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Rhétorique argumentative classique

RHÉTORIQUE ARGUMENTATIVE CLASSIQUE

 

La rhétorique argumentative classique a pour objet le discours rhétorique (angl. public address) c’est-à-dire le discours dans son acception traditionnelle. C’est un discours délivré face à un auditoire, par un orateur qui, dans un contexte de compétition discursive, défend une position sur une question argumentative dont le traitement est l’objet de la réunion. Cette première théorie détaillée de l’argumentation a connu une fortune pédagogique et éducative extraordinaire en Occident.

La rhétorique argumentative classique est une technique (Lausberg, §1-11), qui part de la compétence naturelle de parole et la développe en l’orientant vers les pratiques langagières institutionnelles. Elle combine des capacités énonciatives et interactionnelles.

La rhétorique argumentative classique a pour objet le discours rhétorique (angl. public address) c’est-à-dire le discours dans son acception traditionnelle, soit « ce qui, dit en public, traite d’un sujet avec une certaine méthode et une certaine longueur » (Littré, art. Discours). Cette notion rhétorique de discours n’a rien à voir avec le discours tel qu’il est défini par Foucauld (1969, 1971) ou Pêcheux (Maldidier, 1990). Le discours rhétorique ne figure pas parmi les six acceptions du mot discours retenues par Maingueneau dans le cadre de l’analyse du discours (1976, p. 11-12).

Une adresse rhétorique est un discours ayant les caractéristiques principales suivantes.

— C’est un discours oral, s’inscrivant dans le cadre d’un débat public à propos d’une question d’intérêt général.
— C’est un discours monolocuteur, relativement long, planifié, composé d’un ensemble d’actes de discours construisant une représentation motivée de la situation en vue d’une action.
— Il est prononcé par un orateur, dans une situation de prise de décision urgente ou supposée telle.
— L’orateur développe une proposition concrète devant un auditoire ayant un pouvoir de décision ou d’influence sur la question traitée.
— Il prétend s’imposer dans un contexte de compétition discursive entre différents discours d’opposants, porteurs de propositions incompatibles. Dans cet espace peuplé de discours contradictoires, toutes les interventions sont reçues et interprétées en fonction les unes des autres ; même si l’orateur cherche à effacer toute trace des contre-discours qui le cernent, son discours est néanmoins structuré “en creux” par ces contre-discours.
— L’auditoire est composé d’indécis et de partisans décidés de l’une ou l’autre proposition. L’orateur doit simultanément persuader les indécis (éliminer le doute), renforcer les certitudes de ses partisans, et “enfoncer” les opposants.

La rhétorique argumentative a décrit, codifié et stimulé cette pratique communicationnelle. Ses conditions d’exercice ont été transformées par le monde de la radio, de la télévision et de la communication électronique ; son objet théorique, la circulation de la parole dans un groupe, décisionnel ou non, où circulent des discours contradictoires, reste bien défini.

1. Le « catéchisme »

Depuis l’antiquité, la rhétorique argumentative a constitué  la colonne vertébrale de l’enseignement humaniste dans le monde occidental jusqu’à l’époque moderne (Curtius 1948).
Au Moyen Âge, l’argumentation rhétorique est un des trois arts de la parole constituant le trivium (grammaire, logique, rhétorique), propédeutique au quadrivium (géométrie, arithmétique, astronomie, musique).

La rhétorique se donne une autoreprésentation normalisant aussi bien le procès de production du discours que son produit, le discours prononcé.

— Cinq moments de la production du discours, invention, disposition, élocution, mémorisation, prononciation.
— Trois types de discours, délibératif, épidictique, judiciaire.
— Trois actants : l’interaction rhétorique est tripolaire, elle rassemble « l’orateur qui veut persuader, l’interlocuteur qu’il doit persuader, et son contradicteur qu’il doit réfuter » (Fumaroli 1980, p. iii), V. Rôles
— Trois types de preuves correspondant à trois types d’action co-orientées sur le public : l’orateur cherche à plaire par son éthos, l’image de lui-même qu’il projette dans son discours ; à informer, enseigner par son logos, par la logique de ses descriptions, de ses narrations et de son argumentation ; à émouvoir, par son pathos.

