INFÉRENCE
L’inférence est définie comme « la dérivation d’une proposition (la conclusion) à partir d’un ensemble d’autres propositions (les prémisses) » (Brody 1967, p.66-67). Elle permet d’établir une vérité nouvelle sur la base de vérités déjà connues (resp. une croyance nouvelle sur la base de croyances déjà établies).
La notion d’inférence est une notion primitive, c’est-à-dire qu’elle ne peut être définie que par des concepts tout aussi complexes (« dérivation”), ou illustrée par des exemples provenant d’un domaine particulier, comme la logique.
1. Connaissance immédiate et connaissance par inférence
L’argumentation est une forme d’inférence, et, comme telle, elle peut produire une connaissance. D’une façon générale, les connaissances proviennent de diverses sources par diverses opérations, qu’on peut présenter schématiquement de la manière suivante.
Cette présentation doit simplement permettre de situer l’argumentation comme affirmation d’une connaissance par inférence.
L’affirmation porteuse d’une connaissance est produite dans un discours composé :
— D’un seul énoncé : la connaissance est obtenue directement, c’est-à-dire sans intervention d’une inférence. Cette connaissance (dite immédiate) correspond à la certitude qui naît de l’évidence, V. Évidence.
– De deux énoncés : la connaissance est exprimée dans un énoncé conclusion inféré directement, par inférence immédiate, d’un autre énoncé. C’est une inférence à prémisse unique, V. Proposition.
L’inférence immédiate peut se faire sur la base des quantifieurs, (inférence immédiate logique), ou bien sur la base des mots pleins (inférence sémantique).
– De trois (ou plus de trois) énoncés : la connaissance est exprimée dans un énoncé conclusion inféré à partir de deux (ou de plus de deux) énoncés (prémisses), l’un ayant la fonction de loi de passage, V. Syllogisme ; Modèle de Toulmin.
L’inférence est “illative” (Peirce). Elle permet d’acquérir des connaissances nouvelles à partir de vérités déjà admises. Elle correspond à la problématique de la démonstration syllogistique comme à celle de l’argumentation qui est présentée comme sa “contrepartie” rhétorique.
2. Inférence logique
L’inférence proprement dite part de trois propositions. La logique traditionnelle distingue l’inférence déductive ou déduction et l’inférence inductive ou induction ; elle traite à la marge la question de l’analogie.
On oppose traditionnellement la déduction à l’induction sur deux critères.
L’orientation particulier / général — L’inférence déductive et l’inférence inductive sont considérées comme deux processus complémentaires. L’induction va du moins général au plus général :
Ce Syldave est roux, donc les Syldaves sont roux.
alors que, la déduction irait du plus général au moins général :
Les hommes sont mortels, donc Socrate est mortel.
Mais la déduction syllogistique peut être généralisante :
Tous les chevaux sont des mammifères, tous les mammifères sont des vertébrés,
donc tous les chevaux sont des vertébrés.
Le degré de certitude — L’inférence déductive conclut de façon certaine et l’inférence inductive ’seulement de façon probable. qu’en conséquence, la déduction seule peut apporter un savoir scientifique substantiel (science étant pris au sens aristotélicien du terme).
3. Inférence argumentative
3.1 Théorie standard de l’argumentation
L’enthymème est la contrepartie rhétorique de l’inférence déductive et l’exemple la contrepartie de l’inférence inductive.
En argumentation, on considère que l’inférence de la donnée à la conclusion repose sur une loi de passage caractérisant un type d’argument et un mode de raisonnement.
La grande diversité de types d’arguments considérés comme des modes de raisonnement mêlant le substantiel et le formel s’oppose à l’unicité de l’inférence déductive.
3.2 Inférence et suite idéale
La théorie de l’argumentation dans la langue établit une opposition fondamentale entre l’acte d’argumenter et l’acte d’inférer. Par l’acte d’argumenter, le locuteur préforme les suites qu’il va donner à son propre discours. iIl prétend “enrégimenter” la parole de son interlocuteur, en la limitant à ces suites ; il trace une suite idéale à son propre discours.
L’acte d’inférer prend appui sur un énoncé pour en calculer des conséquences indifférentes à la suite idéale (Ducrot 1980, p. 7-10).
Soit l’énoncé : Cette fois, Pierre était presque à l’heure.
— Suite idéale : Excusez-le !
— Suite inférée :
S’il était presque à l’heure cette fois, c’est qu’il était encore une fois en retard : punition renforcée !
Soit les énoncés :
-
- Pierre n’a pas lu tous les romans de Balzac,
- Il a lu quelques romans de Balzac
Suites idéales :
— Sur 1. : Il ne pourra pas te donner les informations que tu cherches
— Sur 2. : Il pourra peut-être te donner l’information que tu cherches.
Mais les locuteurs à qui l’on demande à qui ils s’adresseraient pour avoir l’information cherchée, à celui qui n’a pas lu tous les romans ou à celui qui en a lu quelques-uns, choisissent celui qui ne les a pas lus tous (Ducrot 1980, p. 7-11). Il y a donc intervention d’un calcul implicite. Par exemple, si on dit qu’il ne les a pas lus tous, c’est qu’il en a lu au moins beaucoup ; ou que la négation montre qu’on pourrait penser qu’il les a lus tous.
3.3 Inférence pragmatique
La notion d’inférence pragmatique est utilisée pour rendre compte de l’interprétation des énoncés dans le discours. Dans le dialogue :
L1 : — Qui avez-vous rencontré à ce dîner ?
L2 : — Paul, Pierre et Ginette
De la réponse de L2, L1 infère que L2 n’a rencontré aucune autre connaissance commune. Cette inférence se fait sur la base d’une loi de passage, qui correspond à la maxime de quantité (loi d’exhaustivité) de Grice. Si cette loi n’a pas été respectée, si Bruno, personne bien connue de L1, a rencontré L2 à la soirée, alors L2 a menti par omission, V. Coopération.
3.4 Inférence immédiate analytique
Un énoncé analytique est un énoncé vrai “par définition”, c’est-à-dire en fonction de son sens : “un célibataire est une personne adulte non mariée”. Alors que l’inférence immédiate logique procède à partir des quantificateurs ou “mots vides”, l’inférence immédiate analytique opère à partir du sens même des “mots pleins” de l’énoncé de base :
Il est célibataire, donc il n’est pas marié.
Dans des argumentations comme “c’est notre devoir, nous devons donc le faire”, la proposition introduite par donc, “nous devons le faire” est tirée analytiquement de l’argument “c’est notre devoir”. Si l’on peut parler ici de conclusion, c’est de conclusion “immédiate” qu’il s’agit. Plus largement, l’inférence analytique est une inférence où la conclusion est inscrite dans l’argument, la conclusion développant seulement les contenus sémantiques de l’argument, ainsi, à partir de “Pierre a cessé de fumer”, je peux déduire que, dans le passé “Pierre fumait” : “si tu dis que Pierre a cessé de fumer, tu affirmes que Pierre fumait autrefois”.
3.5 Coexistence des formes d’inférence dans l’argumentation ordinaire
V. Orientation