AXES D’ORIENTATION VERS UN AFFECT – VERS UNE ÉMOTION

AXES ORIENTANT VERS UN AFFECTVERS UNE ÉMOTION

 

Les modules précédents  présentent les instruments permettant de reconstruire des émotions, par désignation directe ou par développement d’indices. Ce module se situe d’abord du côté de la production.
Il s’agit de préciser les principes généraux qui, dans un discours, organisent la construction de l’émotion. Cette recherche s’appuie sur les bases suivantes :

— Les procédés rhétoriques de dramatisation de la parole

• Règles dégagées par la rhétorique ancienne et classique,

Règles rhétoriques de construction de l’émotion (Lausberg, 1971 ;1973)

• Règles de construction du discours médiatique ‘

“Emotion and emotional language in English and German news stories”  (Ungerer 1995 ; 1997)

—L’approche pragmatique du langage émotionnel

“Towards a pragmatics of emotive communication”
(Caffi & Janney, 1994; Caffi, 2000)

— L’approche psychologique des émotions:

“…Emotions : A component process approach” (Scherer 1984 / 1993)

Le potentiel émotionnant d’une description de situation peut s’évaluer à deux niveaux, le premier correspondant à une orientation générale vers un affect, le second à une orientation plus spécifique vers une émotion particulière.

1. AXES DE DÉVELOPPEMENT DES AFFECTS

De nombreux psychologues (mais pas tous) soutiennent l’existence d’une “composante cognitive” des émotions; le système d’axes qui suit forme en quelque sorte la contrepartie discursive du système cognitif de Scherer; on pourrait dire, de façon métaphorique, que ce travail porte sur la contrepartie discursive de leur composante cognitive; cette formulation est cependant approximative, dans la mesure où il ne s’agit pas d’ajouter une composante aux autres; l’émotion parlée reformate toutes les composantes.

Dans ce qui suit, la structure de la composante discursive du traitement de l’émotion est traitée comme un problème autonome, les règles qui la composent devant être déterminées et mises à l’épreuve empiriquement sur des discours particuliers. L’ensemble suivant d’axes organisant le discours émotif a été mis au point à partir des données présentées précédemment (règles rhétoriques, principes d’inférence, catégories linguistiques, facettes cognitives). Il s’agit donc de l’ensemble des moyens permettant de formater une situation non seulement comme émotionnante, mais comme orientée vers tel ou tel type d’émotion spécifique.

Ces axes de formatage de l’émotion sont inspirés de Scherer. On remarquera sans surprise que ces axes recoupent tous les axes de construction d’une description en langage ordinaire, voir  Invention : §1 Une technique universelle de recherche de l’information

Agrément beûrk ! / hmm !
Catégorisation de l’événement mort / vie
Catégorisation
des acteurs
– riches / pauvres
un gangster / un passant atteint par une balle
Quantité, intensité trois / trente victimes
Analogie (un moyen de catégorisation) comme une éruption volcanique / comme un feu d’artifice
Moment (calme toi )tout ça, c’était avant, c’est fini! / ça peut se reproduire n’importe quand, faut s’y préparer
Lieu la victime faisait ses courses dans son quartier / errait dans un terrain vague
— humiliation subie
en face à face / en public
Distance spatiale à l’expérienceur  – quelque part dans les Balkans / à deux heures d’avion de Paris
Causalité, Agentivité l’accident a été provoqué par le brouillard / un chauffard ivre
– c’est la fatalité / l’administration est responsable
)
Conséquences pour l’expérienceur, du point de vue de ses intérêts et de ses valeurs ce comportement semble anodin, ses conséquences seront redoutables
– En imposant un blocus à la Syldavie,nous luttons contre un régime antidémocratique / nous agissons contre nos intérêts matériels
Contrôle tout ça,nous on n’y peut rien ! /  aux armes citoyens!
Normes un salaud vs un martyr

Sur tous ces axes interviennent les mécanismes de maximisation et de minimisation (euphémisation) qui amplifient ou émoussent l’émotion.

Comme on le verra dans les commentaires qui suivent ces différents axes ne travaillent pas indépendamment les uns des autres.

Agrément: Evaluation de l’événement sur l’axe plaisir / déplaisir.