Traditionnellement, les actes visant à produire ces effets sont concentrés dans les moments stratégiques du discours. L’introduction est le moment éthotique, l’orateur capte l’attention de l’auditoire. La narration et l’argumentation sont les lieux du logos, elles informent et argumentent ; la conclusion ferme le discours sur une envolée pathémique, par laquelle l’orateur espère arracher la décision.

Cicéron a disposé les concepts de la rhétorique ancienne sous une forme question-réponse dans les Divisions de l’art oratoire, dont la forme est  « toute semblable à un catéchisme » (Bornecque (Introd. à Cicéron, Div., p. VII). La rhétorique a peut-être souffert de sa mise en système, prétendument pédagogique, sous forme de listes rigides énumérant des distinctions supposées claires et distinctes : la rhétorique de la présentation de la rhétorique est singulièrement figée.

1.1 Ordonnancement procédural

Le procès de construction du discours rhétorique argumentatif comporte traditionnellement cinq étapes.

Invention (inventio) — C’est l’étape cognitive de l’argumentation :

L’invention consiste à trouver les arguments vrais ou vraisemblables propres à rendre la cause convaincante (À Her., i, 3 ; p. 3).

Le mot latin inventio ne signifie pas “inventer” au sens moderne de “créer” quelque chose qui n’existait pas auparavant. Le sens est celui de « trouver, découvrir » (Gaffiot [1934], Inventio), V. invention. Le sens ancien subsiste dans l’expression juridique qui désigne comme “l’inventeur d’un trésor” celui qui l’a découvert.
L’argumentation religieuse a introduit un changement fondamental dans la technique de production des arguments en les tirant non plus d’une ontologie linguistique mais du texte sacré fondationnel et, à un degré moindre, des textes de la tradition : le prédicateur médiéval utilisait des encyclopédies. C’est une méthode de travail peut-être plus moderne, en tout cas complémentaire de celle qui consiste à rechercher des arguments dans le fonds commun de l’esprit humain, V. Subjectivité ; Topos; ; Typologies ; Script. Les recherches en psycholinguistique et en sciences cognitives ont pris le relais de la réflexion rhétorique sur la production du discours écrit et oral.

— Disposition (dispositio)

La disposition ordonne et répartit les arguments. (À Her., ibid.).

La détermination de l’ordre dans lequel les arguments seront présentés à l’auditoire est le moment de la planification du discours.
Ces deux premières étapes, inventio et dispositio, sont d’ordre linguistico-cognitif.

— Expression (elocutio

Le style adapte, à ce que l’invention fournit, des mots et des phrases appropriées. (À Her., ibid.)

Le terme “style” utilisé dans la traduction risque d’évoquer un arrangement ornemental superficiel de l’expression. L’elocutio est plus que cela, elle correspond à la mise en langue des arguments, à leur sémantisation, correspondant à la totalité de l’expression linguistique aboutissant au discours.
L’elocutio est caractérisée par quatre qualités, la correction grammaticale (latinitas), la clarté du message pour les interlocuteurs (perspicuitas), l’adaptation du message aux circonstances sociales de l’adresse (aptum), et enfin la force de son langage et de son style (ornatus).

Le mot latin elocutio et le mot français contemporain élocution sont des faux amis. L’élocution correspond à la qualité de la voix, ce qui la rattache à l’action oratoire (pronuntiatio).

— Mémorisation (memoria)
Le discours doit être mémorisé puisqu’il est supposé être délivré oralement, sans le support d’un document papier ou d’un prompteur. Comme l’invention et la disposition, la mémoire met en jeu des facteurs cognitifs. L’enjeu civilisationnel de ce travail de mémorisation, qui pourrait paraître anecdotique, a été révélé par Yates ([1966]).

