Archives de catégorie : Non classé

Silence

SILENCE

On peut distinguer deux statuts du silence en argumentation, selon qu’il est intentionnel ou non intentionnel.
— Silence non intentionnel :  absence d’information
Cette absence d’information peut être exploitée par un argument classique du silence (§1). Dans un texte juridique, le silence de la loi constitue une lacune (§2)
— Silence stratégique : choix du silence
“Silence” a ici son sens de base,  “ne rien dire”; ce silence est audible, qu’il s’agisse du silence de l’accusé (§4) ou du silence du participant ratifié à une discussion (§5)

Les médias  n’étant pas supposé inventer des faits, ils font normalement silence sur les faits qui n’existent pas ; leur silence sur un fait notoire attesté relève du silence stratégique (intentionnel) (§3).

1. Argument du silence du texte

L’argument du silence [1] est invoqué dans le cadre d’une recherche d’une personne ou d’un événement à travers un texte (ou un corpus de textes).

— On montre que le texte interrogé est cohérent et pertinent pour la recherche
— On montre que l’être / l’événement recherchés devrait logiquement y être mentionnés.
— Or le textes ne mentionnent pas cet être / cet événement.
— On conclut que l’événement lui-même n’a jamais eu lieu.

L’argument du silence dit que si les chroniqueurs ne mentionnent pas tel fait qui aurait dû attirer leur attention, c’est que ce fait ne s’est pas produit. Y a-t-il eu une tempête dévastatrice dans la région au cours d’une période donnée ? Les chroniqueurs, relèvent en principe tous les faits marquants de leur époque. Si un tel fait s’était produit,  ils  l’auraient mentionné (a fortiori, s’ils mentionnent des faits d’importance moindre). Or ils ne disent rien à ce sujet. Donc il n’y a pas eu de tempête dévastatrice pendant la période considérée
La valeur de l’argument dépend de la quantité, de la qualité et de la pertinence de la documentation consultée dont on dispose pour l’époque concernée. L’argument se renforce considérablement si on sait que les chroniqueurs notent régulièrement les événements atmosphériques.
Dans l’exemple suivant, l’argument du silence des historiographes a tout son poids :

Metz est peut-être la seule ville où les croisés n’aient pas trempé leurs mains dans le sang des Juifs. Louis le Jeune, partant pour la Palestine, y assembla son armée, et cependant, il n’est pas dit qu’ils y aient reçu aucun outrage. Le silence de l’Histoire à cet égard vaut une preuve positive, si l’on considère que Metz avait alors des historiographes.
Abbé Grégoire, Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs, 1789. [2]

L’argument du silence est explicitement invoqué. La prolepse « si l’on considère que Metz avait alors des historiographes » répond à l’objection possible “Mais y avait-il des historiographes à Metz à l’époque ?”.
Dans ce cas, c’est la lecture de l’interprète qui produit le silence dont il tire argument. Ce silence n’est pas « audible”, le texte n’a pas choisi de rester silencieux.

L’argument sur l’ignorance affirme que puisqu’on ne peut pas prouver P, alors je dois admettre que non P.
L’argument du silence affirme que si le texte ne parle pas de P, alors non P. Dans le premier cas, il s’agit de savoir, dans le second, d’information.

1.1 Objection à l’argument du silence

On objecte à l’argument du silence que si tel fait n’est pas mentionné, c’est peut-être parce qu’il est courant et sans intérêt pour le texte considéré.
On répond ainsi à l’argument du silence par l’argument du chameau : on ne parle pas de chameau dans le Coran. Donc il n’y avait pas de chameaux dans l’Arabie du VIIe siècle, ce qui est absurde. La réfutation est belle, mais on parle de chameaux dans le Coran.

Accord
Les chameaux et le Coran: Gagnier, Gibbon, Borges et les autres

Dans son principe, l’objection est valide, et elle serait sans doute mieux illustrée par l’exemple suivant :

Le livre L’histoire de Belgique pour les nuls ne parle pas de frites.
Donc, les Belges n’ont jamais connu les frites. [3]

L’argument du silence est un argument indirect, qui ne peut être utilisé que par défaut, en l’absence de preuves ou d’informations directes.

1.2 Argument du silence et datation des événements

Les historiens utilisent l’argument du silence pour établir la datation relative des événements historiques, par exemple la date de publication d’un texte.
Pour être mentionné dans un document, le texte a dû être publié : la date de la mention la plus ancienne de ce texte fixe la limite supérieure (terminus ad quem) de la période où il a été publié.
On peut parfois utiliser l’argument du silence. Marie de France a écrit les Lais (poèmes dont le thème est l’amour courtois) vers la fin du XIIe siècle. Peut-on préciser la date ? L’éditeur des Lais raisonne comme suit (d’après Rychner, 1978 [4:

1) « Pour dater plus précisément les Lais, on les situe par rapport aux autres œuvres de l’époque ».
2) Pour ce faire, Rychner s’appuie sur « un argument ex silentio, que l’on invoquera avec prudence, mais qu’il serait faux de négliger. »
3) « On ne relève chez Marie aucune trace certaine de la lecture de Chrétien de Troyes », auteur du roman courtois Eneas, publié en 1178.
4) « Or, j’ai peine à imaginer, pour ma part, que, l’ayant lu, elle eût pu rester si complètement elle-même et tellement différente de lui, dans son “écriture” comme dans son inspiration générale. »
5) Conclusion : les Lais doivent avoir été écrits avant 1178.

Le point 4. répond à l’objection “Mais Christine de Pisan n’était pas intéressée par Chrétien de Troyes”.

2. Argument du silence de la loi

Alors que le texte du commentateur évoqué au §1 était impeccable, le texte de la loi est dit lacunaire. L’argument du silence de la loi est avancé par un juge pour motiver un refus de juger tel acte, en arguant que le Code des lois ne contient aucun article qui lui soit applicable.
L’argument du silence est récusé par un méta-principe qui impose au tribunal l’obligation de juger, sous peine de commettre un déni de justice :

Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.
Dalloz, Prohibition du déni de justice.
[6]

L’institution répond donc à l’argument du silence de la loi par l’argument de la nécessité de l’interprétation, c’est-à-dire par l’obligation faite au juge de trouver dans le corpus de lois existant un article applicable au cas qui lui est soumis.

3. Silence des médias

Un texte informationnel est dit “silencieux” à propos d’un événement s’il ne le mentionne pas alors qu’il pourrait intéresser son lectorat. Ce silence peut être intentionnel ou stratégique.

 À propos d’une information reçue provenant d’une source quelconque :
Tiens ! Je n’ai rien vu sur X / Le journal n’en parle pas.

3.1 Silence non intentionnel

L’argument du silence des médias dit que telle chose — ce dont on parle, ce dont parle la rumeur —, n’a pas dû se produire puisque les médias n’en parlent pas.
C’est une variante de l’argument du silence classique. Les médias  n’étant pas supposés inventer des faits, ils font normalement silence sur les faits qui n’existent pas.
L’argument du silence fonctionne de façon routinière si l’événement est un fait divers ; les médias ne disent rien de l’agression qui a tant ému le voisinage parce qu’il n’y a jamais eu d’agression.
Mais pour savoir que les médias n’en parlent pas, il faut bien en avoir entendu parler. L’information sur la fausse agression apparaît lorsque la rumeur est démentie.

