DOXA
Dans l’usage contemporain du mot, la doxa est un ensemble de lieux communs, conformes au sens commun, c’est-à-dire à un ensemble de représentations socialement prédominantes, considérées comme raisonnables, mais floues, parfois contradictoires, dont la vérité est incertaine, prises le plus souvent dans leur formulation linguistique courante.
Le substantif doxa est calqué sur le mot grec ancien dóxa (δόξα), qui signifie “opinion ; réputation, ce qui se dit des choses ou des gens ; opinion sans fondement”.
Le mot endoxon est formé de ἐν + δόξα ; il calque l’adjectif ἔνδοξος “conforme à l’opinion commune ; notable”.
Le latin traduit endoxos “endoxal” par probabilis, “probable”
Les endoxa peuvent exprimer des “affirmables” contradictoires, « tel père, tel fils” et “à père avare, fils prodigue” ; les deux affirmations sont plausibles, V. Probable.
Dans le langage contemporain, le mot doxa partage le sens dépréciatif de cliché ou un lieu commun, ce qui n’est pas le cas dans l’usage aristotélicien du terme.
On donne parfois à doxa le sens de “idéologie”, ou de “dogme”, particulièrement lorsqu’on veut la remettre en question (Amossy 1991 ; Nicolas 2007). On utilise parfois les adjectifs doxique et doxal.
Aristote définit les endoxa (sg. endoxon) comme les opinions communes d’une communauté, utilisables dans les raisonnements dialectiques et rhétoriques :
Sont des idées admises [endoxa] […], les opinions partagées par tous les hommes, ou par presque tous, ou par ceux qui présentent l’opinion éclairée, et pour ces derniers par tous, ou par presque tous, ou par les plus connus et les mieux admis comme autorités.
Aristote, Top. Brunschwig, I, 1, 100b20 ; p. 2
Une idée endoxale est donc une idée appuyée sur une forme d’autorité sociale : autorité du nombre, des experts, des personnes socialement en évidence. Le mot endoxal a l’avantage de former un couple antonymique avec paradoxal.
Les endoxa sont la cible de la critique philosophique adressée également au sens commun (la raison raisonnable) et au parler commun. Cette critique atteint en conséquence les déductions fondées sur des contenus et des techniques vraisemblables, c’est-à-dire sur le système endoxon / topos sur lequel est fondée l’argumentation, dialectique ou rhétorique. Pourtant, fondamentalement, dire d’une proposition qu’elle est endoxale n’a rien de péjoratif :
On sait assez la confiance qu’Aristote accorde, fût-ce sous réserve d’examen, aux représentations collectives et à la vocation naturelle de l’humanité envers le vrai.
Brunschwig, Préface à Aristote, Top. Brunschwig, p. xxv
L’argumentation dialectique a pour fonction de tester les endoxa ; l’argumentation rhétorique les exploite dans le cadre d’un conflit particulier, elle apprend à les mettre à profit ou à les combattre, éventuellement en invoquant un lieu commun d’orientation opposée.
Les endoxa ne permettent pas d’affirmer une vérité, mais elles déterminent qui porte la charge de la preuve, autrement dit sur qui pèse le soupçon, qui accuse la rumeur, V. Charge de la preuve ; Invention.
De nombreuses formes d’arguments reposent sur le recours à l’autorité de la doxa :
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- Appel au sens commun : l’argument ad judicium (au sens 2, différent de l’argument sur le fond), V. Fond.
- Appel au consensus, à l’autorité du grand nombre (ad numerum).
- Appel au sentiment de la foule, ad populum.