Définition 1: Définir la définition

Définir le sens d’un mot c’est:
— Lui associer un discours ayant le même sens exprimant le caractère propre et la différence spécifique des êtres appartenant à la catégorie désignée par ce mot (déf. essentialiste).
— Énumérer les êtres qui peuvent être désignés par ce mot (déf. extensionnelle).
— Pour les termes concrets, montrer (représenter, décrire, citer… un) être typiquement associé à ce mot (déf. par ostension et déf. dérivées).
— Donner un procédé permettant de récupérer tous les êtres qui peuvent être désignés par ce mot (déf. opératoire).
— Donner l’usage qui est spécifiquement associé à ce mot (déf. opérationnelle).


Définition 1: Définir la définition

Définir le sens d’un mot ou d’une expression, c’est leur attribuer une signification, c’est-à-dire leur associer un discours ayant le même sens. La définition établit une relation d’équivalence sémantique entre un terme, le défini (definiendum, “ce qu’il faut définir”, l’entrée du dictionnaire) et un discours (le definiens “ce qui définit”). Le definiens est parfois appelé définition (par métonymie du mot signifiant le tout pour signifier la partie),

Oncle : “Frère de la mère ou du père”
[definiendum] : [definiens]

Ceci vaut de façon centrale pour les mots pleins (substantifs, adjectifs, verbes, adverbes). La définition essentialiste (v. §2.1), donne la structure modèle associée au definiens.

Dans un langage formel, l’équivalence definiendum / definiens se définit de deux manières:
1) Sur le plan sémantique (intension), il doit y avoir identité de sens entre le terme défini et la définition.
2) Sur le plan formel (en extension), on doit pouvoir substituer la définition et le défini dans toutes leurs occurrences. Quand on remplace la définition par le terme défini, on abrège le discours. Quand on remplace le terme défini par la définition, on explicite le sens du terme défini.
Cette double exigence est pleinement satisfaite par la définition stipulative (v. §2.4)

À la différence des langages formels, les “mots pleins” du langage naturel,
— sont soumis aux variations de l’usage. Les progrès dans la connaissance, les changements historiques, entraînent des modifications dans la définition de chacun de ces termes.
— peuvent être polysémiques, ce qui fait que ces substitutions ne valent que pour leurs usages centraux.

Dans l’usage courant, la définition apporte une réponse à des questions comme :

Qu’est-ce qu’un X ? ; Qu’appelle-t-on X ? ; Quand parle-t-on de X ?

Selon la nature du mot et du questionnement, ces demandes d’information portent sur le sens, le savoir substantiel attaché au mot ou sur ses usages typiques (demande d’exemples) :

Qu’est-ce qu’un poisson ? Qu’est-ce qu’une démocratie ? Qu’est-ce qu’un parent isolé ? Qu’est-ce qu’une personne cultivée ? Qu’est-ce qu’un citoyen français ?

La définition du poisson comme espèce animale fait appel aux ressources des sciences naturelles, celles de démocratie, de citoyenneté, aux sciences et aux idéaux politiques et idéologiques, celle de parent isolé aux lois et décrets en vigueur, et l’idée vague de personne cultivée mélangera un peu tous les domaines des arts et des lettres.

2. Types et techniques de définition

On peut distinguer différents types et techniques de définition, exploités et mélangés dans les définitions concrètes.

2.1 Définition essentialiste

La définition essentialiste cherche à exprimer, au-delà du savoir linguistique sur le mot (définition lexicale), au-delà même du savoir sur la chose définie (définition encyclopédique), toujours relatif à un état des connaissances, ce qu’est la nature même de la chose, c’est-à-dire l’essence stable et pérenne du défini. Elle prétend dire ce qu’est le vrai sens du mot, en tant qu’il exprime l’essence de la chose, et non ses accidents.
En termes platoniciens, on dira qu’une définition essentialiste est celle qui capte l’Idée de la chose : “Qu’est-ce que la vertu?”. En principe, la définition essentialiste doit être établie par une méthodologie propre, qui peut faire appel à une “intuition des essences”, V. Classification; Définition (II).

