Cercle vicieux

1. Circularité du raisonnement

1.1 Pétition de principe

Lat. petitio principii ; petitio, “demande” ; principium, “principe”. Ang. begging the question.

Comme le cercle vicieux, la pétition de principe est une demande d’accorder ce qui est en question, la proposition qui fait l’objet du débat, ou une proposition équivalente.
Tricot considère que « la version pétition de principe, que nous ne pouvons qu’adopter, est d’ailleurs vicieuse : ce qu’on demande d’accorder, n’est non pas un principe mais la conclusion à prouver » (note 2 à Aristote, Top., VIII, 13, 162a30 ; p.359).
On peut cependant comprendre que l’argumentateur demande qu’on lui accorde, à titre d’argument ou de principe, ce qui est en question, c’est-à-dire la conclusion elle-même.

1.2 Cercle vicieux

Le cercle vicieux est un raisonnement prétendant prouver une chose par elle-même, donnant comme argument pour une conclusion cette conclusion elle-même, d’où l’image du cercle. Sa forme schématique est :

A, puisque A.
A, donc A.

Du point de vue logique, l’inférence est valide, mais le raisonnement, est stérile.
Le cercle vicieux est classé parmi les fallacies de raisonnement, indépendantes du discours.

L’expression cercle vicieux souligne les aspects cognitifs, sémantiques et textuels du phénomène, alors que pétition de principe met en évidence les aspects interactionnels-dialectiques du processus.

Explication circulaire
La circularité touche non seulement l’inférence, mais également l’explication : une explication est circulaire, si l’explication elle-même (l’explanans) est faite dans des  termes identiques à ceux qui décrivent le phénomène à expliquer (l’explanandum).
L’explication circulaire est différente de l’explication vaine, qui est aussi obscure que le phénomène qu’elle prétend expliquer.

Définition circulaire
Par nature, la définition est formellement circulaire, en vertu du principe de substituabilité du definiens et du definiendum. Elle ne l’est pas sémantiquement, puisque le definiens donne un contenu au definiendum.

2. Formes de cercle vicieux

Il existe différentes formes de cercle vicieux (Aristote, Top., VIII, 13 163a15-30 ; p. 359 sq.).

1. Répétition

Dans le cas le plus évident, on a affaire à une répétition, la conclusion répète mot pour mot l’argument. Dans le discours ordinaire, parce que peut lier un énoncé à lui-même ou à un équivalent strict :

Tu dois le faire parce que tu dois le faire.
C’est comme ça parce que c’est pas autrement.

Malgré le format “P parce que P”, on n’a pas affaire à une pétition de principe précisément parce qu’il ne s’agit pas de justification mais de refus de justification, comme le montre l’humeur associée, l’exaspération.

2. Reformulation

Dans les cas courants, il y a cercle vicieux lorsque la conclusion est une reformulation paraphrastique de l’argument :

J’aime le lait parce que c’est bon.
Heureusement que j’aime le lait, si je ne l’aimais pas je n’en boirais pas, et ce serait dommage, parce que c’est si bon !

— Quand on postule le résultat même qu’on doit démontrer, « c’est là une faute qui échappe difficilement à l’attention, mais elle est plus difficile à déceler dans le cas de synonymes, ou d’un terme et d’une expression ayant la même signification ». (Aristote, Top., VIII, 13, 162b35 ; p. 360).

Dans la théorie de l’argumentation dans la langue, la notion d’orientation introduit de façon systématique une forme de biais qui n’est pas différent de la pétition de principe.
L’énoncé “Pierre est intelligent, il pourra résoudre ce problème” présente des allures déductives, alors que le prédicat “est intelligent” contient dans sa définition même le prédicat “peut résoudre les problèmes”. La problématique de l’argumentation comme inférence évolue vers celle de la dérivation d’une reformulation, qui peut avoir valeur d’explicitation. La pétition de principe n’est fallacieuse que dans la mesure où c’est strictement le même terme qui est répété,

Selon Gœthe, dans toute argumentation, l’argument n’est qu’une variation de la conclusion ; d’où il s’ensuit que la rationalité argumentative n’est que vaine rationalisation :

Il vaut toujours mieux exprimer tout simplement son opinion que de l’appuyer sur des preuves, car les preuves ne sont que les variations de l’opinion, et nos adversaires n’écoutent volontiers ni le thème ni les variations. Goethe, Maximes et Réflexions[1]

3. Loi générale ad hoc

Les Topiques signalent le cas toujours fréquent où l’on postule sous forme de loi universelle ce qui est en question dans un cas particulier (Aristote, Top. VIII, 12, 163a1 ; p. 360) :

Ce politicien est menteur, corrompu… puisque les politiciens sont menteurs, corrompus.

Le locuteur postule une vérité générale ad hoc, calquant le cas concerné et ne s’appliquant qu’à lui. On peut également analyser ces cas comme des définitions mal construites : on considère le fait d’être corrompu comme une caractéristique essentielle des politiciens, alors qu’elle n’est qu’une caractéristique accidentelle.
C’est une forme d’argumentation extrêmement répandue.

4; Présupposition mutuelle

Tous les cercles vicieux ne sont pas des reformulations. On a objecté à l’idée de miracle qu’elle fonctionnait en cercle vicieux : les miracles justifient la doctrine, prouvent qu’elle est vraie et sainte ; mais un fait n’est reconnu comme un miracle que par cette doctrine. C’est une forme de résistance à la réfutation :

L1 : — Ce miracle prouve l’existence de Dieu.
L2 : — Mais ce fait n’est reconnu comme un miracle que par ceux qui croient en l’existence de Dieu.

L2 peut ajouter que L1 ne reconnaît pas d’autres faits tout aussi surprenants ; à quoi ce dernier répondra que :

L1 : — Ces autres faits sont des miracles opérés par le démon pour tromper les gens.

5. Incertitude égale

Le terme diallèle est utilisé par les sceptiques, avec une signification identique à “cercle vicieux” :

Le mode du diallèle arrive quand ce qui sert à assurer la chose sur laquelle porte la recherche a besoin de cette chose pour emporter la conviction ; alors, n’étant pas capables de prendre l’un pour établir l’autre, nous suspendons notre assentiment sur les deux.
Sextus Empiricus, Esq. pyr., I, 15, 169 ; p. 143

Cette définition introduit un nouveau concept de cercle vicieux, qui ne porte plus sur l’équivalence sémantique ou sur la relation épistémique, mais sur la base même de l’argumentation, qui demande que l’on fonde l’incertain (la conclusion) sur du plus assuré (l’argument). Les sceptiques vont donc s’attacher à montrer que, systématiquement, l’argument n’est pas plus certain que la conclusion. En ce sens, ils sont les premiers déconstructionnistes.


[1] http://textes.libres.free.fr/francais/johann-wolfgang-von-goethe_les-affinites-electives.htm (20-09-2013).