Négation – Dénégation

1. Négation de mot

La relation lexicale de contrariété ou d’opposition peut relier :
— Des mots morphologiquement différents, {gentil, méchant} {présent, absent}

— Des paires de mots produits par préfixation du mot de base, V. Termes contraires.
Le mot produit par préfixation d appartient à la même catégorie grammaticale que le mot de base. Les préfixes négatifs produisent des termes négatifs dérivés.
Le terme de base et les termes dérivés sont des antonymes, c’est-à-dire des opposés. La nature précise de cette opposition peut être idiosyncrasique, comme il arrive fréquemment avec les mots dérivés. Cependant, le mot dérivé par préfixation négative correspond couramment à l’ajout d’un “ne pas” prédicat formé avec le terme de base :

{accord, être d’accord}
{désaccord, ne pas être d’accord}

2. Négation de phrase

Dans le cadre de la théorie de l’argumentation dans la langue, Ducrot distingue trois types de fonctionnement de la négation de phrase “ne pas” (Ducrot 1972, p. 38 ; Ducrot, s.d.).

2.1 Négation dialogique

est un énoncé attesté, produit antérieurement par un autre participant à la même action linguistique. La négation totale E1 = “ne pas ” le rejette radicalement ; Ducrot parle de « négation conflictuelle métalinguistique ». C’est cette forme de négation qui est à l’œuvre dans la réfutation face à face : elle rejette (négation totale), corrige (négation partielle), réfute, rectifie, répare, rétorque à, rédargue (en français du 16e siècle) … l’énoncé .

Exemples (d’après Ducrot, s. d.) ; on remarque que le non initial de tour marque le refus de l’énoncé formant le tour précédent.

— Rejet d’un complément essentiel :

L0 : — La prochaine élection présidentielle aura lieu dans deux ans.
L1 : — Non, elle aura lieu l’année prochaine.

— Invalidation d’un présupposé :

L0 : — Pierre a cessé de fumer.
L1 : — Non, Pierre n’a jamais fumé.

— Rectification d’un degré :

L0 : — Les enfants de Pierre sont grands.
L1 : — Non, Ils ne sont pas grands, ils sont tout petits / immenses.

— Correction d’un défaut linguistique quelconque :

L0 : — Regarde les chevals.
L1 : — Non, c’est pas les chevals, c’est les chevaux.

— Correction d’une inadéquation contextuelle, ici relationnelle et institutionnelle; L1 est impatient de partir :

L0 : — Hiiin, il est 16 heures (fin du cours, sur un ton geignard et revendicatif).
L2 : — Non, il n’est pas 16 heures (dit sur le même ton), il est 16 heures (dit sur un ton factuel et positif).

Dans le cas de corpus de textes ou d’interactions argumentatives, la règle pratique pour l’analyse d’un énoncé négatif E1 < ne pas > est de rechercher s’il y a, dans le contexte antérieur, un énoncé adressé tel que E1 rectifie, réfute… , et de définir, pour chaque cas, en quoi consiste la rectification, au vu de la question argumentative qui structure l’échange. peut se trouver dans la “mémoire courte” ou “longue” de l’interaction. S’il s’agit d’une formation argumentative complexe, c’est-à-dire d’une question débattue sur plusieurs sites et dans plusieurs genres, il se peut qu’il faille parcourir une distance discursive relativement grande pour récupérer .

2.2 Négation polyphonique

Il se peut que ne soit pas récupérable dans le contexte. Le locuteur de E1 peut par exemple devancer une objection qu’on ne lui a jamais faite mais qu’on pourrait lui faire, V. Prolepse. Dans ce cas, en suivant la version originale et robuste de la théorie ducrotienne de la polyphonie , on dira que l’énoncé négatif fait entendre deux voix, celle du rectificateur et celle du rectifié, le locuteur prenant, comme précédemment, la position du rectificateur. Ducrot parle dans ce cas de « négation conflictuelle polémique » (ibid.).

