Arg. par la SYZYGIE
1. Dans l’exégèse catholique
En exégèse catholique traditionnelle, on dit que deux êtres, événements, actions forment une syzygie [1] lorsque
1/ ils ne sont pas contemporains ;
2/ ils présentent une forte analogie ;
3/ le premier préfigure, signifie ou annonce le second.
L’élément précurseur, appelé “Type”, annonce l’événement à venir, dit “Antitype”. Le Type a sa réalité profonde dans sa fonction de signifiant de l’Antitype.
Le mot antitype est un calque du grec ancien [antitypos]. L’antitype est l’image, l’impression que le type concret, actuel produit dans l’esprit (d’après Bailly, [Antitype]].
Cette opposition type/antitype est spécifique, elle n’a rien à voir avec celle de modèle/antimodèle. Le préfixe anti- n’indique pas ici l’opposition (antialcoolique) ni l’ordre temporel (antidaté).
Dans l’exégèse catholique traditionnelle, ce concept sert à articuler l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Ancien Testament est le lieu des Types, le Nouveau Testament le lieu des Antitypes. La méthode d’interprétation fondée sur cette vision théologique de l’histoire est connue sous le nom de figurisme ou de typologie :
La typologie rapproche deux événements ou deux personnages historiques dont l’un annonce l’autre en vertu de “correspondances”, mais qui sont l’un et l’autre également réels et insérés dans la trame d’un continuum historique… L’antitype non seulement répète, mais complète et “parfait” le type.
Noé, Abraham, Moïse… sont des “types” du Christ. (Ellrodt 1980, p. 38 ; p. 43)
Ce qui est en germe dans l’Ancien Testament s’accomplit dans le Nouveau. Ainsi le déluge est le typos du baptême, le baptême est anti-typos du déluge. (Wikipédia, Figurisme)
Appliqué au monde présent, considéré comme un Type, le principe de syzygie le projette sur l’au-delà qui en est l’Antitype. Dans cet emploi, il a une fonction pédagogique qui est de donner au croyant une idée de son état futur : le Roi actuel est le Type, dont le Père Tout-Puissant est l’Antitype.
Pour [l’homme], Dieu fit alterner les images des syzygies, lui présentant en premier lieu les images des choses petites, en second lieu des choses grandes, comme le monde et l’éternité. Le monde actuel en effet est éphémère, tandis que le monde à venir est éternel.
Les Homélies Clémentines [Premiers siècles du christianisme].[1]
La théorie des syzygies est un moyen d’ordonner l’histoire, elle permet de définir et d’évaluer l’antérieur par rapport au postérieur : ce qui vient avant est analogue à, mais a moins d’être que ce qui vient après. L’argumentation par la syzygie est une variante locale et spécialisée de l’argument du progrès dans un monde à deux états seulement, si on admet que la bougie (type) “annonce” l’ampoule électrique (antitype).
2. Une interprétation de la répétition historique
Le 18 Brumaire (9 novembre) 1799, Napoléon Bonaparte exécuta un coup d’État qui renversa le Directoire et instaura sa dictature. Par la « deuxième édition du 18 Brumaire », Marx désigne le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1851.
Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce […]. Et nous constatons la même caricature dans les circonstances où parut la deuxième édition du 18 Brumaire.
Karl Marx, Le 18 Brumaire de L. Bonaparte, 1851[2]
Le précepte marxien “l’histoire se vit d’abord sous forme de tragédie et se répète sous forme de farce” est une forme inversée de la syzygie, posée comme loi historique : le second élément est dévalorisé par rapport au premier.
[1] Le mot syzygie est une adaptation du mot grec sizigίa (συζυγία) au sens de “appariement, conjonction”.
[2] Trad. A. Siouville. Paris, Rieder, 1933, p. 110.
[3] https://www. marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum3.htm] (20-09-13).