ATCCT — Analogie: Une analyse en parallèle de deux traductions

ATC

Méthode
Deux traductions d’une analogie

Une analyse de deux traductions d’une analogie

Cet exemple est tiré de la discussion de Mencius[2] avec Gaozi (Kao Tzu)[3] telle qu’elle est rapportée dans le texte de Mengzi. La discussion porte sur deux concepts fondamentaux du confucianisme, human nature, righteousness,morality. Gaozi tente de les éclairer par une analogie avec le saule, dont on fait des tasses et des bols. Mencius rejette vivement cette analogie, qu’il estime inadéquate.

Nous nous bornerons à deux traductions, celle de Robert Eno et celle de Dim Cheuk Lau, soit MenciusEno et MenciusLau (notre présentation et numérotation),

 

MengziEno, 6A.1 MenciusLau, VIA 1
1a Gaozi said, “Human nature is like the willow tree, and righteousness is like cups and bowls. 1a Kao Tzu said, Human nature is like the ch’i willow. Dutifulness is like cups and bowls.
1b Drawing humanity and right from human nature is like making cups and bowls from willow wood.” 1b To make morality out of human nature is like making cups and bowls out of the willow.
2a Mencius said, “Can you make cups and bowls from willow wood by following its natural grain, or is it only after you have hacked the willow wood that you can make a cup or bowl? 2a Can you, said Mencius, make cups and bowls by following the nature of the willow? 2b Or must you mutilate the willow before you can make it into cups and bowls?
2c If you must hack the willow to make cups and bowls from it, must you hack people in order to make them humane and righteous? 2c If you have to mutilate the willow to make it into cups and bowls, must you then also mutilate a man to make him moral?
2d Your words will surely lead the people of the world to destroy humanity and right. 2d Surely it will be these words of yours, men in the world will follow in bringing disaster upon morality.

 

Il s’agit clairement d’un échange de type dialectique entre deux philosophes. Gaozi avance une analogie explicitée par la construction A is like B pour illustrer sa conception de la nature humaine.

Les deux traductions utilisent la même expression, human nature (1a) pour désigner le thème général du débat. Le problème posé par Gaozi concerne l’émergence d’une capacité complexe désignée par les termes suivants (le signe “>” indique que les termes entrent dans la chaîne dont l’ensemble correspond à un même objet de discours),[4]

 

MengziEno MenciusLau
righteousness (1a)

> humanity and right (1b)

> [(to make them) humane and righteous (2b)

> humanity and right (2c)

dutifulness (1a)

> morality (1b)

> (to make him) moral (2b)

> morality (2c)

 

Mencius n’intervient pas sur le concept en discussion, mais seulement sur l’analogie utilisée par Gaozi. Il développe l’analogie en mettant au premier plan la nature de la transformation subie par le saule pour devenir bol et tasse

 

MengziEno MenciusLau
making cups and bowls from willow wood (1b) making cups and bowls out of the willow (1b)

 

Pour désigner le processus affectant le saule, dans les deux traductions, Gaotzi emploie le prédicat abstrait “making C from / out of W”, qui n’a pas d’orientation argumentative définie. Le texte poursuit par une question de Mencius

 

MengziEno MenciusLau
2b hacked the willow wood

 

must you hack people in order to make them humane and righteous?

mutilate the willow

 

must you then mutilate a man to make him moral?

 

Toujours dans les deux traductions Mencius adopte en quelque sorte le point de vue du saule. MenciusLau utilise le mot mutilate, ayant une orientation argumentative négative. L’expression “mutilating W in order to make C”, met ainsi au premier plan la nature négative de la transformation du saule en bol et en tasse. L’éclairage de l’opération change du tout au tout. Avec hack, MengziEno ajoute la sensation d’un instrument tranchant, parfaitement cohérent avec l’idée de mutilation “hack W [into] C”.

Et, sur la base de l’analogie proposée par Gaozi lui-même, il transfère l’opération sur les humains (processus marqué par then dans MenciusLau)

 

Nous concluons que les traductions disent clairement ce qu’elles veulent dire, et qu’il s’agit d’une argumentation par analogie, rejetée par l’opposant qui met en défaut cette analogie, en dégageant une faille dans sa structure.

En conséquence, ce cas peut donc être utilisé, sous l’une ou l’autre traduction, à toutes fins utiles lorsqu’il s’agit d’argumentation. La seule réserve porte sur le statut des concepts sur lesquels s’exerce l’analogie (righteouness, dutifulness, humanity, morality), que nous ne sommes pas en capacité de discuter.

 

[1] La référence à la “traduction d’Untel des Analectes de Confucius” sera parfois abrégée comme suit : “AnalectesUntel” avec le nom du traducteur en indice.

[2] Mengzi (= Mencius), 372 – 289 AÈC. Mencius est le nom romanisé du philosophe chinois Meng Ke ou Mengzi, et le titre de l’ouvrage contenant ses paroles.

[3] Gaozi (= Kao-tzu = Gao Buhai), vers 420-350 AÈC « Gaozi était un contemporain de Mencius. L’essentiel de ce que nous savons de lui provient du livre 6 de Mencius, intitulé Gaozi » (Wikipedia, Gaozi).

[4] Pour une présentation de ces concepts et du concept d’éclairage (utilisé infra) de J.-B. Grize, voir Plantin 2016 ou 2022 Objet de discours ; Schématisatisation.