Les deux usages de la négation, selon que E0 est ou n’est pas récupérable en contexte, sont en parfaite continuité : si l’énoncé E0 ne figure pas dans le contexte immédiat, on est tenté par l’analyse polyphonique, en termes de voix. Il reste alors un doute sur la portée précise de la rectification. On pourrait parler de négation dialogale vs dialogique.

2.3 Négation descriptive

Ducrot envisage également le cas d’une « négation descriptive » qui échapperait à l’analyse polyphonique : « certains emplois d’une phrase syntaxiquement négative n’ont aucun caractère conflictuel ou oppositif. On utilise la négation sans faire attention à son caractère négatif, sans donc y introduire aucune fonction de contestation ou de mise en doute. Ainsi, pour vous signaler qu’il fait aujourd’hui un temps parfaitement beau, je peux aussi bien recourir à une phrase négative (“il n’y a aucun nuage au ciel”) qu’à une phrase positive (“le ciel est totalement pur”) » (ibid.).

Cette analyse pourrait correspondre aux énoncés à polarité négative, à partir desquels il est impossible de récupérer un énoncé positif sous-jacent :

Tu ne bougerais pas le petit doigt pour m’aider.

Elle est également vérifiée pour les mots à préfixe négatif sans terme positif en contrepartie, comme impotent (*potent)

3. Dénégation

Le caractère dialogique de la négation est systématiquement exploité en psychanalyse, où l’énoncé négatif est considéré comme un énoncé négocié entre conscient et inconscient :

La façon dont nos patients présentent les idées qui leur viennent à l’esprit pendant le travail analytique nous donne l’occasion de faire quelques observations intéressantes. “Vous allez penser maintenant que je veux dire quelque chose d’offensant, mais je n’ai vraiment pas cette intention.” Nous comprenons que c’est là le refus, par projection, d’une idée qui vient de surgir. Ou bien : “Vous demandez qui peut être cette personne dans le rêve. Ce n’est certes pas ma mère. ” Nous rectifions : c’est donc bien sa mère. Nous prenons la liberté, lors de l’interprétation, de faire abstraction de la négation et d’extraire le pur contenu de l’idée. C’est comme si le patient avait dit : “C’est certes ma mère qui m’est venue à l’esprit à propos de cette personne, mais je n’ai pas envie d’admettre cette idée.
Un contenu de représentation ou de pensée refoulé peut donc se frayer un passage à la conscience, à condition qu’il puisse être dénié. La dénégation est une façon de prendre connaissance du refoulé, c’est en fait déjà une levée du refoulement, mais bien sûr, ce n’est pas l’acceptation du refoulé. On voit comment la fonction intellectuelle se sépare ici du processus affectif.
Freud, La Dénégation (Die Verneinung),1925  [1]

La dénégation est un acte de parole par lequel on « [nie] formellement, [refuse] d’admettre comme vrai (un fait, une déclaration, des propos, etc.). Dénier un crime. Dénier une dette » (TLFi, art. Dénier). Celui qui dénie un crime ne nie pas qu’il y ait eu crime, il nie en être l’auteur, il dénie l’accusation. Celui qui dénie une dette nie qu’il y ait une dette, ou que ce soit lui qui ait contracté cette dette. Une dénégation est le rejet d’une accusation. Dans le cas évoqué par Freud, il s’agit bien d’une dénégation, dans la mesure où la vérité refoulée, c’était ma mère, a quelque chose d’inavouable, au moins du point de vue de Freud.

4. Stratégies argumentatives utilisant diverses formes de négation

Dans la mesure où l’on fait de la relation “discours vs contre-discours” la structure de base de l’argumentation, la négation entre en jeu dans la définition même du champ de l’argumentation: etc.

Contraire ;Contre-discours, Destruction ; Réfutation ; Objection ; etc.


[1] Cité d’après http://www.khristophoros.net/verneinung.html (20-09-2013).