— Action oratoire (pronuntiatio

L’action oratoire consiste à discipliner et à rendre agréables la voix, les jeux de physionomie et les gestes (À Her., ibid.).

Le mot latin pronuntiatio renvoie non seulement à ce processus physique de production et de modulation de la parole, mais exprime en outre l’idée d’affirmer le discours (Gaffiot [1934] Pronuntiativus).  De même qu’au tribunal la sentence n’est pas “dite” ou “lue”, mais prononcée par le juge, le discours est un acte, une déclaration et une proposition.
La tradition rhétorique voit la pronuntiatio comme le moment de la performance, de la délivrance, de la spectacularisation du discours. La technique rhétorique est ici celle du corps, du geste, de la voix. Les contraintes de l’action rhétorique pèsent également sur le rhéteur, sur l’acteur ou le prédicateur, même si les genres de ces exercices et les statuts sociaux des locuteurs sont très différents (Dupont 2000).

En résumé, chercher des arguments, les mettre en ordre, les exprimer par écrit ou oralement : les prescriptions rhétoriques forment un système pédagogique facile à enseigner, sinon à mettre en pratique, que l’on invoque toujours pour la dissertation de bureau sans document.

1.2 Ordonnancement structural

Au terme de ce procès, on obtient le produit fini, c’est-à-dire le discours en situation tel qu’il a été énoncé. Il s’articule en parties, traditionnellement nommées :

Exorde
Narration
Argumentation (confirmation suivie de réfutation)
Conclusion

L’argumentation est la partie centrale du discours. Elle repose sur l’exposé des points litigieux et des positions soutenues ; elle comprend une partie positive, la confirmation de la position défendue et une partie négative, la réfutation de la position de l’adversaire. Contrairement à une vision scolaire, il n’y a pas d’opposition entre argumentation et narration, pas plus qu’il n’y en a entre argumentation et description, qui ont toujours une orientation argumentative particulière, déterminée par les intérêts et les valeurs sous-tendant le point de vue défendu dans le discours.

2. Extensions et restrictions

La rhétorique argumentative ancienne a été redéfinie sur diverses dimensions.

2.1 Restriction à sa dimension expressive
La rhétorique argumentative peut être orientée vers la communication persuasive ou vers la justesse de l’expression, V. Persuasion.

2.2 Généralisation à sa dimension persuasive
Nietzsche assimile la fonction rhétorique à la fonction persuasive du langage, V. Persuasion, §6

2.3 Restriction à sa dimension langagière et littéraire aux dépens de sa dimension cognitive
L’apparente logique des cinq composantes de la production rhétorique a été profondément mise en cause à la Renaissance, notamment par Ramus (Ong 1958). Tout ce qui relève de l’exercice de la pensée (invention, disposition, mémoire) a été séparé de ce qui relève du langage (élocution et énonciation). Orpheline de l’inventio, la rhétorique recentrée sur la modulation du discours redéfinit son objet discursif en se détournant des discours sociaux pour aller vers les belles-lettres, et se passionne pour une pensée exclusive des figures.

L’argumentation, renvoyée à la pensée, n’est plus considérée comme le moment fondamental du processus discursif ; elle est rejetée hors rhétorique et hors langage. Le problème est alors celui d’un langage sans pensée et d’une pensée sans langage. C’est cette rhétorique des belles-lettres, orpheline de la cognition, qui sera l’objet des violentes attaques de Locke, V. Ornement.

En opposition à l’ancienne rhétorique dite « générale », Genette qualifie de « restreinte » (1970), cette rhétorique des figures, dont Fontanier ([1827], [1831]) serait, au XIXe siècle, la figure emblématique. Douay (1992, 1999) a montré que la situation était plus complexe, et que la position de Fontanier n’était pas forcément représentative ni du développement théorique ni des pratiques scolaires rhétoriques à cette époque.