Cet axe correspond sur le plan linguistique à l’axe classique plaisir / déplaisir des psychologues, repris par Caffi et Janney, ainsi qu’au “principle of emotional evaluation” d’Ungerer.

L’évaluation peut être basique, vue comme une réaction de tout le corps à un événement (réaction de rejet – réaction d’ouverture), accompagnée de production vocales semi-linguistiques (beûrk! vs hmm!); par cette réaction émotive primaire, l’événement est pour ainsi dire “posé” sur l’axe évaluatif par un mouvement réflexe, accompagné de productions linguistiques minimales. L’évaluation peut être de plus en plus élaborée verbalement (C’est inadmissible! vs C’est super!), s’accompagner d’un affichage émotionnel explicite (c’est désagréable, je suis écœuré vs c’est agréable, je suis sur mon petit nuage). Elle est franchement différée dans d’autres cas, où elle n’a plus rien de réflexe, plus rien d’évident et être construite au cours d’un long travail linguistique et cognitif composant des données issues de tous les axes de catégorisation de l’émotion, et aboutissant à une conclusion évaluative comme “Finalement, en fait, à la réflexion, tout cela est extrêmement positif et même plaisant + face épanouie et mimique d’ouverture”. Cette évaluation peut être le fait de n’importe quel acteur impliqué dans l’événement, y compris de son narrateur.

Type d’événement 

La désignation de certains événements renvoie à des préconstruits euphoriques ou dysphoriques (“pulsion de vie / pulsion de mort”: mariage vs enterrement, attentat, fête…), qui les positionnent du côté négatif ou positif de l’axe de l’agrément. Ce positionnement se fait par défaut, stéréotypiquement, dans la mesure où d’autres considérations circonstancielles peuvent intervenir (un mariage peut être triste). Cette catégorie correspond aux règles rhétoriques de monstration d’événements émotionnellement marqués, au “principle of animacy” de Ungerer. Outre les émotions intégrées aux préconstruits linguistiques, entrent dans l’inventaire des données émouvantes tous les rapports d’antécédents qui, dans les relations sociales ordinaires provoquent de l’émotion (Cosnier 1994, Chapitre 3; Scherer, Walbott, Summerfield, 1986). La nature de ces données est évidemment liée à une culture. A la limite, l’émotion mimésique est produite en faisant halluciner la scène par le lecteur. A l’article “évidence” de son Dictionnaire de rhétorique, Molinié mentionne «cette fameuse et ridicule suppression de l’écran du discours, avec l’idée que l’auditeur est transformé en spectateur» (1992, p. 145); il y a évidemment une différence entre participer à la bataille et lire un roman guerrier, mais il reste à rendre compte, par exemple, de l’effet hallucinatoire du récit.

Types de personnes 

Cette catégorie reprend le “Principle of rank” de Ungerer. A événement “égal”, l’émotion varie avec l’identité des personnes (ou des êtres sensibles) affectées, certaines personnes étant émotionnellement plus “sensibles” que d’autres vis-à-vis du même événement. A degré de proximité (de parenté) égal, la mort d’un enfant affecte “plus” que celle d’un vieillard, celle d’un civil “plus” que celle d’un militaire. “Gagner le gros lot” ne suscite pas les mêmes sentiments selon qu’il affecte “un gros notable” ou “une famille dont le père est au chômage”. “Un clochard / un gangster est retrouvé assassiné” induisent des sentiments bien différents, indignation dans un cas, perplexité ou réjouissance dans l’autre (voir Étude 3).

Intensité, Quantité 

La modulation quantitative peut affecter différentes catégories (Distance ou Temps: (très) loin de nous; qualité des Personnes concernées: un (tout jeune) enfant, etc.). L’émotion varie également avec la Quantité de personnes affectées: un accident qui affecte cinquante personnes induit plus d’émotion et de plus gros titres dans les journaux qu’un accident qui touche une personne. Mais elle peut naître également d’une opposition entre l’unique / le nombreux: l’unique victime d’un accident qui aurait pu faire cinquante morts est d’autant plus objet de pitié. Cette catégorie correspond à l’axe quantitatif des psychologues; à un aspect du principe “Be drastic” et au “principle of number” de Ungerer; à la dimension “Quantity” de Caffi et Janney; elle est mise à contribution par la dramatisation rhétorique.

