Réfutation

RÉFUTATION

 

Le processus de réfutation proprement dit porte sur la structure et les contenus des argumentations visées, argument, conclusion, ainsi que la loi de passage qui assure la pertinence de l’argument pour la conclusion. L’argumentation peut globalement être rejetée sans examen si on juge que sa conclusion n’apporte pas une réponse pertinente à la question.

Le rejet du discours peut viser sa destruction. Tous les éléments entrant dans la formation du discours écrit comme le discours oral en situation peuvent alors être utilisés ou manipulés afin de présenter ce discours comme intenable, y compris le ton de la voix ou la tenue vestimentaires de son locuteur.
Ce locuteur peut en particulier être la cible d’une attaque personnelle, sans rapport avec sa position et les arguments qui la soutiennent.

L’argumentation est prise en compte a minima lorsqu’elle est déclarée infra-argumentative et traitée par le mépris ou par la dérision, lorsque son adversaire s’amuse à la désorienter argumentation et argumentateur.

La réfutation proprement dite est un acte réactif de rejet d’un discours visant à invalider une argumentation en tant que telle. Par extension, le mot réfutation peut être utilisé pour désigner la simple dénégation d’une affirmation.

Du point de vue du dialogue ordinaire, une proposition est réfutée si, après avoir été discutée, elle est abandonnée par l’adversaire, explicitement ou implicitement ; il n’en est plus question dans l’interaction.

La réfutation suppose que soit établie une connexion explicite avec ce discours. Cette reprise peut s’effectuer sous diverses modalités dans le discours réfutateur, p. ex. maximisation ou minimisation.

Alors que la réfutation pose une relation discursive agonistique, les objections sont présentées dans un cadre a priori coopératif et peuvent être intégrées à la discussion.

Le mot réfuter peut désigner toutes les formes de rejet explicite d’une position, à l’exception des propositions d’action : on réfute des thèses, des opinions prétendant à la vérité, mais on repousse, on rejette plus qu’on ne réfute (?) un projet ; les accusations peuvent être réfutées ou repoussées.

1. Réfutation portant sur l’argumentation elle-même

Chacune des composantes de la structure argumentative peut être la cible de l’acte de réfutation.

1.1 Rejet de l’argument

L’argument donné en faveur d’une conclusion peut être rejeté de différentes façons.

— L’argument peut être factuellement rectifié,

L1 : — Le vent vient de l’ouest, on va avoir la pluie, notre pique-nique est fichu !
L2 :  — Non, non,  pas de problème, c’est le vent du sud qui souffle aujourd’hui.

Il peut être admis mais sans pertinence pour la conclusion (voir § 4.3)

Il peut être admis comme tel, reconnu pertinent pour la conclusion mais considéré comme trop faible, de mauvaise qualité :

L1 : — Le Président a parlé, la bourse va remonter.
L2 : — Que voilà une excellente raison !

Le rejet de l’argument n’entraîne pas automatiquement celui de la conclusion :

L1 : — Pierre arrivera mardi, il veut être là pour l’anniversaire de Paul.
L2 : — L’anniversaire de Paul est lundi,
L11 : — Mais Pierre arrive bien mardi, c’est moi qui lui ai pris son billet.

Néanmoins, seuls les locuteurs les plus ascétiques réfutent les arguments discutables ou mauvais avancés en faveur de conclusions qu’ils considèrent bonnes ou vertueuses.

1.2 Rejet de la conclusion déclarée non pertinente pour la vraie question

La conclusion peut être rejetée alors même qu’une certaine validité est reconnue à l’argument (possiblement sur le mode ironique) ; c’est une forme inoffensive de concession :

L1 : — Il faut légaliser la consommation du haschich, les taxes permettront de combler le déficit de la sécurité sociale.
L2 : — Ça augmentera sûrement les rentrées fiscales, mais ça augmentera encore plus le nombre de drogués et la course aux drogues dures. Il faut maintenir l’interdit.
L3 : — La question n’est pas le déficit de la sécurité sociale, mais la santé publique.

La contre-argumentation établit une contre-conclusion, en laissant intacte l’argumentation à laquelle elle s’oppose.

1.3 Rejet de la loi de passage

La loi de passage peut être mise en cause et l’argument considéré comme sans pertinence pour la conclusion,

L1 : — Le vent vient de l’ouest, on va avoir la pluie, notre pique-nique est fichu !
L3 :  — Non, ici c’est plutôt le vent du sud qui apporte la pluie

Le rejet de l’argument peut entraîner l’ouverture d’une stase de définition et l’ouverture d’une nouvelle question argumentative (sous-débat),

L1 : — Il est très intelligent, il a lu tout Proust en trois jours.
L2 : — L’intelligence n’a rien à voir avec la vitesse de lecture.

L1 : — Ce soir, on mange des nouilles !
L2 : — Encore ! On en a déjà mangé à midi.

L1 : — Oui, et il faut les finir

L’adverbe “ justement” est un indice de la substitution d’un principe inférentiel à un autre, par laquelle les données sont réorientées vers une conclusion opposée (Ducrot et al. 1982), V. Orientation

L2 : — Encore ! C’est anti diététique, on en a déjà mangé à midi.
L1 : — Justement, il faut les finir. On ne doit pas gaspiller la nourriture.

1.4 Réfutation d’un type d’argument par mise en œuvre d’un élément spécifique de son contre-type.

Réfutation standard, mobilisant une des règles critiques (discours contre) associées au type argumentatif : “contre un témoignage” ; “contre une argumentation fondée sur une autorité” ; “contre une définition” ; “contre une induction” ; “contre une affirmation de causalité”, etc.
Par exemple, on sait qu’un témoignage peut être rejeté si l’on montre que le témoin n’était pas en position de voir ce qu’il prétend avoir vu. Cette règle est invoquée dans l’argumentation suivante :

Vous prétendez avoir reconnu Paul. Mais tout cela se passait à la tombée de la nuit et vous étiez en voiture. (Voir exemple Argument§1.1)

Les règles critiques concernant les discours contre peuvent être exploitées sous sa forme d’une réfutation, d’une objection ou d’une concession.

Réfutation par rejet du type argumentatif lui-même
À la différence des précédentes, les réfutations suivantes s’en prennent au type argumentatif lui-même. On soutient alors un discours général, qui rejette a priori toutes les formes d’autorité, d’analogie, etc. (V. exemple Analogie catégorielle §4).

L1 : — Voyez ce qui s’est passé en 1929 !
L2 : — Mais en 29, il y avait un certain Hitler …
L3 : — Oh, vous savez, en histoire, tout est toujours analogue à n’importe quoi…

L2 réfute l’analogie en mobilisant la règle critique sur les différences essentielles.
L3 la réfute en l’englobant dans un refus général de l’analogie.

2. Paradoxes de la réfutation faible protégeant la position attaquée

3. Réfuter ou accepter la réfutation

La réfutation porte sur une proposition soutenue par un autre locuteur. Normalement, le locuteur lui-même peut faire des concessions à propos des thèses qu’il défend actuellement, mais il ne les réfute pas. Il y a des subordonnées concessives, mais pas de subordonnées réfutatives.

Face à l’opposant qui prétend réfuter son discours, le proposant peut réfuter la réfutation ou faire des concessions. Il peut aussi admettre la réfutation. C’est ce qui se passe dans le genre retractatio, où le locuteur remanie une position qu’il avait défendue antérieurement (Gaffiot, Retractatio) ce remaniement pouvant aller jusqu’au rejet de ses anciennes positions, V. Ad hominem.