Distinguo

Le distinguo est une opération de correction ou de clarification d’un mot ou d’une expression ambigüe.  


  • Lat. distinguo, “je distingue”, 1ère personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe latin distinguere, “séparer, diviser ; distinguer”. Si l’on juge que le terme est francisé, il n’est pas mis en italiques, et admet un pluriel en –s, des distinguos.

Le distinguo (ou paradiastole, V. Inversion d’orientation) est une opération de correction ou de clarification portant sur une ambiguïté relevée dans un discours.
En dialogue, l’opération de distinguo combine cette première opération d’aménagement du discours avec une seconde opération de réfutation.

1. Le distinguo comme opération de clarification conceptuelle

Dans le langage courant, faire un distinguo, c’est définir un couple de notions montrer  qu’un même mot ou une même expression recouvrent deux significations différentes qui doivent être distinguées et définies séparément dans l’intérêt de l’analyse en cours. À la différence de la dissociation aucune de ces significations n’est a priori valorisée.
Le texte suivant considère que le syntagme “développement territorial” ne renvoie pas à une réalité unique, mais à un système complexe où interagissent deux composantes, l’économique et le territorial. La clarification opérée par le distinguo est la première étape de l’analyse.

Le système de “développement territorial” est fondé sur les jeux d’interactivité qui opèrent entre ses deux composantes : le système économique local d’une part, le système dit “territorial” d’autre part.
Le distinguo à opérer entre ces deux derniers systèmes tient à des oppositions relatives aux logiques sous-jacentes qui les portent. Le système économique obéit à des principes qui sont reconnus et exposés en sciences économiques. […] Le système territorial, quant à lui, vise l’ensemble des fonctions humaines, sociales, économiques et urbaines du lieu.
Loinger & J.-C. Némery, Recomposition et développement des territoires, 1998[1]

2. Le distinguo au service de la réfutation

En dialogue, le distinguo est une opération d’aménagement du discours de l’autre

(i)      (L1 affirme) D.

(ii)     L2 déclare ne pas pouvoir répondre directement ou travailler directement avec le discours D tel qu’il est formulé.  D est jugé ambigu, insuffisamment explicite, etc.

(iii)    L2 prend un segment de ce discours, qui, selon lui, nécessite une clarification, et lui attribue deux lectures distinctes.

En situation argumentative, la correction ou la clarification opérée est au service de la réfutation

(iv)   L2 affirme qu’il est d’accord avec l’une de ces deux lectures, et rejette l’autre.

alors que

Alors que la dissociation lutte plutôt contre l’indétermination du sens du mot, le distinguo est un instrument de lutte contre l’ambiguïté. Son usage est compatible avec une accusation implicite de confusion ou d’amalgame (Mackenzie 1988).

Théorie du syllogisme

Dans la théorie du syllogisme, le distinguo est utilisé pour détecter un paralogisme à quatre termes, ou, généralement, un changement de sens dans un raisonnement, V. Évaluation du syllogisme.

Les métaux sont des corps simples.
Le bronze est un métal.
* donc le bronze est un corps simple.

Le distinguo est opéré sur les deux sens de métal, qui peut désigner 1. un corps simple, 2. un alliage.

— La majeure dit que les métaux sont des corps simples, ce qui est faux, seul certains métaux sont des corps simples.
— la mineure dit que le bronze est un métal, ce qui est exact au sens 2.
— On ne peut rien conclure de ces deux prémisses.

2.2 Argumentation théologique

Dans l’échange dialectique, le distinguo est une stratégie par laquelle, confronté à un raisonnement syllogistique, l’opposant distingue dans le syllogisme ce qu’il admet (concedo, je le concède) et ce qu’il nie (nego, je nie). Le proposant avance le syllogisme à contenu théologique (d’après Chenique 1975, p. 9) :

Thèse : Aucun pécheur n’entrera au ciel. Tout homme est pécheur. Aucun homme n’entrera au ciel.

Opposant :
— Je ne dis rien de la mineure, “tout homme est pécheur”.
— Dans la majeure, “aucun pécheur n’entrera au ciel”, je distingue, distinguo:

— en tant que pécheur, je suis d’accord (concedo), “aucun homme en état de péché n’entrera au ciel”,
— en tant que pécheur pardonné, je le nie (nego).
Le distinguo porte non pas deux significations du mot pécheur, mais deux catégories de pécheurs.

— Donc je rejette (nego) votre conclusion ; elle ne vaut pas pour les pécheurs pardonnés.

L’opposant objecte donc que le syllogisme est paralogique, car la mineure est ambiguë, vraie en un certain sens et fausse dans un autre sens.

2.3 Un débat amoureux (?)

Dans son expression traditionnelle, la précision “distinguo” au sens de “je distingue” est traditionnellement raillée comme sentant la scolastique. Diafoirus oppose ainsi distinguo à concedo et nego :

Angélique : — Mais la grande marque d’amour, c’est d’être soumis aux volontés de celle qu’on aime.
Thomas Diafoirus :Distinguo, mademoiselle ; dans ce qui ne regarde point sa possession, concedo ; mais dans ce qui la regarde, nego.
Molière, Le Malade imaginaire [1673].[2]

Thomas Diafoirus est aussi brutal que pédant : il n’a pas à tenir compte de la volonté d’Angélique pour la posséder ; mais, à part cela, il fait tout ce qu’elle veut. Le distinguo est l’instrument de la lutte contre les ambiguïtés fallacieuses, mais lorsqu’il introduit des distinctions dans une expression parfaitement claire, il est lui-même instrument de confusion fallacieuse.

L’appel au distinguo peut être contré par un troisième tour de parole du type “assez, ça suffit avec les distinguos scolastiques !”, “pas de querelle sémantique s’il te plaît !”.
En monologue, des formes de distinguo sont à l’œuvre dans la discussion sur les définitions.


[1] Paris, L’Harmattan, 1998, p. 126.
[2] In Molière, Œuvres complètes, t. II, acte II, scène 6. Texte établi, présenté et annoté par G. Couton, Paris, Gallimard, p. 1141.