Dans le cas précédent, le silence de la loi correspond à une lacune de la loi. Ici, le silence des médias ne constitue pas une lacune de l’information.

3.2 Silence intentionnel

Mais si le fait est attesté et socialement ou politiquement exploitable, alors on déduit plutôt qu’il constitue une lacune suspecte dans l’information et que ce silence est une manipulation stratégique de l’information.

Les médias sont silencieux sur tel point
— Parce qu’ils sont censurés par leur actionnaire principal ; par le pouvoir en place
— Parce qu’ils sont des partenaires actifs du Système qui ne veut pas qu’on parle de ça ; ils entrent dans le vaste complot qui nous manipule et Satan conduit le bal.

Ce silence relève de la dissimulation, du mensonge par omission. Le silence est alors considéré comme un silence “assourdissant”, l’adjectif soulignant le fait que l’omission est intentionnelle. On entre alors dans le processus des dénégations et des démentis, et de leurs paradoxes.

4. Argument du silence de l’accusé et droit au silence

Appliqué au cas du prévenu interrogé qui refuse de répondre, l’adage courant “qui ne dit mot consent” pousse à interpréter le silence de l’accusé comme un aveu de culpabilité (V. Ignorance).
Cette inférence est bloquée par un principe légal, le droit de se taire, qui « découle du principe de présomption d’innocence », selon lequel c’est l’accusation qui doit prouver la culpabilité. [5]
Il s’ensuit que l’accusé n’a pas à collaborer à la recherche de la vérité, qu’il a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Dalloz, Droit de se taire [6])

5. Silence d’un participant ratifié

Dans une interaction argumentative où tous les participants ratifiés ont les mêmes droits à la parole, un participant peut néanmoins persister à garder le silence.
Ce silence pleinement audible par les autres participants peut être sans lien avec la discussion : (J’ai un énorme mal de tête) ou être un acte sémiotique intentionnel
— de rejet de la discussion :  J’en ai marre de ces débats
— de réfutation visant la question discutée, V. Tranquillité :

Je n’interviens pas parce que :
— Nous n’avons pas à / je ne veux pas discuter de cela ici, maintenant, avec toi…
— Tout cela est résolu de façon satisfaisante depuis longtemps.
— Mon opinion est faite, et je n’ai pas l’intention de revenir sur ce sujet.


[1] Lat. argument a silentio ou ex silentio, du latin silentio, “silence”. Ang. from silence.
[2] Abbé [Henri Jean-Baptiste] Grégoire, Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs. Préface de R. Badinter. Paris, Stock, 1989, note p. 179.
[3] Je dois cet exemple à Michel Goldberg, qui m’a signalé que le Dictionnaire (2016) reproduisait l’erreur traditionnelle des chameaux et du Coran.
[4] Jean Rychner, Introduction aux Lais de Marie de France, Paris, Champion, 1978, p. X-XI
[5]  https://actu.dalloz-etudiant.fr/focus-sur/article/le-droit-de-se-taire-en-droit-penal/h/1bc5e68a0f69dab55c8216f26a7de43d.html (15-10-21).
[6] https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/prohibition-du-deni-de-justice-le-juge-ne-peut-echapper-a-levaluation-du-dommage/h/aade02cd02164fc021451a46b67f768b.html (15-10-21)


 

Serment — Promesse

SERMENT

1. Promesse

La promesse est une obligation librement contractée de faire quelque chose dans le futur.
Dans le langage ordinaire, la promesse est un simple renforcement  du dire ;

Je viendrai => il m’a dit qu’il viendrait
Je te promets de venir => il m’a promis de venir.

SLa promesse reçue est une bonne raison pour l’interlocuteur de croire en sa réalisation (Walton, V. Typologie Contemporaines).

Si Pierre a dit / promis à Paul de passer vers 8 h, alors a l’obligation “d’y aller”. Cette obligation constitue à elle seule une bonne raison ; “On a promis d’y aller, on y va”.

Si Pierre a dit / promis à Paul de passer vers 8h, alors Paul a une bonne raison de croire que Pierre passera vers 8h, d’attendre Paul vers 8h, etc.

La promesse correspond au serment dit promissoire. Le serment purgatoire porte sur le passé et permet de se disculper d’une accusation, même hors de tout cadre juridique : “j’ai pas fait ça, je te jure / je te promets que je l’ai pas fait”.

2. Serment dans la rhétorique ancienne

Le serment dont il est question dans la rhétorique ancienne est le serment judiciaire, V. Preuves “techniques” et “non techniques”.
Prêté dans les formes requises devant le tribunal, il appelle les puissances surnaturelles à garantir la vérité de ce qui est affirmé sous serment. Il a en conséquence la valeur d’une preuve absolue ou décisoire, devant emporter la décision. Le faux serment appelle la colère des Dieux.
Le serment décisoire certifie la vérité d’une déclaration, comme l’ordalie certifie l’innocence d’une personne :

À l’origine, le serment probatoire et décisoire ne se distingue pas de l’ordalie ou jugement de Dieu : l’ordalie est un serment en action ; le serment, une ordalie en parole. (Ibid., p. 762, col.2)

Le serment certifie la véridicité du témoignage, qui est réservé aux citoyens. Le mot témoignage lui-même contient peut-être une trace du serment qui le fonde. Témoignage vient du latin testĭmōnǐum. Le mot latin testis est donné par Gaffiot comme homonyme entre “1. Témoin ; 2. Testicule”. Un lien entre les deux sens est peut-être fourni par le fait que le serment validant le témoignage aurait été accompagné d’un geste du témoin  sur ses testicules. La Genèse mentionne métonymiquement, un tel geste lors de la prestation de serment promissoire, mais sur la personne à qui on prête serment (ici, Abraham), non pas sur celle qui prête serment (ici, le serviteur) :

2 Abraham dit à son plus ancien serviteur, […] : « Mets ta main sous ma cuisse 3 et je vais te faire jurer au nom de l’Éternel, […] 9 Le serviteur mit sa main sous la cuisse de son seigneur Abraham et lui jura de se conformer à ces paroles. [1]

3. Serment, charge de la preuve et présomption d’innocence

Dans le droit ancien, toute la procédure judiciaire est sous le signe du serment. Le juge, les orateurs, les parties prêtent serment, les témoins sont liés par le serment prêté par leur partie :

Dans le droit primitif, le serment des parties et celui des témoins se confondent presque, parce que les témoins se déclarent toujours pour l’une ou l’autre partie. Ils ne déposent pas sur ce qu’ils savent ; ils manifestent leurs préférences. Ils le font ouvertement, solennellement. Parents ou amis, ce sont des partisans assermentés, des cojureurs. (Daremberg & Saglio, Jusjurandum, p. 765, col. 1)

Toutes les preuves apportées par la “technique rhétorique” sont développées sur ce fond de témoignages et de serments supposés constituer des preuves absolues et décider de l’issue du procès. Mais la force même du serment fait sa faiblesse : c’est un instrument trop puissant, que le droit a dû restreindre :