La question d’une “renaissance” de la rhétorique, sous l’une ou l’autre de ses formes, est un topos (au sens de Curtius) des études de rhétorique, parfois utilisé pour situer le Traité de l’argumentation. [2]

2.4 Généralisation de la dimension langagière 
La rhétorique restreinte au langage est elle-même généralisée : cette expression paradoxale correspond à l’approche du “Groupe µ”, qui reprend la question des figures (de l’elocutio) dans le cadre de sa Rhétorique générale (1970). Cette approche linguistique inscrit la rhétorique dans la langue définie par ses deux axes, syntagmatique et paradigmatique. Cette rhétorique exploite une vision structuraliste de la langue, qui ne touche pas aux questions d’argumentation, de parole, d’interaction ou de communication, ni d’ailleurs à l’esthétique des figures.

Cette Rtorique générale était pratiquement la seule prise en compte dans la littérature francophone en rhétorique des années 1970, où le Traité de l’Argumentation n’occupait qu’une position marginale ; Wenzel a consacré un paragraphe vengeur à la vision « alarmante » que, selon lui, elle donne de la rhétorique (1987, p. 103 ; voir Klinkenberg 1990, 2001).

2.5 Extension à la parole ordinaire
La rhétorique de la parole étend l’approche rhétorique à toutes les formes de parole, dans la mesure où elles impliquent un mode de gestion des faces des interactants (éthos) ; un traitement des données orienté vers une fin pratique (logos) ; un traitement corrélatif des affects (pathos) (Kallmeyer 1996). La trilogie rhétorique peut ainsi être considérée comme l’ancêtre des différentes théories sur les fonctions du langage (Bühler 1933 ; Jakobson 1963).

Ce rapprochement de la parole rhétorique et de la parole ordinaire rappelle que l’une et l’autre sont des interventions langagières liées au développement d’une action, la première d’une action sociale parfois dramatique, la seconde d’une action microsociale quotidienne, V. Question ; Stase. Cette extension peut rappeler la définition que Bitzer donne de la situation rhétorique marquée par “l’urgence” d’une tâche en cours :

On peut définir les situations rhétoriques comme des complexes de personnes, d’événements, d’objets et de relations présentant une urgence [exigence] actuelle ou potentielle, qui peut être partiellement ou entièrement éliminée par une intervention discursive permettant d’orienter la décision ou l’action humaine dans le sens d’une modification souhaitée de cet impératif [exigence]. (Bitzer [1968], p. 252)

2.6 Extension aux différents domaines sémiotiques
Toute mise en œuvre stratégique d’un système sémiotique peut être légitimement considérée comme une pratique rhétorique : rhétorique de la peinture, de la musique, de l’architecture, etc. ; rhétorique étendue du verbal au co-verbal mimo-posturo-gestuel, etc.

Les rhétoriques restreintes, la rhétorique introvertie, les rhétoriques étendues à la langue ou à la parole ordinaires, dans leur version nietzschéenne ou dans leur version interactionniste, remettent en cause le rapport de la rhétorique à l’éloquence, et suggèrent la possibilité d’une « rhétorique sans éloquence », selon l’expression de Lévinas ([1981]).


[1] « La Réforme protestante invente le catéchisme. » (Wikipedia, Catéchisme)
[2] Avant la Nouvelle Rhétorique, il existait une Rhétorique nouvelle, Dionys Ordinaire, Paris, Hetzel (1867).

Respect

Argument du RESPECT

Le respect est lié à la distance et au sacré, à la crainte et à la soumission. Le respect dû aux personnes est garanti par le Code Civil. Le respect dû aux institutions se mérite. Les comportements dits irrespectueux peuvent être considérés par leurs représentants comme un outrage punissable , à quoi on oppose la liberté d’expression et de critique.