Alors qu’une définition de type réaliste du mot démocratie part des acceptions sociohistoriques de ce mot, une définition de type essentialiste établit les conditions idéales de la démocratie, rattache à ce sens les usages du mot, parfois pour les condamner au nom de la vraie démocratie, ou de la démocratie idéale. La définition essentialiste est normative ; il est possible qu’aucune démocratie concrète ne réalise l’essence de la démocratie. En conséquence la définition essentialiste est un point d’appui critique important. Elle est souvent mobilisée dans l’argumentation a priori sur la nature des choses, de nature idéaliste ou conservatrice (Weaver 1953), V. Catégorisation.

La définition essentialiste fait abstraction des caractéristiques accidentelles des êtres, V. Accident, ainsi que de ses traits propres. Par exemple, pour désigner le président de la République Française on peut utiliser des descriptions comme “l’hôte de l’Élysée” ou “le mari de la première dame de France”, qui sont propres au président de la République : elles s’appliquent à lui et seulement à lui ; ces descriptions sont extensionnellement équivalentes à l’expression “président de la République”. La condition de substituabilité est remplie, mais pas celle de signification, car ces descriptions ne disent rien de ce qu’est un président de la République, de son mode d’élection ou des fonctions qu’il exerce. En termes aristotéliciens, la propriété “être logé gratuitement au Palais de l’Élysée pendant 5 ans” n’est pas une propriété essentielle attachée à la fonction de président de la République. C’est une information accessoire, périphérique.

2.2 Définition par ostension

L’ostension est l’action de montrer. La définition par ostension consiste à définir un terme en montrant un exemplaire des êtres qu’il permet de désigner : “tu veux savoir ce que c’est, un canard? Eh bien, justement en voilà un!”. Le mot canard est défini comme la cible du geste montrant un canard. La définition par ostension ne peut s’appliquer qu’à des êtres concrets. L’ostension est fondamentalement ambiguë : par le même geste on montre le cheval alezan et la couleur alezan. Le contexte, l’orientation de la conversation neutralise l’ambiguïté.

Dans la mesure où la demande de définition porte sur le sens, l’ostension ne constitue pas vraiment une définition car elle ne donne pas de discours. Elle court-circuite le sens pour s’appuyer directement sur un acte de référence. Mais elle fournit une introduction à l’usage adéquat d’un terme : on apprend ce que c’est qu’un canard en fréquentant les canards.

L’ostension est un auxiliaire de définition indispensable pour les termes désignant des êtres et des choses concrets; plus l’être particulier montré se rapproche du prototype de son espèce, plus efficace est l’ostension. L’image qui accompagne la définition du dictionnaire correspond à une définition par ostension. La définition par ostension sous-tend le fameux argument:

je sais pas t’expliquer, mais, les mousserons, je sais les reconnaître quand j’en vois un!

L’ostension est un principe puissant permettant de désigner comme des canards tout ce qui ressemble au canard prototypique montré.

La définition par exemplification consiste à donner un cas où le terme s’applique : “un canard (journalistique), c’est, par exemple, quand on a annoncé à la télévision la partition de la Belgique”. De tels exemples fournissent une base à partir de laquelle on peut donner un sens au mot par induction analogique, comme dans le cas de l’ostension. L’exemplification est utilisée par le dictionnaire en complément des autres définitions, mais si l’exemple choisi est prototypique, comme l’ostension, elle est un instrument puissant de catégorisation.

2.3 Définition opératoire — Définition fonctionnelle

La définition opératoire associe à un terme X un ensemble d’opérations qui permettent de contrôler son application adéquate, c’est-à-dire de déterminer si tel individu est un X ou non. On ne dit plus ce qu’est un X, on apprend à utiliser le signifiant X.
L’expression “nombre premier” est définie comme “un nombre qui n’est divisible que par lui-même et par l’unité”. Pour un nombre quelconque, cette définition permet de dire à coup sûr s’il est ou non premier.

