Respect

Argument du RESPECT

Le respect est lié à la distance et au sacré, à la crainte et à la soumission. Le respect dû aux personnes est garanti par le Code Civil. Le respect dû aux institutions se mérite. Les comportements dits irrespectueux peuvent être considérés par leurs représentants comme un outrage punissable , à quoi on oppose la liberté d’expression et de critique.

Le respect est un sentiment moral et social qui règle, d’une part, les rapports interindividuels, et, d’autre part, les rapports des personnes aux institutions ainsi que les rapports des personnes à leur hiérarchie à l’intérieur de l’institution.

L’argument du respect [1] est invoqué par un plaignant qui fait état d’un manque de respect et demande réparation.
Le lien du respect à la crainte et à l’obéissance est explicite dans les expressions “se faire respecter”, “tenir en respect”. On peut voir dans cette crainte la source du sentiment de respect, V. Modestie. Demander le respect, rappeler qu’on doit être craint et obéi, qu’il s’agisse de la crainte de la police ou de la crainte du sacré.

1. Respect mérité et droit au respect

Le respect se matérialise fondamentalement par une application stricte des règles générales de politesse. Selon ces règles, respecter quelqu’un, c’est ne pas empiéter, voire maximiser son territoire et rehausser sa face.
Le cas échéant, ces règles peuvent être augmentées de règles spécifiques précisant le comportement à adopter dans les tractations avec les institutions, notamment les institutions religieuses et les hautes autorités civiles.

1.1 Respect dû aux personnes

L’impolitesse n’est pas punie par la loi, mais l‘atteinte au respect dû à la personne l’est, par le Code civil, art. 16 :

La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. [2]

La discrimination, la diffamation, le harcèlement moral sont des atteintes à la dignité de la personne.

1.1 Respect dû aux autorités et aux institutions

Le respect est le sentiment que l’autorité souhaite rencontrer : on doit s’incliner, voire se courber devant elle ; elle demande qu’on obéisse à ses ordres, qu’on prévienne ses désirs, et cela même en dépit de son propre sentiment. L’autorité demande des sujets respectueux, voire humbles, V. Autorité ; Modestie ; Péchés de langue.
L’autorité réclame le respect formel, et demande qu’il lui soit manifesté selon les formes prescrites. Dans la correspondance, le respect se marque dans les formules de politesse :

À un évêque, on écrit : “Je vous prie de croire, Monseigneur, à l’assurance de mes sentiments respectueux et dévoués”. On appréciera ce mélange de dévouement / dévotion qui semble exéder, pour un non croyant, les bornes de la politesse citoyenne.
À un magistrat : “Veuillez agréer, Monsieur le Juge, l’expression de mes sentiments respectueux”. [4].

Le respect se manifeste par de la déférence, à la fois marque de respect et d’obéissance.

Déférer à. Se conformer au désir, explicite ou implicite, de quelqu’un par respect pour lui ; lui céder par égard pour son âge ou sa qualité. (TLFi)

En tant que sentiment positif, le respect, non plus formel, mais substantiel se mérite ; c’est une reconnaissance positive que les personnes et les institutions peuvent gagner par leurs actions ; dans ce cas, le respect va bien avec le sentiment d’admiration.

Néanmoins, si un comportement, intentionnel ou non, est ressenti comme irrespectueux, il n’est plus question de savoir si l’institution mérite ou non respect et admiration, mais uniquement de respect formel. L’argument du respect est essentiellement utilisé pour appeler ou justifier une sanction pour manque de respect.
Du point de vue institutionnel, la magistrature, les forces de l’ordre revendiquent un respect qu’elles estiment mérité :

Les Forces de l’ordre méritent la gratitude et le respect de tous les Français. (La Dépêche du Midi, 27/05/2016 [1]

Cette demande est liée au caractère potentiellement conflictuel ou violent des interactions policières et judiciaires, et tend à créer une distance qui fait obstacle à cette violence.
La demande de respect, s’exprime a contrario dans le fait que, le manque de respect qui définit l’outrage est une infraction. L’outrage à agent est défini comme « un acte qui nuit à la dignité ou au respect dû à la fonction d’un agent public » [2], punissable comme tel.

2. Droit au respect, droit au blasphème, liberté d’expression

Toute personne se trouvant en position d’autorité et estimant que ses prérogatives ne sont pas respectées, autrement dit qu’on ne lui obéit pas, qu’on ne le craint pas, qu’on rit de lui, peut invoquer l’argument du respect au nom de la communauté qu’il représente.
Le problème surgit lorsque cette prétention à l’autorité n’est pas reconnue comme légitime par tout le monde, voire considérée comme oppressive par certains. C’est le cas, dans notre société, des autorités religieuses. Par une montée en abstraction, le délit d’outrage est revendiqué pour toutes les croyances en général, et pour la sienne en particulier.
L’irrespect en matière religieuse est alors considéré comme une provocation, une profanation, un scandale, un blasphème qui blessent gravement le croyant, le touchent au cœur ; une insulte, un affront dont il est fondé à demander réparation devant les autorités civiles.