Le respect est un sentiment moral et social qui règle, d’une part, les rapports interindividuels, et, d’autre part, les rapports des personnes aux institutions ainsi que les rapports des personnes à leur hiérarchie à l’intérieur de l’institution.

L’argument du respect [1] est invoqué par un plaignant qui fait état d’un manque de respect et demande réparation.
Le lien du respect à la crainte et à l’obéissance est explicite dans les expressions “se faire respecter”, “tenir en respect”. On peut voir dans cette crainte la source du sentiment de respect, V. Modestie. Demander le respect, rappeler qu’on doit être craint et obéi, qu’il s’agisse de la crainte de la police ou de la crainte du sacré.

1. Respect mérité et droit au respect

Le respect se matérialise fondamentalement par une application stricte des règles générales de politesse. Selon ces règles, respecter quelqu’un, c’est ne pas empiéter, voire maximiser son territoire et rehausser sa face.
Le cas échéant, ces règles peuvent être augmentées de règles spécifiques précisant le comportement à adopter dans les tractations avec les institutions, notamment les institutions religieuses et les hautes autorités civiles.

1.1 Respect dû aux personnes

L’impolitesse n’est pas punie par la loi, mais l‘atteinte au respect dû à la personne l’est, par le Code civil, art. 16 :

La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. [2]

La discrimination, la diffamation, le harcèlement moral sont des atteintes à la dignité de la personne.

1.1 Respect dû aux autorités et aux institutions

Le respect est le sentiment que l’autorité souhaite rencontrer : on doit s’incliner, voire se courber devant elle ; elle demande qu’on obéisse à ses ordres, qu’on prévienne ses désirs, et cela même en dépit de son propre sentiment. L’autorité demande des sujets respectueux, voire humbles, V. Autorité ; Modestie ; Péchés de langue.
L’autorité réclame le respect formel, et demande qu’il lui soit manifesté selon les formes prescrites. Dans la correspondance, le respect se marque dans les formules de politesse :

À un évêque, on écrit : “Je vous prie de croire, Monseigneur, à l’assurance de mes sentiments respectueux et dévoués”. On appréciera ce mélange de dévouement / dévotion qui semble exéder, pour un non croyant, les bornes de la politesse citoyenne.
À un magistrat : “Veuillez agréer, Monsieur le Juge, l’expression de mes sentiments respectueux”. [4].

Le respect se manifeste par de la déférence, à la fois marque de respect et d’obéissance.

Déférer à. Se conformer au désir, explicite ou implicite, de quelqu’un par respect pour lui ; lui céder par égard pour son âge ou sa qualité. (TLFi)

En tant que sentiment positif, le respect, non plus formel, mais substantiel se mérite ; c’est une reconnaissance positive que les personnes et les institutions peuvent gagner par leurs actions ; dans ce cas, le respect va bien avec le sentiment d’admiration.

Néanmoins, si un comportement, intentionnel ou non, est ressenti comme irrespectueux, il n’est plus question de savoir si l’institution mérite ou non respect et admiration, mais uniquement de respect formel. L’argument du respect est essentiellement utilisé pour appeler ou justifier une sanction pour manque de respect.
Du point de vue institutionnel, la magistrature, les forces de l’ordre revendiquent un respect qu’elles estiment mérité :

Les Forces de l’ordre méritent la gratitude et le respect de tous les Français. (La Dépêche du Midi, 27/05/2016 [1]

Cette demande est liée au caractère potentiellement conflictuel ou violent des interactions policières et judiciaires, et tend à créer une distance qui fait obstacle à cette violence.
La demande de respect, s’exprime a contrario dans le fait que, le manque de respect qui définit l’outrage est une infraction. L’outrage à agent est défini comme « un acte qui nuit à la dignité ou au respect dû à la fonction d’un agent public » [2], punissable comme tel.