Les législateurs recherchèrent avec soin lequel des deux adversaires devait avoir un droit de préférence exclusive pour le serment ou, si on les faisait jurer tous les deux, lequel devait avoir un droit de priorité et être cru sur son serment. Le meilleur exemple de cette évolution est la loi de Gortyne. Le juge y doit juger d’après le serment de la partie dans des cas formellement déterminés lorsque la preuve ordinaire par témoignage est inapplicable ou insuffisante. Tantôt un seul des adversaires est obligé ou admis à prêter serment ; tantôt ils peuvent y être autorisés tous les deux, mais […] le plus souvent, le défendeur jure seul ou a l’avantage du serment privilégié. La règle, d’où l’on ne s’écarte que dans des circonstances spéciales, c’est encore la prestation du serment par le défendeur. (Ibid., p. 763, col. 1)

Le serment étant libératoire, chacune des parties serait sans doute heureuse de pouvoir prêter serment. Le juge doit donc arbitrer, c’est-à-dire déférer le serment, à la partie à laquelle il accorde de fait la possibilité de se disculper. En Grèce ancienne, le serment était déféré préférentiellement au défenseur, ce qui est une façon de lui accorder une présomption d’innocence, et de faire peser sur l’accusateur le poids de la charge de la preuve,

En déférant le serment au défenseur, le juge manifeste que l’accusateur n’a pas réussi à apporter la preuve incontestable de son accusation.
En pratique, le serment est déféré au défenseur pour suppléer à cette insuffisance des preuves apportées par l’accusateur. De décisoire, le serment devient simplement supplétoire.

Il s’ensuit que si la partie à qui le serment est déféré refuse de prêter serment, son refus sera considéré comme un aveu de culpabilité.

V. Force d’un argument


[1] Genèse 24, 2 et 24, 9, trad. Segond. https://saintebible.com/lsg/genesis/24.htm

 

 

Série, argumentations en –

Argumentations en SÉRIE

1. Définition

L’argumentation  en série est une argumentation où les conclusions obtenues sont immédiatement réutilisées comme arguments pour une nouvelle conclusion, jusqu’à une conclusion ultime. En logique, elle correspond au polysyllogisme, suite de syllogismes tel que la conclusion de l’un sert de prémisse au suivant. Il s’agit d’une forme particulière de sorite (“tas”).

L’argumentation en chaîne ou en série (ang. serial argumentation, Beardsley 1975, cité in Wreen 1999, p. 886) est également appelée argumentation subordonnée (subordinate argumentation, Eemeren et Grootendorst 1992). Elle est connue traditionnellement sous le nom de polysyllogisme ou de sorite.

L’argumentation en série se schématise comme suit :

Arg1 => Concl1 = Arg2 => Concl2 = Arg3 => … => Concln

Les argumentations élémentaires composant l’argumentation en série peuvent exploiter n’importe quel type d’argument, et avoir une structure d’argumentation simple, convergente ou liée.

Dans le cas d’une chaîne où chaque argumentation conclut par défaut, il y a un affaiblissement des conclusions au fur et à mesure que l’on tire de nouvelles conclusions sur la base des conclusions précédentes.  Dans ces séries, tout se passe comme si les poids des réfutations potentielles (Rebuttal, V. Modèle de Toulmin) allaient s’accumulant jusqu’à la rupture de la chaîne. C’est ce qui fait sans doute la principale faiblesse du raisonnement par défaut.

2. Argumentation en série et argumentation convergente

Certaines argumentations peuvent être représentées comme des argumentations en série ou des argumentations convergentes. L’exemple suivant est inspiré de Bassham (2003, p. 72) :

Pierre est têtu, c’est un Taureau, il ne saura pas négocier.

(I) Première reconstruction, une argumentation en série

Pierre est Taureau DONC il est têtu, DONC il ne saura pas négocier.
Pierre est têtu, (EN EFFET, PUISQUE…) c’est un taureau, il ne saura pas négocier.

(A) Première argumentation (1) Pierre est Taureau, DONC (2) il est têtu.

(A.i) : Définition technique de “être un Taureau” :
« [Le Taureau] reste sur ses positions sans accepter d’en changer » [1]

(A.ii) : Instanciation de la définition et conclusion :
« Pierre reste sur ses positions sans accepter d’en changer ».

(A.iii) : Définition lexicale de têtu : « B.1a Qui est obstinément attaché à ses opinions, à ses décisions ; qui est insensible aux raisons, aux arguments qu’on lui oppose. » (TLFi, Têtu)

(A.iv) : (A.i) et (A.iii) sont dans une relation de paraphrase.

(A.v) : Conclusion, par substitution du défini (têtu) à la définition, (2) Pierre est têtu.

(B) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, DONC (3) il ne saura pas négocier

(B.i) : Définition technique de négociation : « [La négociation] implique la confrontation d’intérêts incompatibles sur divers points (de négociation) que chaque interlocuteur va tenter de rendre compatibles par un jeu de concessions mutuelles » (Wikipedia, Conciliation, 20 – 09 – 2013).

(B.ii) : « Être têtu » (v. A.iii) et rentrer dans « un jeu de concessions mutuelles » sont des contraires.

(B.iii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(B.iv) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

On a donc affaire à une argumentation en série :

Arg1 => [Concl1 = Arg2] => Concl2

(II) Seconde reconstruction, deux arguments convergent vers la même conclusion

(C) Première argumentation, (1) Pierre est un Taureau, (3) il ne saura pas négocier

(C.i) : Les deux définitions techniques (A.i) et (B.i) sont en relation de contrariété.

(C.ii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(C.iii) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

ou bien :

(C.i’) : Définition technique : « le négociateur doit demeurer souple, calme, et faire preuve de sang-froid »[2]

(C.ii’) : « [la promptitude du Taureau] à accumuler aussi bien les sentiments et les rancunes le rend capable de fortes colères » [3]

(C.iii’) : (C.i’) et C.ii’) sont des contraires.

(C.iv’) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(C.v) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

(D) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, (3) il ne saura pas négocier :

(D.i) : (A.iii) et (B.i) sont des contraires, voir (B.ii).

(D.ii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(D.iii) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

On a maintenant affaire à deux argumentations convergentes, qui soutiennent la même conclusion :

On peut également penser que le second énoncé “Pierre est têtu” ne fait qu’expliciter le premier énoncé “Pierre est Taureau”, et qu’il n’y a finalement qu’un seul et même argument dans cette argumentation.


 

Sens vrai du mot

Argumentation sur le VRAI SENS du mot

Cette argumentation oppose à l’usage ordinaire d’un mot son vrai sens, défini comme son sens étymologique, le sens correspondant à l’analyse de sa structure ou le sens qu’on reconstruit à partir de son signifiant.

La question du sens d’un mot courant est largement résolue par l’autorité des dictionnaires de langue, celle d’un mot technique, par celle des dictionnaires spécialisés.
Des désaccords peuvent se manifester sur le “vrai sens” des mots ou des expressions qui jouent un rôle central dans le débat, et être formulés comme un défi porté à l’adversaire :

Qu’est-ce que ça veut dire “prestige” ?
Qu’est-ce que tu entends par “liberté” ?