Analogie 

L’importance de l’analogie dans la production des émotions est bien exprimée par le principe de Ungerer, «use metaphorical links wit emotionally established domains». L’analogie est un puissant instrument de construction de l’émotion. Elle permet de transférer l’émotion associée à un événement pour lequel la tonalité émotionnelle est stabilisée à d’autres événement en cours d’évaluation émotionnelle: “Des camps où on torture et on massacre”, “comme une bombe atomique” (voir Étude 3).

Temps 

Selon leur mode de construction temporelle et aspectuelle, les événements sont exclus ou inclus dans la sphère temporelle subjective de la personne: “au moment même où je vous parle…”; “mais maintenant tout ça c’est fini”. La dimension temporelle est essentielle dans la construction de l’urgence ainsi que de la surprise, composante de toute émotion. Cette catégorie correspond à la facette F1 de Scherer, et renvoie également aux techniques rhétoriques de chronographie.

Lieu 

Le lieu où se produit l’émotion peut être émotionnellement marqué (meurtre dans un terrain vague vs meurtre dans la cathédrale); il peut l’être par rapport à une personne donnée (on l’a retrouvé gisant dans votre bureau). Cette catégorie correspond à la facette F10 de Scherer, et renvoie également aux techniques rhétoriques de topographie. Sa subjectivisation renvoie au “Principle of proximity” de Ungerer.

Globalement, les catégories du lieu et du temps reconstruisent l’événe­ment selon les coordonnées spatio-temporelles de la personne cible.

Distance 

L’émotion varie avec la distance de l’événement au sujet affecté. Le terme est à prendre au sens matériel (proche / lointain) : “Ces événements tragiques se déroulent à Srebrenica / quelque part dans les Balkans / à deux heures d’avion de Paris”, mais aussi au sens de d’intimité (intimacy, involvment, solidarité) “c’est une question de mathématique financière / ceci nous conerne tous”). On retrouve la facette F12 de Scherer, mais aussi des éléments entrant dans la dimension «control» de Caffi et Janney. Les modalités introduites par rapport au thème du dire ou à la relation interviennent également dans sa définition (Caffi 2000).

Causalité, agentivité 

Cette catégorie essentielle renvoie aux facettes F3 et F11 de Scherer. La détermination d’une cause ou d’un agent influence les attitudes émotionnelles vis-à-vis d’un l’événement. Elle est notamment à l’origine des variations d’émotions liées à l’imputation de responsabilité. L’accident est dû à la fatalité (“glissement de terrain”) ou à un acte délibéré (“un chauffard ivre et sans permis leur a foncé dessus”); il y a douleur simple dans le premier cas, colère dans le second. Selon que l’on attribue à la désertification des campagnes une cause abstraite (“la politique agricole commune”) ou des agents (“les commissaires européens”), on construit de la résignation ou de l’indignation politique (voir Étude 2). “Pierre terrorise Paul” induit vis-à-vis de Pierre quelque chose comme de l’indignation, alors que “Pierre terrifie Paul” peut lui valoir de la pitié (si Pierre est un Quasimodo) (voir Chapitre 8).

Conséquences 

Cette catégorie correspond aux facettes F6, F7 et F8 de Scherer. Par exemple, pour orienter l’attitude émotionnelle d’une personne vers la peur (construire de la peur), on peut lui montrer, par un schéma en tout point analogue à celui d’une argumentation par les conséquences, que les conséquences négatives de tel événement étant effroyables, la source l’est tout autant (voir Étude 7).

Contrôle 

Cette catégorie “contrôle” de Caffi et Janney correspond à la facette F4 de Scherer. Pour un individu, l’émotion associée à un événement varie avec sa capacité de contrôle de cet événement. Si l’évolution d’un état de fait provoquant de la peur échappe à tout contrôle, la peur devient panique.

Normes 

L’émotion attachée à un événement affectant une personne varie selon la position de cet événement dans le système de valeurs de la personne en qui se construit l’émotion. Cette catégorie couvre le lien des émotions aux valeurs, et correspond à la facette F5 de Scherer, et au «Principle of emotional evaluation» d’Ungerer (voir Étude 1).

