Analogie (3): Analogie catégorielle

Analogie 3 : ANALOGIE CATÉGORIELLE

L’analogie catégorielle est la relation qui lie les individus appartenant à une même catégorie. Les êtres sont réunis dans une même catégorie sur la base des traits qui engendrent et définissent la catégorie. Analogues dans l’absolu, les membres d’une même catégorie deviennent identiques pour la catégorie qui les réunit.  En assimilant identité catégorielle et identité absolue, on efface toutes les frontières entre les objets.

1. De l’identité à l’analogie catégorielle et circonstancielle

Identité individuelle — Un individu est identique à lui-même (ni semblable ni ressemblant) ; il n’est pas “plus ou moins” identique à lui-même. Cette évidence correspond au principe d’identité A = A”.

Identité des indiscernables — Deux individus différents parfaitement ressemblants, par exemple des produits industriels pris en sortie de chaîne, sont matériellement identiques, au sens de perceptuellement indiscernables. Tout ce qui peut se dire de l’un peut se dire de l’autre ; leurs descriptions coïncident, ils partagent tous leurs prédicats, essentiels ou accidentels (circonstanciels). Les êtres indiscernables sont dans une relation d’analogie catégorielle et d’identité circonstancielle.
La discernabilité dépend de l’observateur : le premier venu estime que “c’est la même chose, c’est tout pareil”, alors que le spécialiste voit des différences.

Analogie catégorielle L’analogie catégorielle est la relation qui existe entre les membres d’une même catégorie C qui tous possèdent, par définition, les traits conditionnant l’appartenance à cette catégorie. Ils sont tous descriptibles comme des membres de ; l’expression “un autre X” renvoie à un autre membre de la même catégorie.
Deux êtres appartenant à une même catégorie sont identiques pour cette catégorie ; une baleine et un rat sont identiques du point de vue de la catégorie “être un mammifère”. Cette identité catégorielle est donc une identité partielle, compatible avec de grandes différences ; deux êtres appartenant à la même catégorie sont analogues, similaires ou semblables. Ils sont comparables par leurs autres propriétés non catégorielles. Les œufs de poule sont tous semblables en tant qu’œufs de poule ; un œuf est identique à un autre œuf, et il est comparable à tous les autres œufs pour sa fraîcheur, sa grosseur, sa couleur, etc. V. Comparaison.

Analogie circonstancielle Si l’individu X possède les traits (x, y, z, t), il est semblable à tous les individus qui possèdent un quelconque de ces traits, qu’il s’agisse d’un trait essentiel ou accidentel. Les parties communes aux descriptions de deux objets définissent le point de vue pour lequel ils sont équivalents.
Si l’on élargit la notion d’appartenance à une classe, on dira que deux êtres sont analogues si leurs descriptions contiennent des parties communes, que cette description corresponde ou non à l’ensemble de leurs traits essentiels. En d’autres termes, l’identité de description produit une catégorie, le sens de l’opération dépendant de l’intérêt de la catégorie créée. On pourrait parler d’analogie circonstancielle. Alice et le serpent sont identiques du point de vue de la catégorie “être au long cou qui mange des œufs de pigeon”.

2. L’analogie catégorielle comme induction ou déduction

L’argumentation par analogie catégorielle peut être reconstruite comme une induction ou une déduction.
— Comme une induction :

O est analogue à P
P possède les propriétés w, x, y, z
O possède les propriétés w, x, y
Donc O possède probablement la propriété z.

D’un jugement global d’analogie entre deux êtres O et P, porté sur le constat d’existence de traits partagés w, x, y, on conclut que, si l’un possède le trait z, alors l’autre doit forcément le posséder. En d’autres termes, l’analogie est orientée vers l’identité.

— Comme une déduction :

O est analogue à P.
P possède la propriété z.
Conclusion : O possède probablement la propriété z.

O est analogue à P en ce que les deux possèdent le trait z.
O et P appartiennent à la même catégorie C.
Conclusion : Donc ils partagent probablement d’autres, voire toutes, les propriétés de cette catégorie C.

Ce qui revient à dire que l’analogie (le prédicat “analogue à”) est interprétée comme un affaiblissement de l’identité.