On peut chercher alors le sens exact du mot ailleurs que dans son sens courant tel qu’il est ou en opposition avec lui. Chacune de ces sources du “vrai sens du mot” donne naissance à des argumentations spécifiques fondées sur :

— le sens étymologique ;
— le sens déduit de l’examen morphologique du mot ;
— le sens déduit du signifiant du mot ;
— le sens du mot correspondant dans une autre langue.

L’appel à ce genre de définition du sens du mot permet notamment de s’opposer à des discours qui utilisent le mot selon l’usage contemporain, et de produire une stase de définition.

1. Argument par l’étymologie

L’étiquette “argument par l’étymologie” correspond à différentes formes d’arguments, selon le sens que l’on donne à étymologie.
Dans certains textes modernes, sous l’intitulé « du lieu de l’étymologie » sont décrits des phénomènes qui se rattachent au lieu des dérivés (Dupleix [1607], p. 303).
Au sens contemporain, l’étymologie d’un terme correspond au sens le plus ancien du mot ou de la racine que l’on puisse identifier dans l’histoire de ce mot. L’argumentation par l’étymologie considère que ce sens ancien correspond au sens vrai et permanent de ce mot, qui a été altéré par l’évolution historique pour donner le sens contemporain, affaibli et fallacieux. À partir de ce sens ancien, elle procède comme l’argumentation par la définition :

Atome signifie insécable ; donc on ne peut pas diviser l’atome.
Démocratie signifie gouvernement par le peuple. Chez nous, le peuple ne gouverne pas, il vote. Nous ne sommes donc pas en démocratie.

Cette forme d’argumentation est soutenue elle-même par une argumentation par l’étymologie, puisque le mot étymologie calque le mot grec etumologia (ἐτυμολογία), « sens véritable ou primitif d’un mot » ; cf. etumegoria (ἐτυμηγορία) « action de dire la vérité », « discours vrai » (Pape) [1]

La connaissance de l’étymologie étant culturellement valorisée, l’argument par l’étymologie donne au locuteur une certaine posture éthotique de majesté et d’autorité savante. Il sert très bien la stratégie de destruction du discours “tu ne connais pas la langue que tu parles”, V. Destruction.

2. Argument sur la structure du mot

En latin, argument ex notatione, de notatio, qui peut signifier 1. « action de marquer d’un signe […] de désigner […] de noter », ainsi que 2. « étymologie » (Gaffiot [1934], Notatio).
Cicéron définit l’argument « ex notatione » dans les Topiques, (VIII, 35 ; p. 78), étiquette traduite par “argument par l’étymologie”. Cette traduction prend le mot étymologie au sens du mot en grec ancien, “vrai”, le “vrai” sens étant ici celui qui est reconstruit par l’analyse correcte du mot dans son domaine d’application.
L’un des exemples d’argumentation discutés par Cicéron traite d’un conflit d’interprétation d’un terme juridique composé (encore en usage actuellement), le postliminium, « droit de rentrer dans sa patrie » (Top., VIII, 36 ; p. 78), c’est-à-dire du droit qu’a un prisonnier rentrant dans sa patrie de récupérer ses biens et son état antérieur à sa captivité. La discussion de Cicéron porte sur l’établissement du sens correct du mot, en s’appuyant sur sa structure linguistique, sans allusion claire à son étymologie au sens historique du terme.

L’argumentation par la structure du mot est un moyen de sortir d’un conflit d’interprétation. Elle enchaîne deux argumentations :

— La première établit la signification du mot composé sur la base de la signification des termes qui le composent et de sa structure morphologique. Cette forme d’argumentation est pertinente pour tous les syntagmes figés ou semi-figés, dont le sens dépend plus ou moins de celui des termes qui les composent ; elle relève de la technique linguistique.

—La seconde exploite la “vraie” signification ainsi établie pour une certaine conclusion juridique, selon les mécanismes généraux de l’argumentation par la définition.

3. Argument sur le signifiant du mot

La définition d’un mot se fait principalement à partir de l’examen de ses usages ordinaires et scientifiques. Le lien signifiant-signifié est arbitraire, ce qui signifie que rien dans la forme signifiante (sonore ou graphique) du mot ne permet de déduire son signifié. Par exemple, on ne peut pas déduire le sens du mot à partir de l’examen des unités de première articulation (lettres, sons, syllabes) qui le composent. Par des argumentations et des méthodes différentes, le cratylisme et la Kabale soutiennent la position contraire.

Dans l’argumentation courante, un jeu de mot sur le signifiant d’un mot peut détruire radicalement le discours de l’adversaire, en forçant le changement du thème de la conversation. Par exemple, on peut jouer sur le fait que le mot imaginer a pour anagramme migraine :

Arrête d’imaginer, ça te donne la migraine.
Stressed, “stressé” a pour palindrome desserts. Le remède est écrit dans le nom du mal.
Je mange du sucre, c’est bon pour le stress” ; “je me demande pourquoi le sucre me calme”.

On considère que le sens “migraine” est inscrit dans le signifiant imaginer.
Les principes d’association sont très divers : anagramme, paronymie, rime, calembours…

Parisien, tête de chien : à ta place, je me méfierais.
Un tireur sans cible devient presque humain [2]

Le signifiant d’un mot-clé de l’argument se retrouve, ou trouve un écho, dans la conclusion, ce qui produit un effet d’analyticité, donc de vérité ou de validité. Le discours qui associe ces termes est auto-argumenté, il jouit d’une forme d’évidence. Il est difficile à réfuter dans son cadre ; il faudrait pour cela que la rétorsion se fasse sur la base d’un autre jeu de mot, valorisant, par exemple, l’acte d’imaginer ou le fait d’être parisien. Cette technique est très efficace pour déstabiliser (désorienter) le sens d’un discours.

4. Argument sur le sens du mot dans une autre langue

On peut aller chercher le vrai sens d’un mot dans d’autres langues, qui, pour des raisons diverses, sont considérées comme plus proche de “l’origine” ou de “l’essence des choses”, comme le chinois ou l’anglais. Par exemple, en français, les différents sens du mot crise se rattachent à deux composantes sémantiques :

I.− [L’accent est mis sur l’idée de manifestation brusque et intense de certains phénomènes, marquant une rupture] (…)
II.− [L’accent est mis sur l’idée de trouble, de difficulté]
 (TLFi, Crise)

À la recherche du vrai sens de “la crise que nous traversons” on peut appeler à la rescousse le mot chinois signifiant “crise” ; il est composé de deux signes-mots “danger” et “opportunité”. Donc les crises sont des opportunités ; et, par une argumentation fondée sur la définition chinoise, on en déduit que :

L’approche opportuniste de la crise prend alors, selon nous, tout son sens : ne pas tenter de saisir l’opportunité d’une crise, c’est laisser passer une chance, peut-être cachée, mais à portée de main.
Stéphane Saint Pol, Wei Ji, retour aux sources [3].

Tout se passe comme si la langue chinoise était considérée comme ayant un meilleur concept de crise, à la fois plus proche de l’essence de la chose et mieux adapté au monde moderne.


