Progrès, Arg. du —

1. Argument du progrès

Par définition, “le progrès avance” : l’argument du progrès valorise l’ultérieur comme étant le meilleur ; si F2 vient après F1, alors F2 est préférable à F1, V. Valeur ; Syzygie.

L’argument du progrès réfute les appels aux anciens, à la tradition et à toutes les formes d’autorités qu’ils appuient. C’est un puissant instrument de critique des pratiques traditionnelles : elles sont dépassées du fait qu’elles viennent avant. Les pratiques contemporaines qui les revendiquent et les continuent sont dites rétrogrades.

On ne brûle plus les chats sur les parvis des cathédrales, les combats d’animaux ont été interdits en 1833, on ne cloue plus les chouettes, et les rats ne sont plus crucifiés comme cibles au jeu de fléchettes. Quoi qu’en disent les milieux taurins, la corrida avec mise à mort est condamnée. (Le Monde, 21-22 sept. 1986)

Cette argumentation est organisée selon les étapes suivantes :

1) La corrida est d’abord catégorisées avec d’autres pratiques de maltraitance animale, brûler les chats, organiser des combats de coqs, clouer les chouettes sur les portes des granges, prendre des rats pour cible au jeu de fléchette.
2) Ces pratiques sont plus ou moins ordonnées temporellement.
3) On constate que les plus anciennes de ces pratiques sont unanimement condamnées et sont sorties des usages.
4) Cette ligne factuelle est ensuite extrapolée pour aboutir à la conclusion que les corridas doivent également disparaître, au vu des progrès de la société et de la marche de l’histoire — et que le plus tôt sera le mieux.

2. Argument de la nouveauté

L’étiquette ad novitatem est parfois utilisée pour désigner l’argument de la nouveauté au premier sens (voir infra). Le mot latin novitas signifie “nouveauté ; condition d’un homme qui, le premier de sa famille, arrive aux honneurs”, au statut de sénateur (Gaffiot [1934], Novitas).
L’orientation argumentative de l’argument ad novitatem peut être :
Positive : la novitas est alors opposée à la nobilitas décadente,
Ou négative : l’homo novus,“l’homme nouveau”,  issu de nulle part, est tenu en suspicion.

Orientation contemporaine

Dans son interprétation contemporaine, l’argument de la nouveauté a une orientation positive, il est lié à l’argument du progrès. Il valorise l’innovation et le changement par rapport au conservatisme, et le neuf (le sang neuf) par rapport à l’usé.
Trivialement, il sous-tend des évaluations“comme ce qui vient de sortir” est super et le “déjà vu” est dépassé. D’où l’appel Soyez le premier à l’adopter !
Le manuel qui vient de paraître est forcément supérieur à ses prédécesseurs, et, en politique, l’homme nouveau est déjà un sauveur.

L’argument du progrès s’oppose à l’argument de la décadence de la civilisation depuis son hypothétique âge d’or, dont le bon vieux temps est la variante contemporaine.  Il attribue toutes les vertus et les bonheurs aux anciens.

Orientation traditionnelle

Traditionnellement, dans le domaine religieux, dire d’une idée ou une doctrine que c’était une nouveauté, c’était la condamner comme hérétique :

La nouveauté apparaissant alors comme un signe de l’erreur et la novitas étant, autant que la pertinacia, l’indice de l’hérésie.
Le Brun 2011, § 1. (*)  la pertinacia est l’entêtement dans l’erreur.

L’orientation argumentative du jugement “c’est une nouveauté” a été inversée à l’époque moderne.
Cette inversion recoupe celle qui touche la charge de la preuve, qui traditionnellement pesait sur l’innovation, et qui, dans notre société actuelle, peut peser sur le conservatisme ou sur l’innovation, selon les questions dont il s’agit.

La syzygie est une vision différente du progrès, comme un passage d’un monde agité et imparfait à un monde parfait, donc immobile.

3. Anciens et modernes

L’argument du progrès structure l’éternelle querelle des Anciens et des Modernes. Sous sa forme radicale, cet argument affirme la supériorité absolue des Modernes sur les Anciens, dans le domaine des arts et des institutions comme dans celui des sciences. À la limite, cette supériorité serait celle de l’individu moderne sur ses ancêtres. Sous une forme relative, l’argument du progrès est compatible avec la supériorité individuelle des anciens : “nous sommes des nains sur les épaules des géants” — donc nous sommes non pas plus grand, mais plus haut, nous voyons donc plus loin que les géants eux-mêmes. On réfute la métaphore en faisant remarquer que les poux sur la tête des géants ne voient pas plus loin que les géants.