CONTRE-ARGUMENT, CONTRE-ARGUMENTATION
Les expressions contre-argument, contre-argumentation peuvent avoir le sens de réfutation substantielle de l’argumentation visée.
Elles peuvent aussi désigner toute position autre, défendue par des arguments autres, rivale de l’argumentation visée. Tout argument qui ne va pas dans le sens de la conclusion de référence est alors un contre-argument pour cette conclusion.
Sous une même question argumentative QA, peuvent se développer :
— d’une part, un discours D1 qui développe la proposition P1,
— et d’autre part, un discours D2 qui réfléchit au même problème selon d’autres critères, et lui trouve une solution P2, différente de P1, en s’appuyant sur des arguments et des argumentations Arg2, et tout cela en s’abstenant systématiquement de mentionner D1.
D2 se présente simplement comme un discours autre qui choisit d’ignorer le discours concurrent, et de se concentrer sur la construction de sa propre position.
Une telle stratégie fortement assertive permet de focaliser positivement l’intervention, elle évite les paradoxes de la réfutation, mais peut être considérée comme une forme de mépris des arguments avancés par une partie adverse, “même pas dignes d’une réfutation”.
On peut parler de contre-argumentation lorsque de tels discours sont ouvertement en contact. À l’affirmation d’une position argumentée D1, l’interlocuteur réplique par l’affirmation d’une autre position également argumentée, D2 qui, par sa position dans l’interaction, prend le statut de contre-argumentation.
L : — Construisons la nouvelle école ici, les terrains sont moins chers.
PropositionD1, ArgumentD1
L : — Si on la construit là-bas, les élèves auront moins de transport.
PropositionD2, ArgumentD2
Cette structure d’argumentation / contre-argumentation peut correspondre à une situation argumentative émergente, ou aux moments où les participants présentent et argumentent leur position sans considérer la proposition de l’antagoniste. Une telle situation peut se produire à tout moment dans une situation argumentative concrète, particulièrement aux moments où les partenaires doivent récapituler leurs positions. V. Antithèse.
On parle de contre-proposition argumentée, et de conclusion incompatible, non pas de *contre-conclusion.
Réfutation substantielle et réfutation contextuelle
La réfutation substantielle d’une argumentation correspond aux mécanismes de réfutation visant la forme et le contenu de cette argumentation (Brandt et Apothéloz 1991, p. 98-99). Dans une opposition argumentation vs contre-argumentation, les deux partenaires argumentent au sens positif du terme, c’est-à-dire défendent une position. Mais argumentation et contre-argumentation ont en outre un rôle de réfutation réciproque, qu’on peut appeler réfutation contextuelle.
Par le jeu de la négation en situation bipolarisée, le fait de fournir une raison de faire ou de croire D2 (resp. D1) incompatible avec D1 (resp. D2), se transforme en raison de ne pas faire ou de ne pas croire D1 (resp. D2), et les arguments positifs qui soutiennent D2 (resp. D1) peuvent être désignés, relativement à D1 (resp. D2), comme des contre-arguments contextuels c’est-à-dire “des arguments qui défendent une proposition autre”.
Discours, contre-discours et charge de la preuve
Lorsque le dialogue argumentatif est engagé, particulièrement lorsque la question argumentative a une longue histoire, les deux discours en présence combinent en miroir deux types d’opérations :
Travail négatif de rejet de l’autre discours.
Travail positif de construction d’une proposition autre.
La charge de la preuve rompt cet équilibre apparent. On peut alors parler, dans une situation donnée, de discours et de contre discours. Si Y supporte la charge de la preuve, il est dans l’absolu, contre-discours de X.
Si le cadre de la discussion change, la charge de la preuve change de discours.
[1] Massimo Piattelli-Palmarini éd., Théorie du langage, théorie de l’apprentissage, Paris, Le Seuil, 1979, p. 461.