[1] https://outils.biblissima.fr/fr/eulexis-web/?lemma=&dict=Bailly
[2] http://cafet.1fr1.net/sequence-theatre-f28/comique-de-mots-les-calembours-t301-30.htm 20-09-2013)
[3] http://www.communication-sensible.com/articles/ article0151.php], (20 – 09 – 2013).


 

Sens strict

Argument du SENS STRICT

Le principe de l’application stricte interdit de restreindre ou d’élargir les dispositions de la loi ou du règlement ; elles doivent être interprétées littéralement, stricto sensu, à la lettre [1]. On peut y voir un cas particulier du principe “on n’interprète pas ce qui est clair”. V. Topique juridique.

Si l’âge légal du vote est de 18 ans, alors on ne peut pas interdire à quelqu’un de voter le jour de son anniversaire parce qu’il a “à peine” 18 ans, ni le lui permettre la veille de son anniversaire parce qu’il a “presque” 18 ans. Or :

il a presque 18 ans est linguistiquement co-orienté avec il a 18 ans ;
il a à peine 18 ans est linguistiquement co-orienté avec il n’a pas 18 ans.

Le principe d’interprétation stricto sensu annule ces co-orientations. La règle établit des seuils, et admet des effets de seuil alors que presque et à peine les effacent. V. Orientation ; Morphème argumentatif.

Le principe de la généralité de la loi pose que la loi doit être appliquée à tous les cas concrets qu’elle recouvre. Le principe du sens strict pose qu’elle doit être appliquée selon son sens évident à tous ces cas.

Sur l’opposition « stricto sensu” ou sens strict, sens littéral, ad litteram, ad orationem vs. “lato sensu” ou sens large, sens interprété, voir Argumentation fondée sur la Lettre du discours.


[1] Lat. arg. a ratione legis stricta ; stricta lege; stricto sensu, vs. lato sensu, “au sens large”.
Lat. ratio, “raison” ; lex, “loi” ; strictus, “serré, étroit” ; sensu “sens”.

Script argumentatif

SCRIPT ARGUMENTATIF

Dans une questions argumentative persistante, par exemple Faut-il légaliser la drogue ?  les arguments et les contre-arguments répétés tendent à se figer et à se constituer en répertoire dont les éléments deviennent les standards des débats orientés par cette question.

Certaines questions argumentatives peuvent se développer et se résorber lors brefs épisodes qui ne laissent aucune trace affective ou mémorielle, par exemple :

Quand pouvons-nous aller chez nos amis ?

D’autres questions, privées ou publiques, restent ouvertes et peuvent se développer sur plusieurs épisodes plus ou moins corrélés.

Où allons-nous construire notre nouvelle maison ?

Les questions politiques, philosophiques et sociales, prises en charge professionnellement, ont une durée de vie indéterminée :

Faut-il légaliser la consommation des drogues douces ?
Faut-il réviser la Constitution ?

Les ordinateurs peuvent-ils penser ? [1]
Les animaux ont-ils conscience d’eux-mêmes ?

De telles questions argumentatives ouvertes attirent les arguments, les contre-arguments et les réfutations. Ces ensembles se stabilisent en argumentaires et scripts argumentatifs, qui peuvent être représentés sous forme de cartes argumentatives.
Ces scripts sont à la disposition des acteurs prenant position sur cette question, que ce soit dans le rôle de proposant ou celui d’opposant.

1. Argumentaire et ligne argumentative

Le mot argumentaire est utilisé pour désigner les argumentations proposées par une partie : « argumentaire d’un parti politique, argumentaire de vente … » (Rey [1992], art. Argument, qui précise que le mot argumentaire est récent, 1960).

L’expression ligne argumentative peut être utilisée pour désigner un discours développant une série d’arguments co-orientés, ou l’ensemble des discours co-argumentés par différents locuteurs alliés au cours d’un débat.

2. Script

Le script argumentatif attaché à une question est constitué par l’ensemble des arguments et des réfutations standards mobilisés par l’une ou l’autre partie lorsque la question est débattue. Le script correspond à la conjonction des argumentaires des parties en présence.
Il peut varier avec le site argumentatif, en particulier selon qu’il s’agit d’un site privé ou public.

Le script argumentatif se développe avec l’état de la question argumentative. Il est susceptible d’être actualisé un nombre de fois indéterminé, sur une grande variété de sites. Il préexiste et informe les discours argumentatifs concrets, dont il constitue un élément déterminant, mais non unique. Il recueille les arguments sur le fond de la question, de façon relativement indépendante des circonstances spécifiques aux rencontres particulières. Il peut cependant inclure des caractéristiques génériques des intervenants dans le débat et des considérations sur les conditions dans lesquelles il se déroule.

L’argument “la sécurité sociale est en crise” fait partie de l’argumentaire anti-immigration ; sa réfutation “vous manquez de générosité/ soyons généreux” relève de l’argumentaire pro-immigration. Les deux font partie du script de la même question. Un argument visant la personne, comme “et c’est vous qui portez des diamants qui osez nous parler de la crise de la sécurité sociale !” ne fait pas partie du script, l’interlocuteur ne portant pas forcément de diamants. Mais les types d’attaque sur la personne attachés à une question figurent dans le script.

Script et invention

La notion de script modifie traditionnelle selon laquelle les arguments sont “inventés”, c’est-à-dire produits spontanément par le locuteur. Ils peuvent l’être dans certains cas, mais ils ne le sont pas forcément dans l’argumentation socio-politique, en philosophie, et dans toutes les disciplines ouvertes où il existe un état de la question. Dans ces domaines, le stock structuré d’arguments de base n’est pas trouvé mais hérité, fourni “clés en main”. La créativité argumentative s’exerce sur cette base d’un tel script ouvert.

Le travail du locuteur consiste à prendre connaissance du script qui correspond à la question à laquelle il est confronté, puis à jouer sa partition, c’est-à-dire à sélectionner, mettre en parole, actualiser et amplifier les différents éléments de l’argumentaire auquel il s’intéresse, autrement dit à effectuer un parcours sur le script, et si possible, à l’augmenter.
Ce fait a des répercussions sur l’éducation à l’argumentation. Il valorise l’information préalable à la discussion, ainsi que les capacités d’expression et de style de l’argumentateur.


[1] Une fraction du script correspondant à cette question est disponible à l’adresse http:// web.stanford.edu/~rhorn/a/topic/phil/artclISSAFigure1.pdf] (29-09-2013).


 

Schématisation en Logique Naturelle

SCHÉMATISATION en “Logique Naturelle”

Grize définit l’argumentation comme une “logique naturelle”. L’objet de cette logique est l’étude des processus de pensée dont le discours nous fournit les traces. Ces processus cognitifs obéissent à des mécanismes spécifiques, que la logique naturelle se propose de représenter au moyen des concepts de schématisation et d’organisation raisonnée.

« Schéma » a ici un sens totalement différent de « schéma d’argument », notion qui correspond à une « organisation raisonnée » dans le vocabulaire de Grize. L’organisation raisonnée est un phénomène de second niveau, celui de la combinaison des énoncés, tandis que la schématisation est un phénomène de premier niveau, celui de la production de l’énoncé.

