Probable — Vraisemblable — Plausible

PROBABLE — VRAISEMBLABLE — PLAUSIBLE

Le probable est lié à l’enquête réduisant l’incertitude. Le vraisemblable est conforme au sens commun, et conforte le préjugé ; le plausible préempte l’approbation. Mais le vrai peut être improbable, invraisemblable  et “insoutenable”.

Probable, vraisemblable, crédible, plausible…  se disent d’un récit, d’une affirmation, d’une représentation possibles, en tant qu’elles sont données à croire.
Ces mots sont intermédiaires entre vrai et faux, mais tous orientent vers le vrai. Ils sont équivalents dans de nombreux contextes. Il y a cependant entre eux des différences importantes.

1. Probable

Probable se dit d’un événement, et, par dérivation, d’un récit. Le probable s’appuie sur l’examen des faits, de ce qui relève de l’ordre des choses et du calcul, comme le montre son dérivé nominal, probabilité.
En relation avec le probable, l’argumentation se définit comme un raisonnement révisable, tendant à réduire l’incertitude.
Ce mode d’argumentation caractérise bien la recherche du diagnostic médical, ainsi que l’enquête judiciaire ou historique.

2. Vraisemblable

Du point de vue cognitif, un récit, une affirmation, une explication, une représentation d’un état de choses incertains, sont crédibles, vraisemblables s’ils sont jugés  conformes au sens commun ; aux croyances partagées par un groupe ; aux conventions régissant les genres de discours courants sur les choses ou événements du même type (V. Doxa; Lieu commun; Indice ; Enthymème) :

Le vraisemblable est le rapport du texte particulier à un autre texte général et diffus, que l’on appelle : opinion publique. (Todorov, 1968, p. 2)

Le récit d’événements passés sur lesquels on s’interroge peut être dit probable ou vraisemblable. La fiction est de l’ordre du vraisemblable, et non pas du probable. Une pièce de fiction (théâtre, roman) est vraisemblable si elle est conforme aux lois du récit et aux lois du genre :

Chez les classiques français, (…) la comédie a son propre vraisemblable, différent de celui de la tragédie ; il y a autant de vraisemblables que de genres, et les deux notions tendent à se confondre (Ibid., p. 2). (Todorov, 1968, p. 2. Cité in TLFi, Vraisemblable)
Le vraisemblable est le masque dont s’affublent les lois du texte, et que nous devons prendre pour une relation avec la réalité. (Ibid., p. 3. Id.)

Le jugement de vraisemblance se réfute sous le précepte stratégiquele vrai n’est pas toujours vraisemblable :

— Il n’est pas vraisemblable que l’ennemi attaque par les marais, mais l’ennemi attaque par les marais.
— Il n’est pas vraisemblable qu’une mère tue ses enfants, mais Médée a tué les siens
— Il est vraisemblable qu’on espionne quelqu’un par jalousie ; la jalousie est un motif vraisemblable, mais d’autres raisons le sont tout autant : on l’espionne pour le faire chanter.

L’argumentation pragmatique par les conséquences positives est fondée sur le vraisemblable, comme le roman réaliste ; c’est pourquoi on peut parler à son sujet de roman causal.
Les règles du vraisemblable sont celles auxquelles le récit mensonger s’efforce de se conformer.

Le probable s’évalue par examen du cas au terme d’une enquête sur la réalité des faits. Le vraisemblable s’évalue par la conformité intuitive du récit à certaines conventions de narration et stéréotypes de faits. L’enquête permettant de penser que les choses se sont probablement passées ainsi peut être longue et difficile ; L’intuition de la “normalité” suffit pour conclure qu’elles se sont vraisemblablement déroulées ainsi.

3. Plausible

Plausible vient du latin plaudere, “applaudir ; approuver” (Gaffiot) [1].
En français classique, un motif plausible est un motif louable. En français contemporain, le sens de “digne d’estime, qui mérite l’approbation” est “rare, vieilli” (TLFi).