2. Droit au respect, droit au blasphème, liberté d’expression

Toute personne se trouvant en position d’autorité et estimant que ses prérogatives ne sont pas respectées, autrement dit qu’on ne lui obéit pas, qu’on ne le craint pas, qu’on rit de lui, peut invoquer l’argument du respect au nom de la communauté qu’il représente.
Le problème surgit lorsque cette prétention à l’autorité n’est pas reconnue comme légitime par tout le monde, voire considérée comme oppressive par certains. C’est le cas, dans notre société, des autorités religieuses. Par une montée en abstraction, le délit d’outrage est revendiqué pour toutes les croyances en général, et pour la sienne en particulier.
L’irrespect en matière religieuse est alors considéré comme une provocation, une profanation, un scandale, un blasphème qui blessent gravement le croyant, le touchent au cœur ; une insulte, un affront dont il est fondé à demander réparation devant les autorités civiles.

Une œuvre photographique de l’artiste américain Andres Serrano intitulée Immersion Piss Christ, mettant en scène un crucifix trempé dans l’urine de l’artiste, a été vandalisée dimanche 17 avril 2011 dans les locaux de la collection d’art contemporain Yvon Lambert à Avignon. Suite à cette action, l’archevêque d’Avignon a publié un communiqué protestant contre l’exposition de cette œuvre. L’argument du respect est invoqué dans le passage suivant :

Les autorités locales n’ont-elles pas entre autres pour mission d’assurer le respect de la foi des croyants de toute religion ? Or une telle œuvre reste une profanation qui, à la veille du vendredi saint où nous ferons mémoire du Christ qui a donné sa vie pour nous en mourant sur la Croix, nous touche au plus profond de notre cœur.

Il est amplifié dans l’ensemble de la protestation, qu’il structure (souligné par nous) :

L’odieuse profanation d’un Christ en croix (titre)
— L’art peut-il être d’un tel mauvais goût sans autre raison que de servir d’insulte.
— Devant le côté odieux de ce cliché qui bafoue l’image du Christ sur la Croix, cœur de notre foi chrétienne, je me dois de réagir. Toute atteinte à notre foi nous blesse, tout croyant est atteint au plus profond de sa foi.
— Devant la gravité d’un tel affront.
— Pour moi, évêque, comme pour tout chrétien et tout croyant, il s’agit là d’une provocation, d’une profanation qui nous atteint au cœur même de notre foi !

— La collection Lambert n’a-t-elle pas perçu qu’elle exposait une photographie qui blessait gravement tous ceux pour qui la Croix du Christ est le cœur de leur foi ? Ou bien a-t-elle voulu provoquer les croyants en bafouant ce qui pour eux est au cœur de leur vie.
— Une profanation grave, un scandale touchant la foi de ces croyants.
— [Des] photos qui portent gravement atteinte à la foi des chrétiens.
— Des comportements qui nous blessent au cœur de notre foi.
“L’odieuse profanation d’un Christ en croix”, Infocatho, 14-04-2011 [6]

Certains pays ont des lois qui considèrent que le blasphème est un crime, et punissent ce qu’elles qualifient d’irrespect envers la religion d’État. Les campagnes contre les lois sur le blasphème développent un contre-discours affirmant que ces lois sont médiévales et obscurantistes, qu’elles sont incompatibles avec les principes démocratiques de liberté d’expression et de croyance, et qu’elles rendent impossible toute recherche philosophique et historique sur les religions.

D’autres pays n’ont pas de religion d’État, mais ont des lois interdisant les discours haineux ou discriminatoires envers les communautés minoritaires, religieuses ou autres. Ces lois garantissent ces communautés, entre autres, contre tout traitement discriminatoire en ce qui concerne leurs croyances.
L’argument du (manque de) respect était au cœur de l’affaire concernant les caricatures du Prophète Mahomet publiées en 2005 dans un hebdomadaire satirique danois. Cette affaire a culminé en 2015 avec l’attaque terroriste contre le journal satirique français Charlie Hebdo, qui a entraîné l’assassinat de 11 journalistes et collaborateurs par deux terroristes islamistes.

