ÉVIDENTIALITÉ (ou MÉDIATIVITÉ) [1]
Dans les langues évidentielles, les énoncés marquent grammaticalement la source de l’information qu’ils portent : expérience sensorielle ; inférence ; dires d’une autre personne. Dans les autres langues, l’indication de la source de l’information est facultative et exprimée discursivement.
La problématique de l’évidentialité comme marquage de la source du savoir n’a rien à voir avec la problématique de l’évidence comme croyance pouvant se passer de preuve.
L’évidentialité est un ensemble de procédés grammaticaux ou discursifs au moyen desquels le locuteur indique comment il a obtenu l’information véhiculée par son énoncé, quelles sont les sources ou les fondements de l’information qu’il transmet.
Les systèmes évidentiels marquent notamment les informations comme provenant de l’expérience sensorielle du locuteur (auditive, visuelle), les informations qu’il a obtenues par inférence,; ou qu’il rapporte à partir des dires de quelqu’un. D’autres sont plus complexes.
Dans certaines langues, l’évidentialité est une catégorie grammaticale spécifique. De même qu’en français l’événement rapporté l’est nécessairement selon ses coordonnées temporelles-aspectuelles, dans les langues à marqueurs évidentiels, le locuteur doit obligatoirement indiquer si l’information qu’il rapporte a été obtenue par les sens, par ouï-dire ou par inférence, etc. Les marques grammaticales de l’évidentialité forment un système propre, distinct du système des modaux ainsi que du système temporel-aspectuel.
Dans d’autres langues, les marqueurs d’évidentialité sont optionnels. En français, la catégorie de l’évidentialité n’est pas grammaticalisée., mais exprimable par des discours argumentatifs, qui peuvent former un seul énoncé complexe; l’argument fait alors fonction de marque d’évidentialité accompagnant la conclusion :
Pierre est à la maison, on l’aperçoit d’ici.
On m’a dit que Pierre était chez lui
Elle peut être portée par certains usages considérés comme marginaux du système des temps :
— Pierre aurait été retardé : le conditionnel permet de marquer une information comme fondée sur un ouï-dire.
— Pierre aura été retardé : le futur renvoyant à un événement passé signale que l’affirmation repose sur une inférence, c’est-à-dire qu’elle a le statut d’une conclusion.
Les modaux introducteurs de complétives sont porteurs de nuances évidentielles (exemples adaptés de Ducrot, 1975) :
— Je crois que, on dirait que Pierre a reçu ma lettre : la conclusion repose sur une inférence fondée sur une donnée prise dans le contexte ; par exemple, le comportement constaté de Pierre s’explique bien à partir de certaines informations contenues dans la lettre.
— Je pense qu’il a reçu ma lettre : l’inférence repose simplement sur les délais normaux d’acheminement du courrier.
L’évidentialité est une façon de mettre l’argumentation “dans la langue”. Elle pousse à concevoir l’argumentation comme un continuum relevant parfois de la grammaire et de la sémantique du discours et parfois de la grammaire et de la sémantique de la langue.
[1] Le substantif évidentialité est un calque de l’anglais evidentiality, formé à partir de evidential (= US: evidentiary), et de evidence, “preuve”. Pour désigner le même phénomène, on emploie également le mot français médiativité.