Module 10
Signes et indices VMPG
Voix, Mimiques, Postures, Gestes de l’émotion
L’émotion met le corps de l’expérienceur Ψ sous un régime spécial que les participants reconnaissent par empathie.
Par commodité on analyse ces transformations corporelles selon quatre composantes, selon qu’elles touchent :
— la Voix de Ψ,
— ses Mimiques faciales,
— ses Postures (les positions de son corps)
— ses Gestes
Le repérage objectif de ces transformations est une capacité partagée qu’il est possible d’éduquer et de cultiver.
Elle est une compétence professionnelle du psychologue praticien comme de l’enquêteur policier, formé à l’interrogatroie policier.
Christiane Préneron et Marie Lambert-Kugler ont montré que l’incapacité à déchiffrer les transformations émotionnelles de ses partenaires est corrélée à de grandes difficultés intellectuelles, aussi bien en français qu’en mathématiques.
Expression de l’émotion d’un personnage et cohésion narrative dans des récits d’enfants en difficulté d’apprentissage du langage écrit vs des mathématique
Le langage oral : données actuelles et perspectives en orthophonie, Déc 2010, p. 315-331
Langage émotif et langage émotionnel
Le statut des productions VMPG est ambivalent entre signe sémiotiques et indices (réponse physiologiques à un stimulus).
Cette ambivalence est liée à l’intentionnalité de ces productions et à la capacité qu’ont les locuteurs de pouvoir les mimer. S’agit-il
— De réactions physiques au stimulus que constitue la situation ?
— D’un langage corporel ?
On exprime cette opposition en distinguant langage émotif et langage émotionnel.
Expression et communication de l’émotion sont obligatoirement liées. D’une façon générale, toute variation différentielle d’un substrat est interprétable comme un état de ce substrat: les fumerolles sont “signes” d’un début d’état éruptif, comme la fièvre est “signe” d’une infection. Ces signes naturels ou indices ne sont pas dits expressifs, dans la mesure où ils ne font pas intervenir une activité intentionnelle, et où ils sont conditionnés absolument par le phénomène dont ils sont une composante. Ils ne sont ni signifiants ni communiqués, ce qui ne les empêche évidemment pas d’être interprétés.
Pour qu’il y ait expression, il faut qu’il y ait intention de communiquer, donc quelque chose comme un sujet intentionnel pilotant plus ou moins ses actes communicatifs.
Dans l’activité langagière globale les informations intentionnelles se combinent aux informations non intentionnelles; cette constatation est à base de l’opposition entre communication émotive et communication émotionnelle.
Cette distinction a été proposée par Marty (1908) ; Caffi et Janney la présentent comme suit (1994b, p. 348). La communication émotive [emotive] est
The intentional strategic signalling of affective information in speech and writting (e. g. evaluative dispositions, evidential commitments, volitional stances, relational orientations, degrees of emphasis, etc.) in order to influence partner’s interpretation of situations and reach different goals
La communication émotionnelle [emotional] est
a type of spontaneous, unintentional leakage or bursting out of emotion in speech (id.).
C’est une question d’interprétation. Telle contraction des muscles zygomatiques peut-elle / doit-elle être interprétée comme une contraction due à la douleur, comme une ébauche de sourire, comme un tic, …?
Cette question conditionne évidemment les attributions d’émotion.
Elle revient sans cesse dans l’analyse de l’expression des émotions faite sur des corpus oraux.
L’expérience montre que les avis des analystes peuvent être très divergents, mais peuvent aussi être consensuelles, ce qui incite tout de même à considérer comme fondée l’attribution d’une émotion sur laquelle il y a consensus.
S’il s’agit d’enregistrements où l’émotion est mise en scène, alors les productions corporelles sont soit alignée sur les productions langagières, soit dans une discordance évidente qui peut, par exemple, produire un effet comique.
Le point important : il s’agit de transformation du corps ; mais toute transformation du corps peut-elle être interprétée comme un indice-signe d’émotion ?
Associations lexicalisées de l’émotion à certaines manifestations VMPG
Le lexique associe les émotions à certaines manifestations VMPG, qui se trouvent ainsi conventionnalisées (stéréotypées).
Cette association est plus ou moins conventionnelle, et peut varier selon les langues-cultures.