3. Contre l’argument du respect

Respect formel et respect mérité
On peut répondre à l’argument du respect en réactivant l’opposition entre respect formel et respect mérité, c’est-à-dire en soutenant que le respect (formel) ne peut être exigé que s’il est mérité, et qu’en l’occurrence, il ne l’est pas.
De façon plus radicale, on peut repousser la demande de respect formel, en arguant qu’elle n’est qu’une manifestation d’autoritarisme.

Droit au respect VS Droit d’expression
On peut également opposer au droit au respect le droit d’expression, qu’il s’agisse du droit d’expression du citoyen, du philosophe ou de l’artiste.

— Vous devez respecter ma croyance.
— Et vous, vous devez respecter mon scepticisme.

Le débat sur ces conflits de valeurs exemplaires se déroule dans l’espace public, il implique également les philosophes, les citoyens et les législateurs. En dernière instance, et dans des cas d’espèce, intervient la justice concrète, qui, en France, appliquera les lois de la République.


[1] Lat. argument ad reverentiam, du lat. reverentia “1. Crainte 2. Crainte respectueuse, respect, déférence” (Gaffiot, Reverentia).
[2]
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006419320/
[3] http://tice.inpl-nancy.fr/modules/lang/forprint_fle/fle-utc/pages/chapitre2/LETMOT/letdemformules.pdf
[4] https://www.ladepeche.fr/article/2016/05/27/2353107-forces-ordre-meritent-gratitude-respect-tous-francais.html (29-07-2017)
[5] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33322
[6] [http://infocatho.cef.fr/fichiers_html/archives/deuxmil11sem/ semaine15/210nx151europeb.html (20-09-2013)


 

Répétition

RÉPÉTITION PERSUASIVE

À la différence de la reprise discursive, la répétition persuasive porte sur une affirmation ou une injonction relativement brèves et figées dans leur forme.
Un segment discursif bien identifiables comme une même unité forme-sens est répété s’il compte plusieurs occurrencesdans la même séquence textuelle ou conversationnelle.

Le moteur de la répétition peut être un organisme commercial ou idéologique et s’inscrit dans une stratégie d’influence à moyen ou à long terme.
La force de la répétition pour faire admettre une affirmation a été soulignée par le sociologue Gustave Le Bon :

L’affirmation n’a d’influence réelle qu’à la condition d’être constamment répétée, et, le plus possible, dans les mêmes termes. C’est Napoléon, je crois, qui a dit qu’il n’y avait qu’une seule figure sérieuse de rhétorique, la répétition. La chose affirmée arrive, par la répétition, à s’établir dans les esprits au point qu’ils finissent par l’accepter comme une vérité démontrée. […] De là, la force étonnante de l’annonce. Quand nous avons lu cent fois que le meilleur chocolat est le chocolat X, nous nous imaginons l’avoir entendu dire de bien des côtés et nous finissons par en avoir la certitude.
Gustave Le Bon, La psychologie des foules [1895] [1], Paris, PUF, 1988, p. 70.

La répétition est aussi bien une nécessité pédagogique, pour les grands comme pour les petits : Lavez-vous les mains !
Sous forme de prière ou d’invocation, la répétition joue un rôle fondamental dans l’expression du sentiment religieux. Elle porte sur des discours de toutes dimensions, depuis la brève formule (Seigneur prend pitié !) jusqu’à la répétition de l’intégralité du texte sacré (Coran).

La propagande politique et la publicité font un usage massif de la répétition persuasive sous la forme de syntagmes figés et rythmés, les slogans.
La répétition – slogan produit une pseudo-légitimation par l’autorité du grand nombre, “on entend ça partout”, V. Consensus. À la limite, le but semble être de saturer l’environnement visuel ou sonore (noms de marques)
Elle est supposée produire mécaniquement l’accoutumance et la familiarité qui sont celles de lévidence de la quotidienneté et, au-delà, créer un trait de reconnaissance mutuelle chez les personnes cibles.