Donner à voir : la notion d’éclairage

Le locuteur construit, « aménage » (ibid., p. 35) une signification synthétique, cohérente, stable, « de ce dont il s’agit » (1990, p. 29). Son discours présente à l’interlocuteur un « micro-univers » se donnant pour « un reflet exact de la réalité » (ibid., p. 36) : les schématisations sont la contrepartie cognitive des constructions langagières.

Selon la métaphore favorite de Grize, celle de l’éclairage, argumenter, c’est montrer à un auditoire une situation telle qu’elle est « éclairée » par le discours de l’orateur. Les schématisations ont pour fonction « de faire voir quelque chose à quelqu’un » (1996, p. 50) :

schématiser […] est un acte sémiotique : c’est donner à voir. (Ibid., p. 37).

La notion d’éclairage peut rappeler la notion de « présence » proposée par Perelman & Olbrechts-Tyteca ([1958], p. 154 sv.). Mais toutes les opérations de construction du discours deviennent chez Grize « des techniques argumentatives ».

Ces images sont la source de la persuasion :

Agir sur [l’interlocuteur], c’est chercher à modifier les diverses représentations qu’on lui prête, en mettant en évidence certains aspects des choses, en en occultant d’autres, en en proposant de nouvelles, et tout cela à l’aide d’une schématisation appropriée.
Grize 1990, p. 40 ; je souligne

On voit que, dans la perspective de Grize, une argumentation n’est pas nécessairement un ensemble d’énoncés organisés selon un schéma modèle comme celui de Toulmin ; la capacité persuasive d’un texte et sa rationalité ne sont pas liées liées à certains types de discours, ni à l’utilisation de telle et telle technique discursive, ou schème d’argumentation. La critique d’une représentation ne peut être qu’une autre représentation concurrente. La rationalité au sens où on l’entend dans les études d’argumentation n’a pas vraiment de place dans ce modèle.

Tout énoncé, toute succession cohérente d’énoncés, qu’elle soit traditionnellement considérée comme descriptive, narrative, explicative ou argumentative, est, de fait, argumentative, dans la mesure où elle construit un schéma de la réalité qu’elle traite.

La notion de schématisation par la parole des objets et des situations est d’un grand intérêt pour l’étude de l’argumentation, et on le voit de façon particulièrement claire dans les épisodes de confrontation discours / contre-discours. L’échange suivant provient d’un dialogue à propos du remplacement des personnels grévistes. Si les grévistes sont remplacés, alors la grève perd son moyen d’action essentiel, qui est de faire pression sur les usagers et les responsables de l’institution (ici une institution étatique disposant de l’argent des contribuables).
Le changement d’éclairage se fait ici par un changement du mode de désignation des sommes en cause.

L1 : — Ces remplaçants, vous allez les payer avec l’argent des grévistes !
L2 : — C’est pas l’argent des grévistes, c’est l’argent des contribuables !

L1 considère que faire servir “l’argent des grévistes” pour combattre leur propre grève est une indignité. L2 redéfinit les sommes employées comme “l’agent des contribuables”, qu’il est normal d’employer pour assurer le bon fonctionnement du service public, donc pour payer des remplaçants.

Cette conception aboutit à reconsidérer toute information comme argumentative.
V. Argumentation (1): Définitions; Argumentation (2): Carrefours et positions.

Ce concept d’argumentation sous-tendant description, narration ou explication évoque notamment la vision de l’argumentation comme “storytelling” et “image drawing” représentant un monde de façon globale, cohérente et possiblement très détaillée.

Cette approche peut être réconfortante pour les étudiants découragés par la difficulté de donner un compte rendu dense de textes ou d’interactions en termes de schémas d’argumentation, même lorsque ceux-ci sont complétés par un vaste répertoire de figures de style, V. Objet de discours.

2. Opérations construisant les schématisations

La logique naturelle postule l’existence de « notions primitives », de nature pré-langagière (Grize 1996, p. 82), liées à la fois à la culture et à l’activité des sujets parlants. Ces notions correspondent aux « préconstruits culturels », aux idées reçues et au pré-jugé (sans connotations péjoratives). La langue « [sémantise] » ces notions primitives pour en faire « [des] objet[s] de pensée » associés aux mots (Grize 1996, p. 83).
Les schématisations s’ancrent dans ces « notions primitives » (ibid., p. 67) et se construisent par une série d’opérations. Le petit texte :

Il est regrettable que le bord de l’image soit tout à fait flou, et cela doit être corrigé

est construit, à partir des notions primitives associées à image et à flou, notées /flou/ et /image/, par la succession d’opérations suivantes.

(i) Opération de constitution des notions primitives en objets de discours ou classes-objets, que le discours va enrichir d’éléments liés culturellement ou linguistiquement à l’élément de base de la classe-objet (1982, p. 227). La classe-objet correspond au faisceau d’objet pour un texte donné (1990, p. 86-87). Le texte construit la classe-objet (image, bord de l’image), ainsi que le couple prédicatif (être flou, ne pas être flou).

(ii) Opérations de caractérisation, qui produisent des « contenus de jugements » ou prédications, et sont accompagnées de modalisations, opérées sur les classes-objets. Le contenu de jugement correspondant est “[que le bord de l’image] [être] tout à fait flou”. Ce contenu de jugement pourra être ensuite asserté ou nié.

(iii) Opérations d’énonciation, le contenu de la prédication est pris en charge par un sujet et produit un énoncé. Ici : “il est regrettable que le bord de l’image soit tout à fait flou”.

(iv) Opération de configuration, ou de liaison de plusieurs énoncés, au niveau de l’enchaînement discursif. L’opération d’étayage est une opération de configuration particulière. L’énoncé  (iii)  est coordonné par et avec un second énoncé, produit selon un mécanisme similaire, “cela doit être corrigé”.

Les objets ainsi schématisés vont évoluer au fil du discours. Les opérations dites de « configuration », c’est-à-dire de composition d’énoncés où la tradition voit l’essence logique de l’argumentation, interviennent en dernier lieu (1990, p. 66). Le grand intérêt de cette approche est de souligner que toutes les opérations que l’on peut distinguer dans la production de l’énoncé ont également valeur argumentative. L’argumentation est autant une affaire de construction de l’énoncé que d’enchaînement des énoncés.

Ces différentes opérations du langage ou de l’esprit peuvent être mises en relation avec des notions de logique classique :

(i) L’opération de constitution des notions primitives en objets de discours construit des termes et des prédicats.
(ii) L’opération de caractérisation produit des contenus propositionnels non assertées.
(iii) L’opération d’énonciation correspond à l’assertion.
(iv) L’opération de configuration correspond à l’insertion de l’énoncé dans un discours.

