Analogie (I): La pensée analogique

Analogie (1) : LA PENSÉE ANALOGIQUE

Pour la pensée analogique, le monde est structuré par des analogies d’origine divine. Savoir, c’est être capable de repérer les analogies pour les mettre au service des humains. Ainsi, les vertus des plantes médicinales sont marquées par une similitude avec la partie du corps qu’elles sont destinées à soigner.

Du point de vue anthropologique, l’analogie est une forme de pensée qui postule que les choses, les êtres et les événements se reflètent les uns dans les autres. Pour la pensée analogique, connaître, c’est déchiffrer des ressemblances, établir des correspondances ; ainsi conçue, l’analogie est au fondement de toutes les gnoses. L’analogie, par les liens qu’elle élabore, produit « un sentiment cosmique où triomphe l’ordre, la symétrie, la perfection », un monde clos (Gadoffre et al. 1980, p. 50).
Du point de vue de l’histoire des idées, cette forme de pensée a connu son apogée à la Renaissance, où le monde “sublunaire” était, par l’analogie, mis en correspondance avec les sphères célestes, et, généralement, avec le monde divin.

Dans une de ses manifestations, la doctrine des correspondances valide les arguments de la forme :

Donnée :            Cette fleur ressemble à telle partie du corps.
Conclusion :
Elle a une vertu cachée efficace pour guérir les maux qui touchent cette partie du corps
Permis d’inférer :
Si la forme d’une plante ressemble à une partie du corps, alors elle guérit les maux qui touchent cette partie du corps
Garantie :           C’est une disposition divine.

Cette forme de pensée postule que toutes les plantes ont des vertus médicinales, mais que ces vertus sont cachées. La plante porte une signature qui est une représentation de la partie du corps humain qu’elle peut soigner. Cette signature ou « sympathie analogique » est un signifiant motivé, une « ressemblance » avec la partie du corps concernée. C’est un signe que Dieu lui-même a imprimé, de façon non arbitraire, sur les plantes afin de nous révéler leurs vertus et de nous permettre d’en bénéficier.
Une plante où l’on trouve une ressemblance avec les yeux, par exemple la forme des paupières, guérit le mal des yeux. De même, on observe que le coing est un fruit velouté. Ce trait apparemment superficiel est lu comme une signature, la signature des cheveux, donc le coing est bon pour les chauves. Dans les termes d’Oswald Crollius :

Donnée : « Ce poil folet qui vient autour des coings […] représente en quelque façon les cheveux. » (P. 41)
Conclusion : « Aussi la decoction d’iceux [des coings] fait croistre les cheveux, lesquels sont tombés par la verole ou outre maladie semblable. » (P. 41)
Loi de passage : La vertu curative des plantes « se recognoist par la signature ou sympathie analogique, & mutuelle des membres du corps humain, à ces plantes-là ». (P. 8)
Garantie : « Dieu a donné comme un truchement [= moyen d’expression]  à chaque plante afin que sa vertu naturelle (mais cachée dans son silence) puisse être cogneuë & descouverte. Ce truchement (*) ne peut estre autre que la signature externe, c’est-à-dire ressemblance de forme & figure, vrais indices de la bonté, essence & perfection d’icelles (**). »
Truchement : “moyen de se faire comprendre” (Littré) ; d’icelles : “de ces plantes”.

Traicté des signatures ou vraye et vive anatomie du grand et petit monde,160 [1]

De cette doctrine découle un programme de recherche, à l’usage de « ceux lesquels veulent acquerir la vraye et parfaicte science de la médecine » : « qu’ils employent toute leur estude à la cognoissance des signatures, hieroglyphes, & characteres » (p. 20). Cette formation leur permettra de reconnaître « de plein abord (*), au seul regard de la superficie des herbes, de quelles facultez elles sont doüees » (p. 9 ; (*) “immédiatement”.

La connaissance des propriétés médicinales des plantes s’acquiert ainsi en apprenant à déchiffrer le discours de la nature, c’est-à-dire à reconnaître les signes dispersés dans le monde, et non pas par l’observation et l’expérience, en pratiquant la dissection ou en faisant ingérer une décoction au malade et pour constater ensuite qu’il va mieux, qu’il est mort, ou qu’il ne va ni mieux ni pis.
La connaissance analogique, qui a partie liée avec la pensée magique, est un mode de pensée spécifique, qui s’oppose à la connaissance par les causes, auxquelles sont substituées de mystérieuses correspondances véhiculant des influences. Elle court-circuite la réflexion sur la hiérarchie des catégories en genres et en espèces, à laquelle elle substitue une ligne ou un réseau de ressemblances. Mais elle est un puissant stimulant de l’observation et de la classification.


[1] Milan, Archè, 1976, p.23. Orthographe originelle.
« Ce poil folet qui vient autour des coings […] représente en quelque façon les cheveux. Aussi la décoction de coings fait repousser les cheveux perdus suite à la variole, la syphilis ou quelque autre maladie de ce genre. »

La vertu curative des plantes « se reconnaît par la signature ou sympathie analogique et mutuelle des membres du corps humain à ces plantes-là. »
« Dieu a donné une sorte d’interprète à chaque plante, afin que sa vertu naturelle (mais cachée dans son silence) puisse être reconnue et découverte. Cette marque est la signature externe de la plante, c’est-à-dire une ressemblance de forme et de figure, qui sont les signes authentiques de sa propriété, vertu curative, bonté, essence et perfection.