Les émotions sont fondamentalement marquées par la division des valeurs et des intérêts. Étant donné un sujet face à un événement, on ne peut rien dire de la nature de l’émotion ressentie par ce sujet (sauf dans le cas d’émotions réflexes innées, comme la peur induite chez le caneton par l’ombre du rapace; ou la sueur froide de l’automobiliste qui vient d’échapper à l’accident). Supposons qu’un individu se trouve face à une autre personne morte, ou qu’on lui annonce “Untel est mort”. Son ressenti dépend totalement de la relation qu’il entretenait avec le mort: s’il s’agit de son ennemi, il ressentira de la joie, (“ça fera toujours un salaud de moins”) consécutive à la fin de la peur, ou à l’exaltation du triomphe guerrier (“maintenant c’est moi le plus fort!”); dans une telle situation, s’applique le principe de complémentarité des émotions: “le bonheur des uns fait le malheur des autres”. S’il s’agit d’un inconnu, peut-être de l’effroi, ou de la pitié, ou simplement de l’indifférence, si la scène se passe en temps de guerre; s’il s’agit d’un proche, de l’effroi, du désespoir, de la tristesse, de la dépression ou d’autres sentiments associés au deuil. S’il s’agit de son fils, la réaction peut-être la même, mais aussi quelque chose comme de la fierté: “mon fils est un héros, un martyr, un saint” – du moins on dit parfois que tel est le cas. L’émotion ressentie peut différer de l’émotion stéréotypée donnée dans la définition officielle de la situation.

Les règles précédentes admettent des interprétations absolues ou relatives à un individu. La première interprétation correspondrait à la genèse de l’émotion attachée à un événement dans l’absolu. La seconde ramène l’événement à un point de vue particulier.


CONCLUSIONS

On remarquera que ces catégories recoupent les catégories générales de construction rationnelle des événements selon leurs types, la qualité des personnes impliquées, leur mode d’occurrence temporelle et spatiale, leur distance au locuteur, le type de contrôle exercé sur l’événement, la classe d’événements comparables, la façon dont les normes sont affectées par l’événement. Cela signifie que, dans la parole ordinaire, toute construction d’événement est inséparable d’une prise de position émotionnelle vis-à-vis de cet événement.

Cette approche permet de développer l’analyse du langage des émotions en fonction du cadrage des situations, c’est-à-dire de leur transformation linguistique en stimuli. Les résultats ainsi otenues sont à coordonner à ceux que livre la prise en compte de leur mention directe (énoncés d’émotion) et de la description de leurs modes d’expression (reconstruction par l’aval).


                     2. ORIENTATION VERS UNE ÉMOTION SPÉCIFIQUE

Ces axes de construction d’une émotion spécifique peuvent être dégagés à partir des schèmes discursifs inventoriés par Aristote dans la Rhétorique :

L’examen [de chacune des passions qui conduisent à modifier son jugement] doit être divisé en trois.
Par exemple, au sujet de la colère on étudiera successivement quelles sont les dispositions des colériques, quelles sont les personnes contre qui on se met ordinairement en colère, et à quels sujets.
Rhét. Chiron, p. 262-263.

La Rhétorique développe ces schèmes sur le modèle discours / contre-discours, qui d’emblée positionne l’analyse au-delà de toute vision mécaniciste des émotions.
Les émotions traitées sont celles qui figurent dans la liste présentée au module II : Une collection de listes.

La lecture de ces schèmes discursifs est assez rébarbative, comme l’est nécessairement toute lecture d’une liste de procédés (par exemple la lecture d’une liste de schèmes argumentatifs, voir Typologies des arguments). Mais on ne peut pas faire l’impasse de la description linguistique détaillée des discours typiquement associés aux différentes émotion si on veut étudier l’émotion dans la parole.

On ne peut se persuader de la pertinence des descriptions fournies par la Rhétorique qu’en les mettant à l’épreuve des discours, où on trouvera certainement matière à les améliorer.