Les larrmes étant associées à l’émotion, s’essuyer les yeux est interprété comme signe d’un état ému.
La méthode des impacts permet de cerner certaines de ces manifestions qui, dans une communauté donnée, ont un statut sémiotique.
“Lever les bras au ciel” de façon ostensible, voire ostentatoire, peut certainement être compris comme un signe sémiotique signifiant quelque chose de l’ordre de l’impuissance ou de la lassitude.
Stéréotypisation de la composante posturale-comportementale
La composante expressive s’analyse en traits discontinus, par exemple “rougeur de la face”, “sécheresse de la bouche”, “transpiration augmentée”.
Ces traits peuvent être posés par le physiologiste, capable de les discriminer et de les caractériser et de les catégoriser sur des bases qui n’ont rien à faire des questions de langage, et enfin de les nommer selon les us et coutumes de son domaine.
Il se trouve que certaines expressions langagières plus ou moins figées, ou des familles d’expressions en gros synonymes, désignent, ou prétendent désigner, de tels traits, par exemple “une lueur de joie traversa son regard”.
Du point de vue de la sémiologie langagière, certaines émotions “se lisent dans le regard” de la personne émue, et d’autres moins, c’est ce que tente de noter le tableau ci-dessous.
Supposons que les recherches sur la physiologie des émotions découvrent un jour que l’influence de “la peur” influe sur “le regard” d’une manière toute différente de “la fierté”. Alors on aura découvert que ce tableau, qui jusqu’à nouvel ordre manifeste un arbitraire langagier, a en fait valeur référentielle.
Par exemple, l’émotion et les émotions comme la peur, la colère, la joie, la tristesse la fierté, la honte … se lisent dans le regard de Ψ.
Du moins pour justifier l’attribution de ce genre d’émotions à Ψ, on peut dire qu’on l’a lue dans son regard.
Mais l’émotion qu’on lit dans le regard n’est pas celle qui étincelle dans ce regard.
Si toutes les émotions précédentes peuvent se lire dans le regard de Ψ, seules la colère, la joie peuvent y étinceler, peut-être la fierté, dans la mesure où elle est une joie, mais certainement ni la honte, ni la peur ni la tristesse.
Le corps de la peur
Une série d’expressions stéréotypées décrivent des attitudes, des comportements, des réactions comme convenant typiquement à telle ou telle émotion, en sélectionnant notamment les zones corporelles affectées préférentiellement par cette émotion. Les coutumes langagières lisent la peur sur le corps selon le code suivant
— Sur tout le corps : trembler de peur, trembler comme une feuille, et plus particulièrement sur les jambes et les dents : les jambes (les genoux) flageolent, les dents claquent.
— Le cœur : le cœur cesse de battre (alors que le cœur battant renvoie à l’attente du plaisir), on se sent défaillir (mais on se pâme seulement de plaisir).
— La couleur du visage : vert de peur, blanc de peur, blanc comme un linge (mais pas *pâle de peur vs pâle de rage).
— Les réaction cutanée : avoir la chair de poule, suer de peur.
— La température corporelle : glacé d’effroi, tout mon sang se glaça dans mes veines.
— Les cheveux : ses cheveux se dressèrent sur sa tête.
— La bouche et la voix : la bouche sèche, muet d’effroi, mais hurlant de peur.
— Les viscères : son estomac se nouait, il faisait dans son froc, malade de peur.
Ces réactions se traduisent sur le comportement ; paralysé par la peur, cloué sur place, pétrifié, mort de peur ; on notera que ce n’est pas la fuite mais la paralysie qui est langagièrement associée à la peur ; la fuite est une action délibérée.
Ces descripteurs stéréotypés entrent dans le repérage des émotions. Si un discours signale que telle personne a la chair de poule, alors on peut légitimement attribuer à cette personne une émotion qui se trouve dans le champ de la peur (notée /peur/) — et pas quelque chose de l’ordre de la fierté, puisqu’en français, la fierté ne donne pas la chair de poule, ou, plus exactement, fierté et chair de poule ne sont pas cumulables sur un même référent humain. L’émotion est ainsi reconstruite “d’aval en amont”, sur la base du seul matériel verbal.