si l’émotion doit être justifiée.
Les psychologues parlent de la composante d’évaluation cognitive de l’environnement (appraisal). Nous nous appuierons sur la description détaillée que donne Scherer de cette composante pour déterminer les règles qui organisent les descriptions de situation correspondant à telle émotion.
Estímulos simples, emociones complejas
El modelo estímulo-respuesta, aunque se amplíe, supone una buena definición de la respuesta. Sin embargo, estas respuestas no suelen ser ni estables ni inequívocas. Un modelo basado en la emoción instintiva tipo James (« oso -> miedo ») y, en general, los modelos que relacionan un acontecimiento con una emoción son demasiado simples, incluso cuando el acontecimiento que induce la emoción es un acontecimiento material externo elemental que afecta a un individuo aislado:
Es abril, estoy trabajando, miro hacia arriba y veo que está nevando. Estoy sorprendida, asombrada (¡la nieve es preciosa!), emocionada (¡esto es excepcional!), triste (la nieve me pone melancólica), irritada (¡mis plantas verdes!), preocupada (tenemos que ponernos en marcha), indignada/alegre (ya no hay estaciones, es culpa de la capa de ozono)
Esta misma ambigüedad emocional es la regla si el acontecimiento emocional afecta a un grupo; entonces es posible que los diferentes roles emocionales (el asombrado, el emocionado, el triste, el asustado, el indignado) sean asumidos por diferentes participantes en el acontecimiento, y que se produzcan verdaderos conflictos de representaciones emocionales, con la apariencia de negociaciones o discusiones emocionales.
2. L’ÉMOTION SANS TERME D’ÉMOTION
La description d’une situation peut n’expliciter aucune émotion (ne contenir aucun terme d’émotion) et cependant permettre d’inférer une émotion :
Notre héros se retrouva ainsi à la nuit tombée, perdu dans le fameux quartier mal famé de la Tarentule. Des ombres encapuchonnées l’entouraient…
Cette description ne contient aucun terme d’émotion, mais chacun des éléments soulignés est orienté vers une émotion relevant de la zone couverte par le mot ‘peur’
[Loc (Notre héros, [peur], S)]
L’hypotypose, figure majeure de l’émotion
Terminó la esquina, y cayeron sobre ellos la soledad y la oscuridad del trasero del barrio de San Magín. Se vislumbraba contra la luna la silhueta de la iglesia. Llegaba la voz de Julio Iglesias de un juke-box cercano. Carvalho y Pedro Larios quedaron bajo la campana de luz de una lámpara mecida por la brisa en lo alto de un poste metálico. Pedro seguia con las manos en los bolsillos. Sonriente miró a la derecha e izquierda, de las sombras salieron otros dos muchachos y se situaron a cada lado de Carvalho.
— Es mejor hablar con compañía.
Manuel Vásquez Montalbán Los mares del Sur, 1979
Le narrateur fait émerger la peur par la description de l’action en cours et du cadre dans lequel elle se déroule.
On remarque que, prise dans ce contexte, la voix du chanteur Julio Iglesias prend la même orientation.
Situation et situation décrite
L’émotion est liée à une situation langagièrement formatée pour cette émotion. Il s’ensuit que tout conflit sur le formatage de la situation se traduit par un conflit d’émotions.
Le fait fondamental est que les mêmes choses ne font pas les mêmes impressions, c’est-à-dire ne déclenchent pas les mêmes émotions pour/ tout le monde.
Il faut distinguer situation donnée et situation décrite par l’expérienceur. C’est celle-ci qui est pertinente pour l’émotion.
Sous cette description, alors, elle est causale pour l’émotion.
Si le stimulus est défini comme la situation matérielle, alors, il est “hors émotion”; s’il est défini comme un point de vue sur la situation, il est une composante de l’émotion.
La situation formatée pour l’émotion est liée à l’émotion par les inférences émotionnelles.
Langage cognition et construction des affects
Toutes les opérations précédentes impliquent indissociablement langage et cognition.
Selon certaines approches, l’émotion perturbe le fonctionnement cognitif:
just as an emotion affects body processes and the perceptual process, so too it affects the person’s memory, thinking, and imagination. The “tunnel vision” effect in perception has a parallel in the realm of cognition. The frightened person has difficulty considering the whole field and examining various alternatives. In anger, the person is inclined to have only angry thoughts. (Izard 1977, p. 10).
D’autres approches adoptent une vision plus positive du rôle de la cognition dans l’émotion. D’une part, pour déclencher de l’émotion, les événements extérieurs doivent être perçus: la première forme de cognition impliquée dans l’émotion est donc de l’ordre de la perception. La nature de l’émotion dépend ensuite de l’interprétation de l’événement et de son évaluation, conditionnées par l’histoire du sujet, de son système de représentations, de valeurs. C’est un point fondamental.
La définition précise de ce qu’il faut entendre par cognition et évaluation est en débat. Zajonc remarque que
appraisal and affect are often uncorrelated and disjoint […] If cognitive appraisal is a necessary determinant of affect, then changing appraisal should result in a change of affect. This is most frequently not so, and persuasion is one of the weakest methods of attitude change» (Zajonc 1984, p. 264).
La relation entre cognition psychologique et processus rationnels conscients reste à établir:
the cognitive activity in appraisal does not imply anything about deliberate reflection, rationality, or awareness … Zajonc, like many others, also seems to erroneously equate cognition with rationality» (Lazarus 1984, p. 252)
Cognition cannot be equated with rationality. The cognitive appraisals that shape our emotional reactions can distort reality as well as reflect it realistically» (op. cit., p. 253).
Zajonc’s argument is only sensible if cognition is defined as conscious propositional thinking. All other cognition, such as perceptual categorization and nonconscious cognitive enrichment are, by his definition, non cognitive. (Leventhal 1984, p. 281).
Un paysage blessé
Preparándonos para la guerra asimétrica