UN BIAIS ETHNOCENTRIQUE DANS L’ÉTUDE DE L’ÉMOTION ?
Les définitions du concept d’ “émotion”, comme celles des concepts de “colère”, “peur”, “fierté”, “honte”, “gaieté”… sont à rechercher chez les psychologues. Selon Wierzbicka, ces reconstructions, telles qu’on les trouve dans les travaux contemporains de psychologie, souffrent de déformations ethnocentriques / anglocentriques. Les langues catégorisent l’expérience humaine de multiples façons, comme on peut le voir aux contrastes existant entre les lexiques des émotions dans des langues familières comme l’anglais, le français et l’italien :
French has no noun corresponding to an undifferentiated ‘feeling’ (although it has the verb sentir corresponding to the verb feel. It does have the term sentiment, which, (in contemporary French) stands exclusively for a cognitively based feeling. Furthermore, French has the word émotion, which, however, differs in meaning from the English emotion, and whose range is more narrow […] Generally speaking, the French émotion is thought of as involuntary, sudden, intense, and typically positive rather than negative. For example, tristesse “sadness” or colère “anger” are not considered by my French informants as typical “émotions”, whereas in English sadness and anger rate very highly on the list of prototypical emotions […] Again, in French scholarly literature the word émotion is used in a sense modelled on that of the English emotion and borrowed from English scientific publications. (Wierzbicka 1995).
Quoi que l’on pense de cette brève analyse du français, et du risque d’alignement des concepts sur les particularités linguistiques de l’anglais, il reste que le but de l’analyse linguistique n’est pas de construire une théorie des émotions.
En linguistique française, il semble qu’on emploie peu volontiers le terme émotion, et qu’on lui préfère souvent sentiment, comme le montre le numéro de Langue Française intitulé Grammaire des sentiments (Balibar-Mrabti, 1995).
Il y a au moins une raison d’ordre pratique à l’usage de émotion : ce terme donne en effet accès à une famille de dérivés facilement exploitables : émotif, émotionnel, ému, émouvoir, émouvant, alors que la famille de sentiment est réduite à sentimental, si l’on passe sur ressentir, ressentiment.
On peut par exemple discuter de la communication “émotive” ou “émotionnelle” en français, alors que la communication “sentimentale” renvoie à un tout autre domaine. Suivant la proposition de Cosnier (1994, 14), on parlera également d’affects et d’éprouvés.