3. Opérations d’étayage

La notion d’étayage, développée en logique naturelle, est définie comme

Une fonction discursive consistant, pour un segment de discours donné (dont la dimension peut varier de l’énoncé simple à un groupe d’énoncés présentant une certaine homogénéité fonctionnelle), à accréditer, rendre plus vraisemblable, renforcer, etc. le contenu asserté dans un autre segment du même discours. (Apothéloz & Miéville 1989, p. 70)

Avec cette notion, la logique naturelle rejoint les problématiques de l’argumentation comme composition d’énoncés, un ou des énoncé-argument soutenant un énoncé-conclusion, V. Argumentation : Définitions

Pour désigner le résultat du processus d’étayage, la logique naturelle emploie le terme d’organisation raisonnée :

De nombreux énoncés ne servent en fait qu’à appuyer, à étayer l’information donnée. Ceci relève de l’ordre général de l’argumentation et permet d’envisager des blocs plus ou moins étendus de séquences discursives comme des organisations raisonnées. (Grize 1990, p. 120)

L’étude des organisations raisonnées est un instrument pour l’étude des représentations, définies comme « un réseau de contenus articulés entre eux » (Grize 1990, p. 119-120).
Grize parle de représentation pour focaliser sur le contenu cognitif du discours argumentatif.

Pour la logique naturelle, ce qui est raisonné ne se limite pas à la combinaison d’énoncés, mais inclut tout le processus dynamique de production et de structuration de l’énoncé, qu’il soit argument ou conclusion.

4. Schématisation et situation de communication

Les schématisations sont construites en dépendance de la situation de communication. Elles sont le produit de « l’activité de discours [qui] sert à construire des objets de pensée » (1990, p. 22) ; en cela elles relèvent d’une logique des objets, ces objets entrant dans un dialogue où ils « [servent] de référents communs aux interlocuteurs » (ibid.). En tant que logique des sujets, la logique naturelle envisage une relation d’interlocution strictement analogue à celle de l’adresse rhétorique. Elle est « de nature essentiellement dialogique » (1990, p. 21) :

J’entends par là non l’entrelacs de deux discours, mais la production d’un discours à deux : celle d’un locuteur (orateur) […] en présence d’un locuté (auditeur) […]. Il est vrai que, dans la quasi-totalité des textes examinés, [l’auditeur] reste virtuel. Cela ne change toutefois rien au problème de fond : [l’orateur] construit son discours en fonction des représentations qu’il a de son auditeur. Simplement, si [l’auditeur] est présent, il peut effectivement dire “Je ne suis pas d’accord’” ou “Je ne comprends pas”. Mais si l’auditeur est absent, [l’orateur] doit bel et bien anticiper ses refus et ses incompréhensions. (1982, p. 30)

Les schématisations sont construites en situation d’interlocution, selon le modèle suivant (Grize 1990, p. 29) :

A = Locuteur ; B = Interlocuteur ; T = Thème ;
PCC = Préconstruits culturels Im(A),
Im(T), Im(B) = Image de A, du Thème, de B

Im(A), Im (T), Im(B) : le locuteur construit dans son discours son image, celle de son interlocuteur et celle de la situation. Il y a une construction stratégique de tous les « objets de discours », pour reprendre la terminologie de Grize : images de l’opposant, du juge, du public, du suspect, des témoins, de tous les protagonistes de la cause. La thématique de l’éthos correspond à celle de la « schématisation de soi » et des autres partenaires de l’interaction.
Ce schéma est profondément rhétorique, mais avec un renoncement à la persuasion, au profit de la monstration :

L’orateur ne fait jamais que construire une schématisation devant son auditoire sans la lui “transmettre” à proprement parler. (1982, p. 30).

Les modes d’interaction entre les schématisations respectives des participants restent à déterminer.

5. Logique, Logique naturelle, Logique substantielle et Argumentation dans la langue

Grize définit la logique naturelle par opposition à la logique formelle :

À côté d’une logique de la forme, d’une logique formelle, il est possible d’envisager une “logique des contenus”, c’est-à-dire une logique qui se préoccupe des procédés de pensée qui permettent d’élaborer des contenus et de les relier les uns aux autres. La logique formelle à base de propositions rend compte des relations entre concepts, la logique naturelle se propose, elle, de mettre en évidence la façon dont se construisent les notions et les liens qui les unissent. (Grize 1996, p. 80)

La notion de « logique des contenus » peut rappeler la « substantial logic » du modèle de Toulmin. Mais, à la différence de Toulmin qui caractérise l’argumentation par un agencement d’énoncés sur la structure interne desquels il ne s’interroge que secondairement, Grize travaille en priorité sur les opérations de production de l’énoncé lui-même.

Comme la théorie de l’argumentation dans la langue, la logique naturelle généralise l’argumentation, mais, alors que l’argumentation dans la langue généralise l’argumentation sur des caractéristiques de langue, la logique naturelle généralise sur des caractéristiques de discours : la logique naturelle est une théorie généralisée de l’argumentation qui fait confiance au discours.

La théorie de l’argumentation dans la langue s’attache à dégager des faits de langue, la logique naturelle est une logique du discours, applicable à n’importe quel discours. Dans la première, les faits langagiers sont appréhendés dans leur rapport à la théorie. La seconde s’intéresse immédiatement à des cas dont il s’agit de dégager la schématisation qu’ils opèrent.
La notion de schématisation a la même valeur fondatrice pour la logique naturelle que la notion d’orientation pour l’argumentation dans la langue, mais, alors que l’argumentation dans la langue généralise l’argumentation sur des caractéristiques de langue, la logique naturelle généralise sur des caractéristiques de discours : la logique naturelle est une théorie généralisée de l’argumentation qui fait confiance au discours.


 

Schéma – Schème – Schématisation

SCHÈME, SCHÉMA, SCHÉMATISATION

1. Schéma ou schème

On parle de schéma de l’argumentation en général pour désigner une représentation graphique de la structure (des traits essentiels et de leurs relations) d’une argumentation, simple ou complexe : V. Modèle de Toulmin ; Épichérème ; Convergence – Liaison – Série.

La structure (schème ou schéma) d’une interaction ou d’un texte argumentatif correspond à l’ordonnancement des informations, arguments, conclusions, concessions et réfutations dans cet événement discursif particulier tel qu’il apparaît au terme de l’opération de balisage du texte qui lui correspond.

2. Schème

— L’expression schème d’argument [argument scheme] est synonyme de type d’argument, et de topos (inférentiel).

— Le schème logique d’une argumentation particulière correspond à la traduction sous forme d’une inférence ou d’une déduction en langage logique d’une argumentation produite en langue naturelle, V. Logique.

— Le schème retraçant la structure d’une question argumentative particulière se représente sous la forme d’une carte argumentative, représentant les articulations des différents niveaux de questions dérivées à la question principale, V. Script.

3. “Schématisation”

La logique naturelle utilise schématiser et schématisation comme un terme technique pour désigner le produit de la mise en discours d’une situation par un sujet parlant.

En général, schématiser désigne l’action et schématisation le processus et le résultat des opérations par lesquelles on établit un schéma (ou schème).


 

Rire – Sérieux

RIRE et SÉRIEUX

Le rire et la plaisanterie sont considérés comme des coup bas fallacieux par l’argumentation sérieuse. Cependant, dans une situation d’oppression, le rire ironique est peut-être la dernière ressource de ceux qui n’ont pas d’autre moyen de faire valoir leur parole.

