SOPHISME, SOPHISTE
On parle de sophismes et de sophistes dans deux contextes bien distincts, en philosophie et dans le discours ordinaire. Les sophistes historiques sont des philosophes grecs qui ont amené les locuteurs ordinaires à affronter les paradoxes de l’expression ordinaires. Dans le langage contemporain, un sophisme est un raisonnement fallacieux ouvertement absurde destiné à tromper l’interlocuteur.
On parle de sophismes et de sophistes dans deux contextes bien distincts, en philosophie et dans le discours ordinaire.
1. Les sophistes historiques
Les sophistes historiques représentent la première école de mise en pratique d’une réflexion sur le langage dans l’interaction sociale. Au moyen d’interventions discursives appelées sophismes, les sophistes déstabilisent les représentations courantes sur le langage, mettent en avant son arbitraire au sens saussurien, ce qui est une provocation pour les locuteurs ordinaires pour qui le langage est transparent et non problématique.
Ces discours ont moins l’intention de tromper que de mettre leurs interlocuteurs face aux paradoxes de l’expression telle qu’on la pratique couramment.
Dans l’Euthydème, Platon met en scène Socrate en train d’examiner les raisonnements que le sophiste Dionysodore propose à son naïf interlocuteur, Ctèsippe, dont le suivant est un exemple.
— Dis-moi en effet : tu as un chien ?
— Oui, et très méchant, dit Ctèsippe.
— A-t-il des petits ?
— Oui, et aussi méchants que lui.
— Le chien n’est-il pas leur père ?
— Je l’ai vu de mes yeux, répondit-il, couvrir la chienne.
— Eh bien, le chien n’est-il pas à toi ?
— Certainement, dit-il.
— Donc, il est père et à toi, en sorte que ce chien devient ton père, et toi frère des petits chiens.
Platon, Euthydème.[1] XXIV, 298a-299d ; Chambry, Paris, Garnier. p. 141-142.
Il est évident que ce discours n’est pas fait pour convaincre Ctèsippe qu’il est fils et frère de chien. Le discours sophistique ne trompe pas ses auditeurs, il les plonge dans le désarroi ou la fureur.
Les problèmes proposés par les sophistes, comme le paradoxe du menteur ou le paradoxe du tas (sorite) restent ouverts, De même, la question éthique des premiers devoirs de l’homme reste ouverte : sont-ils définis par la société ou directement dans une négociation de personne à personne ?
[Antiphon le sophiste affirmait que] la loi, en obligeant l’homme à témoigner la vérité devant les tribunaux, nous oblige souvent à faire tort à qui ne nous en a fait aucun, c’est-à-dire à contredire le premier précepte de la justice.
Émile. Bréhier, Histoire de la philosophie, [1928][2]
La sophistique représente, avec le scepticisme, un mouvement intellectuel essentiel pour l’argumentation, V. Assentiment.
Les sophistes ont formulé le principe du débat pied à pied entre discours contradictoires, les anti-logies (Antiphon, Disc.), la notion de point de vue, la réflexion sur le vraisemblable et les paradoxes du langage. Ces positions ont été stigmatisées par l’idéalisme platonicien, qui leur a imposé des déformations dont elles ont souffert au moins jusqu’à Hegel en philosophie et que seul le langage courant a retenu.
Les anciens sophistes n’étaient pas plus des sophistes au sens contemporain du terme que Duns Scott, le “Docteur subtil” n’était a dunce, “un cancre stupide”, alors que le mot dunce provient de son propre nom, Duns.
2. Sophisme, sophiste dans le parler contemporain
Dans le langage contemporain, un sophisme est un raisonnement éristique, c’est-à-dire fallacieux, paralogique. Du point de vue interactionnel, c’est un discours embarrassant, mensonger, manipulatoire et dangereux, dénoncé comme évidemment faux, mais dont la réfutation est difficile. Quel que soit le type de discours qu’on dénonce en le mettant dans la catégorie de “sophisme”, le concept est essentiel pour l’analyse de la réception polémique du discours argumentatif.
Un sophisme est un paralogisme enveloppé dans un discours malintentionné, produit pour faire perdre pied à l’adversaire. La distinction sophisme/paralogisme repose sur une imputation d’intention inavouable, qui peut ou non être portée à bon droit. Le paralogisme est du côté de l’erreur et de la bêtise ; le sophisme est un paralogisme servant les intérêts ou les passions de son auteur. En vertu du principe “cherchez à qui profite le crime”, une telle “erreur” est chargée d’intention maligne par celui qui en est le destinataire et la victime potentielle. De la description on passe ainsi à l’accusation, que l’on retrouve dans l’orientation contemporaine négative de termes comme sophisme, sophiste, sophistique (adjectif), V. Fallacie; Évaluation du syllogisme; Preuve.
[1] XXIV, 298a-299d ; Chambry, Paris, Garnier. p. 141-142.
[2] T.I. Antiquité et Moyen Âge, Paris, PUF, 1981, p. 74.