La déduction et l’induction sont considérées comme des formes valides de raisonnement. La raison d’être de la discussion sur la possibilité de ramener l’analogie à de la déduction ou à de l’induction est donc de déterminer si, le raisonnement par analogie est une forme valide de raisonnement. Comme le raisonnement par analogie est parfois utilisé pour prouver l’existence de Dieu, on voit les enjeux idéologiques de cette question.

Ces formulations de l’argumentation par analogie sous la forme de syllogismes dialectiques sont assez stériles, car elles enfouissent le permis d’inférer qui contient tous les problèmes intéressants. En revanche, la reformulation de la conclusion non plus comme un savoir catégorique, mais comme une règle heuristique est d’une grande valeur. On pourrait réécrire les conclusions précédentes sous la forme de suggestions :

Il est intéressant de regarder ce qu’il en est de P concernant la propriété z.
Il est intéressant de regarder si O et P ont d’autres propriétés communes.

3. Argumentations sur l’analogie catégorielle

— L’analogie catégorielle est à la base de l’application de la règle de justice  et de l’argumentation a pari, qui, avec a contrario, permet de restructurer les catégories, donc, par contrecoup, les classifications.

— Pour les définitions de la notion de catégorie et des opérations par lesquelles un individu est intégré à une catégorie, V. Catégorisation.
L’appartenance à une catégorie peut être graduelle, selon que l’être considéré se rapproche plus ou moins du stéréotype définissant la catégorie.

4. Réfutation de l’analogie catégorielle

Tout est analogue à tout sous l’un ou l’autre aspect, et les analogies peuvent être plus ou moins “tirées par les cheveux”. L’analogie refusée est catégorisée comme un amalgame (Doury 2003, 2006).

L’analogie catégorielle se réfute en montrant que le regroupement des deux êtres dans une même catégorie est fondé non pas sur un trait essentiel, mais sur un trait accidentel ; d’une façon générale, on montre que la catégorie produite est sans intérêt. L’analogie “Chinois ~ Papillon”, ironiquement discutée par Musil dans le passage suivant, illustre les périls de l’analogie circonstancielle, fondée sur le choix arbitraire d’une (stupide) caractéristique non essentielle, la couleur « jaune citron ».

Il existe des papillons jaune citron ; il existe également des Chinois jaune citron. En un sens, on peut définir le papillon : Chinois nain ailé d’Europe centrale. Papillons et Chinois passent pour des symboles de la volupté. On entrevoit ici pour la première fois la possibilité d’une concordance, jamais étudiée encore, entre la grande période de la faune lépidoptère et la civilisation chinoise. Que le papillon ait des ailes et pas le Chinois n’est qu’un phénomène superficiel. Un zoologue eût-il compris ne fût-ce qu’une infime partie des dernières et des plus profondes découvertes de la technique, ce ne serait pas à moi d’examiner en premier la signification du fait que les papillons n’ont pas inventé la poudre : précisément parce que les Chinois les ont devancés. La prédilection suicidaire de certaines espèces nocturnes pour les lampes allumées est encore un reliquat, difficilement explicable à l’entendement diurne, de cette relation morphologique avec la Chine.
Robert Musil, Esprit et expérience. Remarques pour des lecteurs réchappés du déclin de l’Occident [1921].[1]

La relation d’analogie rencontre des problèmes avec la transitivité, V. Série. L’analogie catégorielle est transitive : si A et B d’une part, B et C d’autre part, sont dits analogues parce qu’ils possèdent les mêmes traits essentiels, alors A est analogue à C. La relation d’analogie circonstancielle n’est pas transitive : rien ne dit que si la description de A a des parties communes avec celle de B, et celle de B avec celle de C, alors la description de A et de C ont des parties communes. Khallâf reprend une analogie traditionnelle pour critiquer les chaînes analogiques en général :

[Quelqu’un] essaie de trouver, sur la plage, des coquillages qui se ressemblent. Dès qu’il a trouvé un coquillage qui ressemble à l’original, il jette ce dernier et se met à chercher un coquillage semblable au second, et ainsi de suite. Lorsqu’il aura trouvé le dixième, il ne sera pas surpris de constater qu’il est totalement différent du premier de la série.
Khallâf [1942], p. 89.


[1] Essais, traduits de l’allemand par Philippe Jaccottet, Paris, Le Seuil, 1984, p. 100. Cité dans Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l’analogie, Paris, Raisons d’agir, 1999, p. 21-22.