Le rire et le sérieux sont l’expression de deux états psychiques antagonistes. Le rire, comme la joie, exprime, en principe, une émotion positive. Il s’oppose aux larmes, mais aussi au sérieux, du côté du calme, V. Émotion, Éthos.
Le rire est du côté de la rhétorique et le sérieux du côté de l’argumentation. Dans une situation argumentative dialogale, rire et sérieux correspondent à des stratégies de positionnement de la parole : si l’autre rit et plaisante, on répond par un discours sérieux et objectif ; à un discours austère et technique, on répond par un sourire et une plaisanterie que tout le monde peut comprendre.

1. Amuser le public, ridiculiser l’opposant

La liste que donne Hamblin des fallacies standard en ad contient deux formes qui font allusion au rire, les fallacies ad ludicrum et ad captandum vulgus (1970, p. 41).

— Ad ludicrum : le substantif latin ludicrum signifie “ jeu ; spectacle” ; Hamblin traduit par “dramatics”.
— Ad captandum vulgus (latin vulgus, “le public, la populace” ; de captare “chercher à saisir, tâcher de gagner par insinuation”). Hamblin traduit par “playing to the gallery” ou “playing to the crowd”, qui se disent d’un acteur dont le jeu démagogique fait appel aux goûts populaires ; il “joue le public” et non pas la pièce. La désignation de l’argument étend analogiquement cette façon de faire de l’acteur à l’orateur qui amuse la galerie.

Le locuteur tente de mettre les rieurs de son côté et son opposant rejette avec indignation l’histrionisme discursif. La critique touche toutes les formes de théâtralisation du discours, qui n’épargnent aucune forme d’adresse à un public, même scientifique, lorsque l’exposé est transformé en spectacle et cherche avant tout à accrocher le public.
Dans l’Euthydème, Platon met en scène des sophistes donnant de tels spectacles, V. Sophisme.

Dans le même esprit, la septième règle de Hedge interdit de faire rire aux dépens de l’adversaire :

Toute tentative pour […] affaiblir la force [du raisonnement d’un adversaire] par l’humour, la chicane ou en le tournant en ridicule [by wit, caviling, or ridicule] est une violation des règles de la controverse honorable. (1838, p. 162)

Hamblin (ibid.) mentionne l’argument ad ridiculum (lat. ridiculum, “ridicule”). Au sens strict, c’est un type de réfutation par l’absurde, qui réfute la proposition avancée en montrant qu’elle a des conséquences inacceptables, contre-intuitives, amorales… en bref, absurdes et ridicules, et le ridicule de la proposition se transfère à celui qui propose.
Le ridicule n’est pas forcément comique et le rire accompagnant la réfutation par le ridicule est sarcastique, et non pas joyeux comme celui que s’efforce de stimuler l’amuseur public.

2. Humour et destruction du discours

Au-delà de la réfutation, le rire et l’humour permettent, de désorienter et de détruire un discours. L’ironie permet de réfuter un énoncé en le répétant dans une situation qui le rend de toute évidence insoutenable.
Certains moyens de pression discursifs ou para-discursifs comme la répétition, le slogan, le logo, ne s’expriment pas sous une forme propositionnelle “argument, conclusion”, ni dans un format communicationnel ouvert à l’échange, donc à la réfutation. L’humour, les jeux de mots comme ceux que permet la paronymie, permettent de réorienter voire de détruire ce genre de discours en feignant de rester dans leur cadre et de simplement développer leurs suggestions.
On retrouve de telles manœuvres lorsqu’il s’agit de réfuter une métaphore. La métaphore amenée à une analogie, la métaphore est accessible à la réfutation ; elle peut également être contrée ironiquement dans son propre cadre, V. Métaphore §4.1.

L’ouvrage de Lucie Olbrechts-Tyteca Le comique du discours (1974) est consacré à l’exploitation comique des mécanismes argumentatifs.


 

Richesse – Pauvreté, arg. de la –

Arg. de la RICHESSE – Arg de la PAUVRETÉ

Les riches ont raison, la preuve, ils sont riches : les pauvres, les opprimés ont raison, Qui n’a pas d’argent n’a pas de vices. Ces deux formes d’argumentations, au fond similaires, sont courantes.

Richesse et pauvreté sont deux sources d’autorité, au sens où on peut donner un poids spécial à la parole du riche parce qu’il est riche, comme à celle du pauvre parce qu’il est pauvre. Le Riche et le Pauvre sont alors crus sur parole. Cette forme d’autorité peut être exploitée par un locuteur, qui valide sa position en la mettant dans la bouche d’un riche ou d’un pauvre, V. Autorité ; Invention.

1. Argument de la richesse

L’argument de la richesse est sous-tendu par le principe général : « les riches ont raison, la preuve, ils sont riches” (IEP, art. Fallacies).

Ils sont riches donc ce qu’ils disent est vrai : leurs décisions financières sont les meilleures ; leurs avis sont autorisés ; leurs goûts artistiques sont remarquables, comme le prouve la valeur de leurs collections — je vote pour eux !

Les riches disent, font P, donc P, je fais P.
Un jour, je serai riche, alors je prends juste un peu d’avance, je dis, je pense, je fais, je vote comme les riches

Cet argument s’étend aux classes supérieures, aux classes dirigeantes, aux élites, aux professions les plus prestigieuses et lucratives, etc. Il est vulnérable au discours ad populum, contre les riches et contre les élites.

2. Argument de la pauvreté

La forme symétrique de l’argument de la richesse est l’argument qui valide un dire par l’autorité tirée de la pauvreté, “les pauvres ont raison”.

Le pauvre est bon et authentique, parce que celui qui n’a pas d’argent n’a pas de vices.
 Ce qu’il dit est vrai ; son opinion doit être prise en compte ; ses goûts artistiques sont authentiques.

Les pauvres disent, font, pensent  P, donc P, je fais P

Cet argument s’étend aux classes exploitées,  aux « gens de peu”, aux défavorisés, aux “premiers de corvée”, etc.
La parabole rapportée dans Luc 16, 20-23) [1] onne définitivement raison au pauvre contre le riche, car le pauvre ira au paradis, « dans le sein d’Abraham », tandis que le riche est en enfer, « en proie aux tourments ».

20 Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d’ulcères,
21 et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche; et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères.
22 Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli.
23 Dans le séjour des morts, il leva les yeux ; et, tandis qu’il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein.
24 Il s’écria : Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau et me rafraîchisse la langue ; car je souffre cruellement dans cette flamme.
25 Abraham répondit : Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres. […]

On utilise parfois l’expression latine “argument ad Lazarum” pour renvoyer à cette justification finale, Lazare étant considéré comme le parangon du malheur et de la pauvreté. Cette parabole fait des pauvres les personnes véridiques par excellence, celles qui non seulement disent vrai, mais vivent dans le vrai.

L’adage vox populi vox dei, la voix du peuple est la voix de Dieu”, qui sous-tend l’argument ad populum prend sa garantie autant dans l’argument de la pauvreté que dans celui du nombre.

Les arguments de la richesse et de la pauvreté n’ont rien à voir avec l’argument du portefeuille (appeal to money), vu comme une forme d’argumentation par le châtiment et la récompense, V. Menace.


[1] Bible Louis Segond. https://www.biblegateway.com/passage/?search=Luc%2016%3A20-31&version=LSG