ATCCT — Sélection des partenaires de dialogue

Critères de sélection des partenaires de dialogue

 

Dans la culture occidentale classique, est convenable ce qui est dit ou fait selon les règles floues de la bienséance, c’est-à-dire ce qui est “contrôlé, calme et poli” (Cambridge, decorum). La bienséance implique la prudence et la décence.

Dans la culture chinoise classique, le discours et le comportement approprié  sont définis part  les règles du rituel, qui régisent toutes les conduites, qu’il s’agisse de boire de l’alcool, du thé ou de s’entretenir avec un maître. Ces règles sont exposées dans le Liji, le Classique des rites (Book of rites), l’un des cinq classiques chinois.

Dans le premier chapitre de ses écrits, Exhortation to learning, le philosophe Xunzi (¿298 – ¿238 AÈC) propose les principes suivants ; nous avons introduit la numérotation et la présentation par segments.

    1. Do not answer one who asks about something improper.
    2. Do not ask questions of one who speaks on something improper.
    3. Do not listen to one who tries to persuade you of something improper.
    4. Do not debate with a person of combative demeanor.
    5. Only if people approach you in the proper way should you receive them. If they do not approach you in the proper way, then avoid them.
    6. And so, only if they follow ritual and are reverent should you discuss the methods of the Way with them.
    7. Only if their speech is calm should you discuss the methods of the Way with them.
    8. Only if their countenance is agreeable should you discuss the culmination of the Way with them.
    9. To discuss these things with those unfit to discuss them is called being presumtuous.
    10. Not to discuss these things with those fit to discuss them is called being secretive.
    11. To discuss these things without first observing the person’s manner and countenance is called being blind.
    12. The gentleman is neither presumptuous nor secretive nor blind; he carefully acts according to the other person’s character. The Odes says: The gentlemen are not indolent or haughty /Rewarded by the Son of Heaven shall they be.(
      (XunziHutton, p. 6-7)

Les recommandations de Xunzi s’adressent au Sage, approché par quelqu’un qu’il ne connaît pas.[1] Cet aspirant au dialogue avec le Maître est évalué dès son approche, dans les tout premiers moment de la discussion. Cette évaluation se fait sur la base de sa capacité à se conformer à ce que nous appelons le “rite”. Les termes improper, proper, (1. 2. 3. 5.) et ritual (6.) renvoient à la notion de propriety “ce qui convient”, ce qui est conforme aux règles du rituel. Ces règles définissent le comportement approprié (4. demeanor) ainsi que l’expression du visage (8. countenance). Est particulièrement bannie l’agressivité (4. combative demeanor) les “argumentative personalities” sont indésirables, et le calme est valorisé ; c’est une qualité confucéenne.

The Master was warm, yet severe; awesome, yet never harsh; reverent, yet calm.
AnalectsEno, 7.38

Dans la tradition confucéenne, le Sage vit selon le rite, donc selon la nature :

Rules of propriety are not a body of ceremonies, but natural principles.
Chu Hsi, Lü Tsu Ch’ien. Reflections on things at hand, p. 128.

Il ne peut se laisser approcher que par quelqu’un qui sait s’y conformer. Le rite exprime les principes qui définissent l’être humain et ses activités. Il fournit le critère permettant d’évaluer le degré d’excellence des individus, dignes ou non de poursuivre la recherche intellectuelle et spirituelle,

The parrot can speak, and yet is nothing more than a bird; the ape can speak, and yet is nothing more than a beast. Here now is a man who observes no rules of propriety; is not his heart that of a beast? But if (men were as) beasts, and without (the principle of) propriety, father and son might have the same mate. Therefore, when the sages arose, they framed the rules of propriety in order to teach men, and cause them, by their possession of them, to make a distinction between themselves and brutes.
Liji – Chap. 1, Qu Li “Summary of the Rules of Propriety – Part 1” §9

Nous sommes loin de la conception occidentale du rite comme mode d’organisation conventionnelle d’un type d’événements, voire comme symptôme névrotique. Cette vision du monde étant étrangère au monde occidental contemporain, il n’y aurait pas grand sens à rapprocher ces recommandations des règles de politesse (empiriques), ou de règles sur le dialogue argumentatif (normées par la raison), ou des règles conventionnelles explicites qui organisent les cérémonies occidentales.
Les grands systèmes occidentaux ne mentionnent pas de tels critères d’exclusion des discutants, à l’exception peut-être de Perelman & Olbrechts-Tyteca (1958), qui n’admettent pas n’importe quel interlocuteur

[21] […] Il y a des êtres avec lesquels tout contact peut sembler superflu ou indésirable il y a des êtres avec lesquels nous ne voulons pas parler il y en a aussi avec lesquels nous ne voulons pas discuter, mais nous nous contentons d’ordonner. (1958, p. 20)

Les règles du dialogue argumentatif ont pour fonction de dégager le terrain permettant d’atteindre une vérité ou une vraisemblance, consensuelles, rationnelles et raisonnables, ces mêmes caractéristiques étant partagées par la conversation ordinaire, en vertu du principe de coopération qui la régit.[2]


[1] Dans le lexique qui accompagne sa traduction de Mencius, conserve le mot chinois junzi pour désigner le Sage ayant atteint un haut degré de développement moral et utilise le terme gentleman pour désigner le shi, simple aspirant à l’excellence morale (MenciusEno, p. 146). Nous assistons ici à la démarche du shi qui désire prendre un junzi pour modèle.

[2] Voir Plantin, Dictionnaire de l’argumentation, 2016 et 2021, art. Règles – Coopération – Rationalité et rationalisation – Normes – etc.