La définition fonctionnelle ne s’intéresse pas à l’essence ou à la structure technologique de l’objet défini ; elle associe le terme aux fonctionnalités de l’instrument qu’il désigne. Donner du sens au mot boussole, c’est savoir à quoi ça sert : “ça indique le nord (magnétique).

2.4 Définition stipulative

La définition stipulative est également appelée définition de nom (Pascal [1657], p. 349). Elle réalise un idéal de la définition, en établissant une parfaite synonymie entre le terme à définir (definiendum) et l’expression définitoire (definiens). Elle correspond à une procédure d’abréviation, la définition étant toujours immédiatement récupérable sous le terme défini. Dans le langage ordinaire, cet idéal est à peu près réalisé par un mot comme oncle, voir supra.

La définition stipulative est essentielle pour la création néologique scientifique. Lorsqu’une nouvelle classe de phénomènes ou d’êtres a été repérée et caractérisée, il faut lui donner un nom. Alors que dans le cas général la demande de définition porte sur un terme donné dont on recherche ou construit la définition, dans le cas de la définition stipulative on part d’un sens clair et bien établi (le definiens), et on recherche un terme capable de bien l’exprimer; il s’agit d’un baptême. Pour cela on peut procéder arbitrairement, et choisir un mot courant vidé de son sens ordinaire.
Les physiciens utilisent ainsi le mot charme pour parler d’une particule particulière, le quark charme.

Dans d’autres cas, le mot choisi pour désigner le phénomène conserve quelque chose de son sens ordinaire, et on peut soutenir que “mon mot désigne mieux que le tien la nature du phénomène”. Dans l’enseignement, doit-on parler de moment, de phase, d’épisode, de footing… didactique ? En argumentation, faut-il parler d’argumentation convergente ou argumentation multiple ? D’ailleurs, faut-il parler d’argumentation ou de raisonnement ?
Comme chacun préfère sa terminologie, le caractère relativement arbitraire de la néologie stipulative peut conduire à une “inflation terminologique” et à des “querelles de mots”, qu’on tente de dépasser en invoquant la primauté de la réalité des choses: « Vous pouvez même appeler ceci “Ivan Ivanovitch” du moment que nous savons tous ce que vous voulez dire. » (Jakobson 1963, p.30)

3. Définition encyclopédique — Définition lexicale

3. Définition encyclopédique

Le dictionnaire encyclopédique recueille seulement les termes conceptuels. La définition encyclopédique résume l’état du savoir sur les choses et les concepts désignés par le terme. Centrée sur le référent, elle modélise les êtres et les processus de la réalité. Une bonne définition de chose est le couronnement d’une connaissance bien construite (comme d’une loi bien faite).

La force et la masse du physicien ne sont pas celles du dictionnaire de langue. Le physicien définit le concept physique de masse :

Le terme masse est utilisé pour désigner deux grandeurs attachées à un corps : l’une quantifie l’inertie du corps (la masse inerte) et l’autre la contribution du corps à la force de gravitation (la masse grave). Ces deux notions sont a priori distinctes, mais leur égalité est expérimentalement vérifiée à 10−12 près, et on se permet dès lors de parler de la masse d’un corps. (Wikipédia, Masse).

Pour Littré, les deux sens fondamentaux du mot masse, et non plus du concept physique, sont :

1. Amas de parties qui font un corps ensemble. […].
2. Il se dit aussi d’un seul corps [compact]. Une masse de plomb. (Littré, Masse).

Cependant, la définition scientifique du concept physique finit par pénétrer dans le dictionnaire ordinaire:

Rapport constant entre toute force appliquée à un corps et l’accélération qui lui est ainsi imprimée. La masse d’un corps. (TLFi, Masse)

Les argumentations établissant une définition de choses sont liées à des domaines. Il a fallu un congrès d’astronomie pour redéfinir le terme planète, et mettre fin à la controverse sur le statut de Pluton.

