ATCCT — Schèmes Syllogistiques

La déduction syllogistique, schème argumentatif  fondamental

La logique classique se considérait comme la science de la pensée juste, et le syllogisme est au fondement de la logique des propositions, et, symboliquement, son cœur. Si l’humain est un être pensant, la logique définit l’humain. Cette vision de la logique comme “art de penser” s’est totalement transformée avec la mathématisation de la logique, l’apparition des sciences d’observation, des sciences expérimentales, la mathématisation des sciences.

L’argumentation veut se définir par rapport à la logique, particulièrement la logique mathématique.  Perelman & Olbrechts-Tyteca opposent l’argumentation à la logique, et le syllogisme disparaît de la théorie de l’argumentation.
Le syllogisme classique utilise la théorie des ensembles (voir la méthode d’évaluation par les diagrammes de Venn). L’opération de catégorisation correspond au syllogisme à sujet concret, dont le syllogisme juridique est la forme utilisée dans les disciplines du droit.
Le syllogisme à sujet concret règle l’opération de catégorisation d’un être ou d’un individu, ce qui en fait peut-être l’opération fondamentale du raisonnement ordinaire, mené avec les seules ressources du langage ordinaire

On trouve dans les textes classiques traduits du chinois aussi des exemples explicites de syllogismes classique (§2) comme de syllogismes à sujet concret (§3)

2. Pratique du syllogisme

This section is based on A. C. Graham’s views on the Chinese way of argumentation, as presented in his Disputers of the Tao. Philosophical Argument in Ancient China (1989).
Speaking of the Moists, Graham writes (1989, p.  168):

Chinese civilization never abstracted the forms in which we observe it reasoning in practice, as in this curiously familiar-sounding syllogism of Wang Ch’ung (AD 27- c.100):
Man is a thing; though honoured as king or noble, by nature he is no different from other things. No thing does not die, how can man be immortal (Lun heng (ch. 24) Liu 147 tr. Forke v. 1, 335 f.) (Graham p. 168)
Hsün-tzu like the later Mohists has no deductive forms like the syllogism, but does mark off deductive inference as a separate type of thinking (Graham p. 267)

Wang Ch’ung uses a valid syllogism, that combines true propositions to arrive at a sound conclusion, « Humans are beings, no being is immortal, no human is immortal.” In the unfriendly language of traditional logic, this reasoning is described as a syllogism of the fourth figure, said Galenic, and in the Camenes mode: « all H are B; no B is I; therefore no H is I. »
Wang Ch’ung presents this incontrovertible conclusion as a so-called “rhetorical » question, which is a challenge to any opponent (Toulmin, 1958: 97); this introduces a dialectical movement within syllogistic reasoning.

3. Syllogisme à sujet concret

Le précédent syllogisme n’est peut-être pas si commun, mais on trouve  à foison des syllogismes ayant un sujet concret dont majeure n’est pas exprimée.

The following quotation comes from Anne Behnke Kinney (2014)   Exemplary Women of Early China (~ 18 BCE)

Death by water
Biography ten, also from the fourth chapter of Lienü zhuan, « The Chaste and Obedient » supplies further information about the philosophical context of ethically-motivated suicide in early China. The biography recounts that once the king of Chu was going out on a pleasure trip and he left his wife, Jiang, on the Jian Terrace and departed. The king, hearing that the river was rising, sent an official to bring his wife away, but the official forgot to bring his seal of commission. The official arrived and asked the queen to come away, but the wife replied, « The King has an agreement with his wife, that if he gives orders to summon someone from the palace, he must use the seal of commission. Now the official does not carry the seal with him and so I do not dare obey. » The official, taking leave, said, « Now the river is rising very high and if I return to get the seal, I fear that it will be too late. »
Liu Xiang, Lienü zhuan. “Exemplary women of early China”. c. -18AEC

La reine utilise un syllogisme à sujet concret, c’est à dire un syllogisme de la forme

Tous les Athéniens sont menteurs  Majeure universelle

Pierre est Athénien                      Le sujet de la mineure a un sujet concret, c’est à dire désigne un individu. Dans le syllogisme classique le sujet de la mineure est un ensemble d’individus (tous les / certains) ou le “pronom indéfini” aucun qui a valeur de négation.

Pierre est menteur                       La conclusion attache le prédicat de la majeure à l’individu.

La reine répond au messager en parlant d’elle-même à la troisième personne:

The King has an agreement with his wife, that if he gives orders to summon someone from the palace, he must use the seal of commission. Now the official does not carry the seal with him and so I do not dare obey.
Le roi a passé un accord avec sa femme : s’il donne l’ordre de convoquer quelqu’un du palais, il doit utiliser le sceau de la commission. Or, le fonctionnaire n’a pas le sceau sur lui et je n’ose donc pas obéir

La majeure rappelle d’abord l’accord que la reine a passé avec l’empereur
The King has an agreement with his wife, that if he gives orders to summon someone from the palace, he must use the seal of commission.
Pour être valide, un ordre du roi doit être accompagné de son sceau.

Tous les ordres valides du roi sont accompagnés de son sceau, l’envoyé n’a pas le sceau du roi, cet ordre n’est pas valide.

La mineure est un constat de fait: Now the official does not carry the seal with him

La conclusion: and so I do not dare obey

Cette conclusion est suivie d’un calcul: the river was rising  “la rivière monte, le messager ne pourra pas la franchir en revenant avec le sceau”.
Conclusion ultime: la reine va mourir (et elle le sait)

Syllogisme juridique

Le syllogisme juridique est un syllogisme à sujet concret qui applique la loi à unindividu. Son application demande que la loi soit “complète”, c’est-à-dire bien rédigée.
La majeure énonce la règle; ici la Reine rappelle d’abord que l’ordre du roi est explicite et, ajouterions-nous, catégorique; il n’est pas négociable et ne prévoit pas d’exception.
La mineure prend acte du fait que l’individu, “tombe sous le coup” de la règle c’est-à-dire que l’acte évalué correspond à la définition de l’acte délictueux donné dans la loi.
La conclusion applique la loi à l’individu.
La rhétorique occidentale parle de figure à propos du syllogisme dans le discours littéraire, d’une part, parce qu’il explicite sans concession toutes les données du problème, et que sa conclusion inexorable s’inscrit bien dans un processus dramatique.

Ce processus de catégorisation est un universel linguistique et cognitif fondamental.

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[1] Wang Chu’ng = Wang Chong, Lun Heng — Philosophical Essays, ch.24; trad. Forke V,I, 335f.  (Note Graham). Wang Chong, 27 – c. 97 AD, « developed a rational, secular, naturalistic and mechanistic view of the world and man, and gave a materialistic explanation of the origin of the universe » (Wikipedia).

[2] Behnke Kinney Anne (2014), Death by fire: The story of Boji. http://www2.iath.virginia.edu/xwomen/boji_essay.html.
In Behnke Kinney Anne (2014)   Exemplary Women of Early China: The Lienü zhuan of Liu Xiang. Columbia University Press. https://academic.oup.com/columbia-scholarship-online/book/23377