À titre d’exemple, la Rhétorique caractérise la honte comme suit :

La honte et l’impudence
Aristote, Rhétorique
Définition de la honteLa honte est une souffrance et une perturbation concernant ceux des maux qui peuvent conduire à la perte de sa réputation.
Quant à l’impudence, c’est une sorte de dépréciation et d’indifférence vis-à-vis de ces maux. (Rhét. Chiron, p. 296-297)En d’autres termes,
— Définition de la honte : La honte est une souffrance et une perturbation

— Source de la honte : L’expérienceur considère que certaines de ses actions passées peuvent lui faire perdre sa réputation, c’est-àdire endommager l’image qu’il veut donner de lui-même.« Les sujets de honte » (297)Plus loin, la honte est définie d’une façon apparemment tautologique, « on a honte en raison du genre de maux qui passent pour honteux », c’est-à-dire :
• Aux actions qui sont socialement stigmatisées comme des vices :

— lâcheté
— injustice
— dévergondage
— avarice
— flagornerie
— mollesse
— mesquinerie et la bassesse
— vantardise

• « Ne pas avoir part aux biens dont bénéficient soit tous les hommes, [etc] » (299), par exemple, ne pas avoir reçu d’éducation.

• « Subir… tous les actes de nature à conduire au déshonneur et à l’infamie » (id.), par exemple,

« Personnes devant qui on éprouve de la honte » (300)

« Puisque la honte est une représentation (phantasia) portant sur la perte de sa réputation, [ si l’on éprouve de la honte, c’est forcément face à ceux dont on fait cas. Or on fait cas :

1° de ceux qui nous admirent, de ceux que nous admirons, de ceux par qui nous voudrions être admirés
2° de ceux avec qui nous sommes en compétition
3° de ceux dont nous ne méprisons pas l’opinion » (id.)

« La honte est plus grande pour des actes commis sous les yeux d’autrui et à découvert, d’où le proverbe disant que la honte est dans les yeux » (id.)

On a honte devant
          — les gens vertueux et sévères
          — ceux qui « [divulguent] les ragots » (301)
          — ceux qui nous admirent (id.)

Un scénario
Avec quelques ajustements, cette définition – description de la honte / impudence s’incarne dans le scénario suivant, que chacun peut améliorer.


– A a agi sous l’emprise d’un vice, il a commis des choses que sa communauté n’accepte pas: il s’est conduit comme un lâche, il n’a pas rempli ses engagements, il a commis une injustice, il a fait les poches d’un mort, il a copulé dans des lieux et avec des personnes inappropriées, il s’est enivré et il a vomi devant ses subordonnés; il s’est montré vantard, flagorneur; il s’est montré faible et a accepté son humiliation

– B est au courant, il a tout vu.

– B est une personne importante, de référence pour A; A admire, aime B.

– A souffre parce qu’il fantasme (ou il vit) la perte de sa réputation devant B: «la honte est dans les yeux» (Rhét., 1384a35; trad. Chiron, p. 300).


Avoir honte, c’est se projeter dans ce scénario.
Faire honte à quelqu’un, c’est lui appliquer ce discours et le développer ce discours à son intention.

Réciproquement, pour calmer le honteux, le rasséréner, le ramener à la bonne conscience on minore les éléments source, on lui expose que sa conduite n’était pas tellement répréhensible, que maintenant personne n’a rien à faire de sa réputation, que personne ne l’a vu, etc.

 

 


 

 

 

La Fontaine, Le Pouvoir des fables – ou l’échec de la rhétorique du logos (l. 3-6) et du pathos (l. 6-14).

[…]

Dans Athène autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune; et d’un art tyrannique,
Voulant forcer les coeurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.

On ne l’écoutait pas. L’orateur recourut

A ces figures violentes

Qui savent exciter les âmes les plus lentes:

Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.

Le vent emporta tout, personne ne s’émut;

L’animal aux têtes frivoles,

Etant fait à ces traits, ne daignait l’écouter;

Tous regardaient ailleurs; il en vit s’arrêter

A des combats d’enfants et point à ses paroles.

[…]

 

 

[1]         Cette formulation rapproche clairement l’éthos du pathos: plaire est de l’ordre du sentiment.

[2]         Voir Annexe, La Fontaine, Le Pouvoir des fables.

[3]         Voir Annexe 3 “Cognition émotionnelle”.

[4]         On peut considérer que les opérations langagières, qui constituent la composante discursive du traitement des stimuli émotionnels, sont la trace d’opérations cognitives “plus profondes”, ce qui oriente vers une vision du langage reflet, et, sinon à une négation, du moins à une minoration de l’autonomie de l’ordre du discours. On peut également considérer que les opérations linguistiques provoquent des ébauches de processus cognitifs, avec les difficultés symétriques.