La définition ordinaire peut être méconnaissable sous la définition technique :

J’utilisais le mot “surprise” dans le sens de “réaction de surprise”, c’est-à-dire cet ensemble de phénomènes qui, pour le neurophysiologiste, comporte, lorsqu’un stimulus inopiné brutal survient :
1. Un blocage de l’activité alpha précédé par un élément transitoire qui s’exprime dans la région du cortex (une pointe-cortex).
2. Une secousse musculaire plus ou moins importante (le sursaut).
3. Des manifestations neuro-végétatives telles que la tachycardie et la diminution de la résistance cutanée.

Je me référais donc à la réaction de surprise “classique” que vous connaissez tous.
Henri Gastaut, Discussion, 1974 [1]

3.2. Définition lexicographique

La définition par description n’est pas reconnue comme une forme standard de définition, mais elle est sans doute la forme la plus courante de définition conversationnelle. Elle consiste à parler du mot, donner des exemples d’énoncés où il entre, donner des informations, exposer les croyances du groupe à son propos, le tout pour familiariser le destinataire avec le mot. Cette forme de définition par narration et description est toujours plus ou moins présente dans la définition lexicographique.

La définition lexicographique est la définition que l’on trouve dans les dictionnaires de langue, par opposition aux dictionnaires encyclopédiques. Le dictionnaire de langue doit satisfaire à des conditions multiples : recueillir tous les mots d’une langue ou les mots jugés centraux (ou d’un lexique particulier, ou d’une époque particulière), ainsi que les expressions figées ; fournir une description de leurs significations, de leurs usages et domaines d’usage ; de leurs emplois figurés stéréotypés ; préciser les constructions syntaxiques dans lesquelles se manifestent leurs diverses significations ; les situer dans les divers champs auxquels ils appartiennent ; préciser leurs relations avec leurs (quasi-) synonymes et leurs antonymes sur le plan sémantique ainsi que leurs position dans leurs familles dérivationnelles sur le plan morphologique, etc.

En présentant ainsi le terme dans ses associations linguistiques essentielles, légitimées par l’institution du dictionnaire, la définition lexicale constitue un stock de “permis d’inférer”, V. Définition (3).

Le savoir des mots (définition lexicale) et le savoir des choses (définition encyclopédique) sont en principe bien distincts, mais en fait, pour les termes ayant reçu une définition encyclopédique, ils sont inextricablement liés. “Le baromètre baisse, le temps se gâte” : la déduction est-elle opérée en référence à une loi physique météorologique (un savoir) faisant intervenir les variations de pression atmosphérique, ou l’inférence est-elle inscrite dans le sens du mot lui-même ? Connaître le sens fonctionnel du mot baromètre, c’est savoir que “quand ça baisse, le temps se gâte”.

Tous les mots sont dignes d’une définition lexicale mais seulement celles qui ont “beaucoup d’être”  font pas l’objet d’un savoir scientifique. La frontière entre les deux catégories est mouvante et tributaire de l’état de la recherche ; la conversation, jugée jadis chose futile et insaisissable, a été conceptualisée de façon fructueuse par l’analyse conversationnelle et l’ethnométhodologie : ces sciences ont donné de l’être à leur objet.

4. Définition et argumentation

Les situations argumentatives peuvent déstabiliser et mettre ouvertement en discussion le “vrai sens des mots”. Il se produit alors une stase de définition, où se développe une argumentation établissant une définition.

Les argumentations exploitant une définition présupposent l’existence d’une catégorie d’êtres appartenant à une catégorie désignée soit par un nom ou par une expression définie. Ces argumentations 1) rattachent à un être à ces catégories et 2) attribuent à cet être les propriétés, essentielles ou accessoires qui caractérisent cette catégorie.
On rejette une argumentation par la catégorisation en montrant que la définition fondant la catégorisation est mal construite.


[1] Dans L’Unité de l’homme, E. Morin et M. Piattelli-Palmarini (dir.), Paris, Le Seuil, 1974, p. 183.