Étapes, Arg. par —

 Si le chemin jusqu’au but est long et difficile, il est recommandé de le diviser en une série d’étapes plus faciles à atteindre. La division par étapes est un principe général de l’action humaine. Elle est potentiellement manipulatrice si le but ultime est dissimulé à l’interlocuteur.


1. L’action par étapes

D’une façon générale, l’action par étapes permet d’atteindre un but global jugé difficilement atteignable en le divisant en une série de buts partiels, plus accessibles, qui pourront être atteints successivement. Je ne peux pas transporter cet objet de cent kilos, alors je le démonte et transporte successivement toutes ses parties ; je divise le grand sac en dix petits sacs, etc. Ces buts partiels peuvent être ordonnés, c’est le cas de tous les apprentissages : on apprend d’abord à conduire sur une route normale avant d’apprendre à conduire sur le verglas. Dans ces différents cas, l’acteur raisonne en ayant clairement présent à l’esprit son but global, par rapport auquel il détermine et organise ses buts partiels.

2. Amorçage

Dans la version manipulatoire de la division, l’action à entreprendre implique la collaboration d’une personne dont on sait qu’elle ne partage pas spontanément cet objectif, ou même qu’elle y est hostile parce que toute la démarche va contre ses intérêts. La stratégie par étape en ce second sens est couramment désignée, dans le domaine de la vente, comme une stratégie d’amorçage (Joule & Beauvois 1987).

Les Martin, nouvellement mariés, veulent acheter un appartement. Conformément à leur première demande, l’agent immobilier leur propose un modeste deux-pièces, et ils acceptent de l’acheter. L’agent a maintenant un pied dans la porte et observe que très bientôt un bébé va arriver ; ils ont donc vraiment besoin d’un trois pièces. Prêts à tout pour le bébé, les Jones optent pour trois pièces. Mais l’agent observe encore que Mme Jones est en train de développer une start-up prometteuse, et qu’il lui faudra un bureau pour le télétravail, donc une quatrième pièce, etc.

Telle qu’elle est décrite par Perelman & Olbrechts-Tyteca, la stratégie du développement par étapes est définie d’abord comme une stratégie potentiellement manipulatrice :

On constate que, bien souvent, il y a intérêt à ne pas confronter l’interlocuteur avec tout l’intervalle qui sépare la situation actuelle de la fin ultime, mais à diviser cet intervalle en sections, en plaçant des jalons intermédiaires, en indiquant des fins partielles, dont la réalisation ne provoque pas une aussi forte opposition. ([1958], p. 379).

Du point de vue de l’action persuasive, l’argumentateur manipulateur amène sa cible ou son interlocuteur à faire / convenir de A pour ensuite, sur la base de A, l’amener s’engager plus loin dans la même direction en faisant /convenant de B, et ainsi de suite.

C’est une telle stratégie d’amorçage – quelque peu manipulatoire, mais l’intention est louable – qu’Abraham utilise dans son argumentation avec l’Éternel pour le convaincre de retenir sa colère vengeresse envers Sodome. La direction va de quelques-uns à très peu.

[…] Abraham demeura encore devant son Seigneur. 23 Et s’approchant il lui dit : Perdrez-vous le juste avec l’impie ? 24 S’il y a cinquante justes dans cette ville, périront-ils avec tous les autres ? Et ne pardonnerez-vous pas plutôt à la ville, à cause de cinquante justes, s’il s’y en trouve autant ? […] 26 Le Seigneur lui répondit : Si je trouve dans tout Sodome cinquante justes, je pardonnerai, à cause d’eux, à toute la ville.
27. Abraham dit ensuite : Puisque j’ai commencé, je parlerai encore à mon Seigneur, quoique je ne sois que poudre et que cendre. 
28 S’il s’en fallait cinq qu’il n’y eût cinquante justes, perdriez-vous toute la ville, parce qu’il n’y en aurait que quarante-cinq ? Le Seigneur lui dit : Je ne perdrai point la ville si j’y trouve quarante-cinq justes.
29Abraham lui dit encore : Mais s’il y a quarante justes, que ferez-vous ? Je ne détruirai point la ville si j’y trouve quarante justes.
30[…] Si vous trouvez dans cette ville trente justes, que ferez-vous ? Je ne perdrai point la ville si j’y en trouve trente, dit le Seigneur, je ne la perdrai point.

31[…] Et si vous en trouviez vingt ? Dieu lui dit : Je ne la perdrai pas non plus s’il y en a vingt.
32[…] Et si vous trouviez dix justes dans cette ville ? Je ne la perdrai point, dit-il s’il y a dix justes.

33Après que le Seigneur eut cessé de parler à Abraham, il se retira et Abraham retourna chez lui. (Genèse, 22-33)

Malheureusement, le Seigneur ne trouva pas dix justes dans Sodome.

3. L’argument de la pente glissante

L’argument de la pente glissante ou de la direction, permet de prévenir le risque d’être victime d’une stratégie d’amorçage.