Le plausible est défini en premier lieu comme « ce que l’on peut admettre ou croire parce que vraisemblable » (TLFi). Le sens de plausible “approuvé” a donc fusionné avec celui de vraisemblable “conforme aux conventions de vérité”, objet de la rhétorique stricto sensu.
On peut retenir de l’étymologie que le plausible est un mode de vraisemblable qui recherche particulièrement l’approbation. Le récit obtient cette approbation d’autant plus facilement qu’il est non seulement vraisemblable (“conforme aux stéréotypes courants”), mais bienvenu, ce qui sera le cas si les préjugés qui le structurent sont ceux-là mêmes que le groupe promeut activement. L’apparence de la vérité et l’approbation sociale assurent le succès des fake news.

4. Vraisemblable et preuves techniques
VS.
Probable et preuves non techniques

La distinction entre le plausible-vraisemblable et le probable correspond à celle que la rhétorique opère entre deux types de preuves, les preuves rhétoriques et  preuves non-rhétoriques, qu’elle appelle respectivement “preuves techniques (rhétoriques) et “preuves non techniques” (non rhétoriques).
Le vraisemblable rhétorique se définit par l’usage spécifique fait des données obtenues par les techniques d’invention. C’est une construction fondée sur les “preuves” dérivées d’endoxa, de croyances communes, affirmées a priori, toujours entremêlées d’un peu de probable manifestant la réalité.
Sur de telles bases, on peut construire une représentation très vraisemblable d’événements, parfaitement possibles, mais n’ayant absolument rien à voir avec ce qui s’est réellement passé. L’enquête sur les réalités du cas est l’affaire des spécialistes des domaines non-rhétoriques. La construction du vraisemblable rhétorique fait l’impasse des preuves dites “non techniques” qui seules permettent au réel d’impacter le discours.
Le  vraisemblable est alors défini hors du réel et contre le réel. C’est contre cette vision de la rhétorique fondée sur le probable-vraisemblable que s’élève Socrate, alors qu’Aristote verra dans les topoi de l’argumentation des voies permettant d’approcher une vérité probable, au sens de vérité construite au terme d’une enquête exploitant des indices tirés de la réalité, V. Vrai VS Vraisemblable.

4. Le vraisemblable comme masquage du réel :
Le récit nazi de la nuit des longs couteaux

La construction d’un monde possible où se déroulent des événements vraisemblables est une affaire de cohérence fictionnelle. Les mondes du complot et de la manipulation est un monde de ce genre. Le possible est ainsi considéré comme l’expression d’un “réel alternatif” aussi réel et plus convaincant parce que beaucoup plus excitant que l’autre.

Le récit vraisemblable et plausible (“approuvé par un grand nombre”) est particulièrement dangereux lorsqu’il semble rendre l’enquête factuelle superflue :  “Puisque tout est parfaitement clair, pourquoi toutes ces recherches ?”.

Au cours de “la nuit des longs couteaux” (30 juin 1934) et les jours suivants, les nazis SS ont massacré les nazis SA, partisans de Röhm, le chef des SA, lui-même victime du massacre, plus un certain nombre d’opposants catholiques ou conservateurs au régime hitlérien. Les opposants de gauche avaient déjà été éliminés.
L’explication donnée par Hitler de ces massacres est l’existence d’un complot des SA contre lui-même et son régime. Il est effectivement possible qu’une clique proche du pouvoir complote contre les hommes au pouvoir appartenant à la même tendance, l’histoire est riche en exemples célèbres, et la conjuration de Pison contre Néron peut servir de modèle. L’explication est parfaitement vraisemblable. Mais les historiens ont montré que Röhm n’avait jamais comploté contre Hitler. Le récit vraisemblable n’était pas vrai, mais il est devenu hégémonique.

Peut-on dire pour autant que la rhétorique du vraisemblable a imposé le passage du possible au vrai, prouvant ainsi sa toute-puissance persuasive ? Le récit hitlérien a été accepté non seulement parce qu’elle était, après tout, possible,  vraisemblable, mais aussi parce qu’il a été imposé dans l’espace public par la propagande et la violence des milices nazies à l’œuvre durant ces semaines cruciales. L’enthousiasme public manifestant aussi bien l’adhésion des uns que la terreur des autres.


[1] C’est le sens du portugais plausivel, « Digno de aplauso, de aprovação. = APLAUSÍVEL »
Dicionário Priberam da Língua Portuguesa https://dicionario.priberam.org/plausivel [21-02-2021].