Fallacie SECUNDUM QUID
ou fallacie d’OMISSION DES RESTRICTIONS LINGUISTIQUES PERTINENTES
L’étiquette “fallacie d’omission des restrictions linguistiques pertinentes” cherche à rendre la définition latine “fallacia a dicto secundum quid ad dictum simpliciter” soit
fallacie par laquelle on passe d’une affirmation restreinte (a dicto secundum quid) à une affirmation absolue, (ad dictum simpliciter).
dictum, “parole, mot”
secundum quid, “derrière quelque chose” marque la dépendance
simpliciter, “simplement, isolément, séparément”, d’où absolument.
La préposition a marque le point de départ, l’affirmation originelle, et la préposition ad le point d’arrivée, l’affirmation transformée.
L’étiquette “fallacie secundum quid” est détachée de cette définition. Elle reprend le point fondamental, l’idée de termes liés, conditionnés, inséparables d’une construction plus ample.
Supposons que la séance se soit mal terminée pour Pierre, et qu’il soit sorti de la pièce. On peut rapporter cet épisode en disant (1) “Pierre a pris la porte”. Dans les circonstances normales de la conversation, on ne peut ni inférer ni comprendre que (b) “Pierre a pris quelque chose”, et demander (c) “qu’est-ce qu’il a pris ?”. Dans l’expression figée pris la porte, pris est utilisé secundum quid, dans (b) et (c) il est utilisé simpliciter, dans son sens le plus courant.
Cette fallacie fait partie de la liste originelle des fallacies dressée par Aristote, qui la considère comme une fallacie hors du langage. Il s’agit de distinguer « si une expression est employée au sens absolu ou sous un certain aspect excluant son sens propre », car la fallacie survient,
quand une expression employée particulièrement est prise comme employée absolument. Tel est l’argument* : Si le non-être est objet d’opinion, le non-être est.
(*) “comme c’est le cas dans l’argument suivant”
Aristote, R. S., 5, 166b35 ; p. 15
De cet argument, on tire la conclusion suivante : [Si tu dis que le non-être est objet d’opinion, alors tu dis que le non-être est].
— Dans cette argumentation, l‘argument proprement dit est « le non-être est objet d’opinion », en d’autres termes, “certaines personnes défendent des opinions au sujet de ce qui n’est pas, de ce qui n’existe pas, du néant”. C’est un énoncé sémantiquement complet, syntaxiquement intégré, correspondant à un acte de parole unique, et qui se trouve être vrai.
— On tire de cet argument la conclusion que « le non-être est ». Cette conclusion est construite en soustrayant de l’énoncé argument le segment “objet d’opinion”. L’énoncé est relu comme suit “[Si tu dis que le non être est objet d’opinion, alors tu dis que le non être est]”.
Cette argumentation est un sophisme. Dans l’argument, est est un pur support de la prédication, dont tout le contenu sémantique est donné par l’attribut “objet d’opinion”. Dans la rude terminologie utilisée dans la traduction, est est employé secundum quid, en dépendance de “objet d’opinion”. Dans le second énoncé, est est employé absolument, comme prédicat d’existence.
Radicalisation de la position citée par suppression des limites qu’elle s’imposait
Dans des cas moins sophistiqués, la manipulation permet de radicaliser les affirmations de l’adversaire par suppression des qualifications qui restreignaient la portée de l’affirmation originelle. Ce qui avait été affirmé sous réserve, dans un contexte particulier, avec des intentions bien précises est radicalisé :
— L dit : “En temps de pandémie, il est nécessaire de restreindre la liberté de circulation”
— Première reprise : Il a dit qu’il fallait restreindre la liberté de circulation.
— Autre reprise : Il a dit qu’il fallait restreindre les libertés.
À l’accusation de raisonnement manipulatoire, on répond en disant que l’intention de ceux qui restreignent la liberté de circulation en temps de pandémie est de restreindre la liberté de circulation en général, pour, dans une troisième phase, restreindre les libertés tout court, V. Mobiles
Inversion de l’orientation argumentative de la position citée
La manœuvre est particulièrement vicieuse lorsqu’elle fait prendre en charge par un locuteur ce qu’il avait fait dire à un énonciateur auquel il ne s’identifiait pas, autrement dit, on lui fait prendre en charge ce qu’il n’avait admis qu’à titre de concession :
Premier Ministre, PM : — 1. La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais 2. elle doit en prendre sa part. (Notre numérotation)
Reprise par un opposant politique O : — Comme le dit notre Premier Ministre, “La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde.”
Dans l’affirmation P1, le PM cite une position politique, soutenue par des énonciateurs non précisés, qui, reformulée de son point de vue, donne “La France peut accueillir toute la misère du monde”, et, il rejette cette position.
Son adversaire O cite 1. sans le lier à 2., qui préconise un aoccueil des réfugiés. O préconise la fermeture des frontières, se fait un allié du Premier Ministre qui en fait rejette cette position de fermeture.
Alors que le PM citait le propos 1. pour le rejeter, O le lui fait prendre en charge.
Dans un contexte d’opposition politique radicale ou d’interrogatoire policier, tous les coups capables de déstabiliser l’interlocuteur sont permis, et il vaut mieux éviter de parler polyphoniquement, ou par antiphrase.
1.4 Omission du contexte non linguistique du dire
Dans les cas précédents, la manipulation portait sur des énoncés extraits de leurs contextes linguistiques explicites, effaçant ainsi les limites qui fixaient expressément la portée de ce qui avait été originellement dit.
Il est également possible de déformer un discours en le sortant de son contexte d’énonciation ; la déformation porte non plus sur le dit, sur ce qui a été dit, mais sur le dire, sur l’état du monde auquel s’appliquait le discours. Comme les circonstances peuvent rendre vraie ou fausse une affirmation empirique, il est toujours possible de la ridiculiser en la sortant de son contexte :
L1 : Il fait vraiment beau temps ! (Dit le matin, alors qu’il fait beau).
L2 : Ah ah il fait vraiment beau (dit avec ironie le lendemain, alors qu’il pleut).