Ecthèse

ECTHÈSE

L’ecthèse est un processus de démonstration s’appuyant sur un exemple générique. De même, l’analyse s’appuyant sur un exemple quelconque peut en proposer un modèle valide si elle s’appuie sur les seuls traits génériques de ce cas particulier.

 

1. Démonstration sur un exemple générique ou ecthèse

Un exemplaire ou un cas générique est un être ou un cas dans lequel se manifestent clairement toutes les propriétés du genre auquel il appartient ; il est un prototype du genre, il incarne le genre au plus près.
L’argumentation sur l’exemple générique s’appuie sur un tel exemplaire pour en tirer des conclusions sur tous les individus appartenant à ce même genre, et sur le genre lui-même.

L’exemple générique consiste en l’explication des raisons de la validité d’une assertion par la réalisation d’opérations ou de transformations sur un objet présent, non pour lui-même, mais en tant que représentant caractéristique d’une classe. (Balacheff 1999, p. 207)

Le procédé est également connu sous le nom d’ecthèse :

Technique de démonstration utilisée surtout en géométrie euclidienne : pour établir un théorème, vous raisonnez sur une figure singulière. Votre inférence est correcte si elle ne fait pas état des caractères propres à la figure tracée, mais uniquement de ceux qu’elle partage avec toutes les figures de son espèce. (Vax 1982, art. Ecthèse)

D’une façon générale, présenter plus ou moins implicitement un exemple comme générique permet de s’épargner le travail harassant et périlleux de vérification sur un grand nombre de cas. Mais un cas concret présente toujours des particularités sur lesquelles il est imprudent de fonder une généralisation.

2. Modélisation s’appuyant sur un spécimen ou un cas unique

La généralisation à partir d’un l’exemple est une extrapolation légitime s’il s’agit d’un exemple générique. La généralisation opérée à partir d’un seul trait est valide s’il s’agit d’un trait générique. Si on se pose la question du nombre des ailes des corbeaux, il suffit d’observer attentivement un individu corbeau, pris au hasard. En revanche, si on se pose la question du poids moyen d’un corbeau, la même procédure appliquée à partir d’un exemplaire quelconque est absurde :

Ce corbeau pris au hasard pèse 322 g.
Donc le poids moyen d’un corbeau est de 322 g.

Comme dans bien des cas on ne sait pas si le trait est essentiel ou accidentel, cette distinction est exploitée comme une ressource argumentative. Le proposant considère que la généralisation est valide, car elle se fait sur un trait caractérisant l’être en question de façon univoque. L’opposant rétorque que sa généralisation n’est pas valide, car elle repose non pas sur un trait essentiel, mais sur un trait accidentel.

Une argumentation développée à partir des données fournies par un seul squelette d’animal appartenant à une espèce disparue fournit une foule de connaissances certaines sur cette espèce. Mais ce squelette unique peut, en outre, présenter des traits individuels spécifiques, non généralisables.

    1. Question : L’homme de Néandertal est-il notre ancêtre ou une espèce différente de la nôtre ?

Les conceptions des savants concernant les Néandertaliens ont connu plusieurs avatars. (Göran Burenhult, Vers Homo Sapiens, p. 67[1])

    1. Première réponse : Malgré de grandes différences d’apparence, le Néandertalien appartient à notre espèce.

Il est évident depuis longtemps que l’apparence physique de l’homme de Néandertal – et surtout celui d’Europe – était très différente de la nôtre.
(Ibid., p. 66)
Malgré ces différences physiques, on a longtemps considéré les Néandertaliens comme des ancêtres directs de l’homme actuel. (Ibid., p.67)

    1. Seconde réponse : Ces différences sont trop grandes, le Néandertalien appartient à une autre espèce.

Ce n’est qu’à la suite des travaux du paléontologue français Marcellin Boule que l’on a jugé ces différences trop importantes pour qu’il en soit ainsi. (Ibid., p.67)

Le Néandertalien de Marcellin Boule :
À partir de 1911, le paléoanthropologue Marcellin Boule publie une étude détaillée du squelette. Il en a bâti une image qui a conditionné la perception populaire de l’homme de Néandertal pendant plus de trente ans. Ses interprétations sont fortement influencées par les idées de son époque concernant cet hominidé disparu. Il le décrit comme une sorte d’homme des cavernes sauvage et brutal, se déplaçant en traînant les pieds et n’arrivant pas à marcher redressé.

Marcellin Boule décrit un Néandertalien doté d’un crâne aplati, la colonne vertébrale courbée (comme chez les gorilles), les membres inférieurs semi-fléchis et un gros orteil divergent. Cette description correspond bien avec les idées de l’époque sur l’évolution humaine. (Wikipédia, Marcellin Boule[2])

    1. Réfutation : Le Néandertalien de Marcellin Boule était simplement arthritique, ce qui n’en fait pas un être d’une autre espèce.

Marcellin Boule [avait], en 1913, exagéré ses différences avec nous, ne réalisant pas que le squelette qu’il étudiait – le “Vieil Homme” de la Chapelle aux Saints (Corrèze) – était déformé par l’arthrite, comme le démontrèrent W. Strauss et A. J. E. Cave en 1952. (Burenhult, ibid., p. 67)

Jean-Louis Heim décrit le sujet comme gravement handicapé, l’individu souffrait entre autres d’une déformation de la hanche gauche (épiphysiolyse, ou plutôt traumatisme), d’un écrasement du doigt du pied, d’une arthrite sévère dans les vertèbres cervicales, d’une côte brisée, du rétrécissement des canaux de conjugaison par où passent les nerfs rachidiens.
Wikipédia, Marcellin Boule, ibid.

    1. Conclusion, troisième réponse : Notre cousin de Néandertal

Aujourd’hui on les considère plutôt comme des cousins que comme des ancêtres, bien qu’ils nous ressemblent beaucoup sous de nombreux aspects. (Burenhult, ibid.)

S’il veut reconstruire le système d’une langue, le linguiste doit s’assurer que le langage de son informateur correspond à la pratique standard dans sa communauté.


[1]  Les premiers hommes, préface de Yves Coppens, Paris, Bordas, 1994.
[2]  http://fr.wikipedia.org/wiki/ Marcellin_Boule (20-09-2013)
[3] Paris, Grasset, 1975, p. 224-225 (italiques dans le texte).