Une œuvre photographique de l’artiste américain Andres Serrano intitulée Immersion Piss Christ, mettant en scène un crucifix trempé dans l’urine de l’artiste, a été vandalisée dimanche 17 avril 2011 dans les locaux de la collection d’art contemporain Yvon Lambert à Avignon. Suite à cette action, l’archevêque d’Avignon a publié un communiqué protestant contre l’exposition de cette œuvre. L’argument du respect est invoqué dans le passage suivant :

Les autorités locales n’ont-elles pas entre autres pour mission d’assurer le respect de la foi des croyants de toute religion ? Or une telle œuvre reste une profanation qui, à la veille du vendredi saint où nous ferons mémoire du Christ qui a donné sa vie pour nous en mourant sur la Croix, nous touche au plus profond de notre cœur.

Il est amplifié dans l’ensemble de la protestation, qu’il structure (souligné par nous) :

L’odieuse profanation d’un Christ en croix (titre)
— L’art peut-il être d’un tel mauvais goût sans autre raison que de servir d’insulte.
— Devant le côté odieux de ce cliché qui bafoue l’image du Christ sur la Croix, cœur de notre foi chrétienne, je me dois de réagir. Toute atteinte à notre foi nous blesse, tout croyant est atteint au plus profond de sa foi.
— Devant la gravité d’un tel affront.
— Pour moi, évêque, comme pour tout chrétien et tout croyant, il s’agit là d’une provocation, d’une profanation qui nous atteint au cœur même de notre foi !

— La collection Lambert n’a-t-elle pas perçu qu’elle exposait une photographie qui blessait gravement tous ceux pour qui la Croix du Christ est le cœur de leur foi ? Ou bien a-t-elle voulu provoquer les croyants en bafouant ce qui pour eux est au cœur de leur vie.
— Une profanation grave, un scandale touchant la foi de ces croyants.
— [Des] photos qui portent gravement atteinte à la foi des chrétiens.
— Des comportements qui nous blessent au cœur de notre foi.
“L’odieuse profanation d’un Christ en croix”, Infocatho, 14-04-2011 [6]

Certains pays ont des lois qui considèrent que le blasphème est un crime, et punissent ce qu’elles qualifient d’irrespect envers la religion d’État. Les campagnes contre les lois sur le blasphème développent un contre-discours affirmant que ces lois sont médiévales et obscurantistes, qu’elles sont incompatibles avec les principes démocratiques de liberté d’expression et de croyance, et qu’elles rendent impossible toute recherche philosophique et historique sur les religions.

D’autres pays n’ont pas de religion d’État, mais ont des lois interdisant les discours haineux ou discriminatoires envers les communautés minoritaires, religieuses ou autres. Ces lois garantissent ces communautés, entre autres, contre tout traitement discriminatoire en ce qui concerne leurs croyances.
L’argument du (manque de) respect était au cœur de l’affaire concernant les caricatures du Prophète Mahomet publiées en 2005 dans un hebdomadaire satirique danois. Cette affaire a culminé en 2015 avec l’attaque terroriste contre le journal satirique français Charlie Hebdo, qui a entraîné l’assassinat de 11 journalistes et collaborateurs par deux terroristes islamistes.

3. Contre l’argument du respect

Respect formel et respect mérité
On peut répondre à l’argument du respect en réactivant l’opposition entre respect formel et respect mérité, c’est-à-dire en soutenant que le respect (formel) ne peut être exigé que s’il est mérité, et qu’en l’occurrence, il ne l’est pas.
De façon plus radicale, on peut repousser la demande de respect formel, en arguant qu’elle n’est qu’une manifestation d’autoritarisme.

Droit au respect VS Droit d’expression
On peut également opposer au droit au respect le droit d’expression, qu’il s’agisse du droit d’expression du citoyen, du philosophe ou de l’artiste.

— Vous devez respecter ma croyance.
— Et vous, vous devez respecter mon scepticisme.

Le débat sur ces conflits de valeurs exemplaires se déroule dans l’espace public, il implique également les philosophes, les citoyens et les législateurs. En dernière instance, et dans des cas d’espèce, intervient la justice concrète, qui, en France, appliquera les lois de la République.


[1] Lat. argument ad reverentiam, du lat. reverentia “1. Crainte 2. Crainte respectueuse, respect, déférence” (Gaffiot, Reverentia).
[2]
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006419320/
[3] http://tice.inpl-nancy.fr/modules/lang/forprint_fle/fle-utc/pages/chapitre2/LETMOT/letdemformules.pdf
[4] https://www.ladepeche.fr/article/2016/05/27/2353107-forces-ordre-meritent-gratitude-respect-tous-francais.html (29-07-2017)
[5] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33322
[6] [http://infocatho.cef.fr/fichiers_html/archives/deuxmil11sem/ semaine15/210nx151europeb.html (20-09-2013)