L’expression répétée peut comporter une bonne raison, “nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts”. Mais sa nature mécanique soustrait cette bonne raison à la critique. Le contre-discours est transformé en “discours des autres” et discrédité.

On parle d’“argumentation” par la répétition et de “preuve” par l’affirmation (proof by assertion), mais par dérision et antiphrase. Par la mécanique de la répétition, argumentation et preuve sont ou exclus ou neutralisés et transformés en vérités mécaniques.

Les mécanismes de défense : dégoût et détournement

La répétition des meilleures choses conduit au dégoût : “Toujours la même chose !” ; “On en a débattu jusqu’à la nausée”,
La “preuve” par la répétition est parfois désignée métonymiquement par l’étiquette latine, “argument ad nauseam (lat. nausea, “mal de mer, nausée”), qui nomme “l’argument” à partir de la réaction de rejet physique de satiété ou d’écœurement qu’elle peut provoquer, comme si, dans l’impossibilité d’opposer efficacement un contre-discours, le corps prenait en charge la seule critique possible.

Comme le logo et le geste signe de ralliement, le slogan impose un cadre communicationnel excluant tout échange.
La simple répétition d’un slogan est considérée comme fallacieuse, elle constitue même la fallacie par excellence, puisqu’elle impose l’acceptation d’un énoncé non seulement sans justification, mais contre toute justification.
Le slogan peut être combattu dans un autre cadre, en premier lieu par des arguments touchant au fond de la question, procédure lente et peu attractive pour certains publics. La répétition est toutefois particulièrement vulnérable aux répliques construites dans le même cadre, par des slogans et des logos détournés et des gestes parodiés qui neutralisent et renversent leur orientation. On trouve de nombreux exemples de tels détournements sur Internet.
L’humour est un moyen très efficace de réfutationdestruction d’un discours insupportable, aussi argumenté et répété soit-il. V. Rire — Sérieux ; Ironie ; Paronymie.


[1] Paris, PUF, 1988, p. 70.


 

Relation

RELATION

En sémantique, une relation est un prédicat (verbe ou locution verbale) à deux places associant deux êtres ou deux objets, a et b.

Trois propriétés générales permettent de caractériser les relations :

— Réciprocité ou symétrie : La relation qui lie a à b lie-t-elle b à ?
Considérons les relations P – être le père de –” et F – être le frère ou la sœur de –

si a est le père de b, b n’est pas le père de a
P n’est pas symétrique

si a est le frère ou la sœur de b, alors b est le frère ou la sœur de a
F est symétrique

Réflexivité : La relation lie-t-elle à lui-même ?

La relation P n’est pas réflexive, personne n’est son propre père.
La relation d’égalité E– être égal à –” est réflexive :

a est égal à a

Transitivité : Si la relation lie a à b et b à c lie-t-elle a à ?

Les ennemis de mes ennemis sont mes amis : l’inimitié proverbiale n’est pas transitive,
Si a est l’ennemi de b et b l’ennemi de c, alors a est l’ami de c.

Les amis de mes amis sont mes amis : l’amitié proverbiale est transitive,
si a est l’ami de b et b l’ami de c, alors c est l’ami de a

Les inférences fondées sur ces propriétés font partie des évidences généralement inaperçues (faisant consensus) exploitées par l’argumentation quotidienne. Savoir jongler avec la réciprocité, la réflexivité et la transitivité, c’est savoir parler sa langue, compétence qui sera redéfinie et développée par l’éducation mathématique.

Soit la relation de termes opposés corrélatifs, par exemple : “mère – fille”. Cette relation
— est symétrique : a est la mère de sa fille b et b est la fille de sa mère a
— n’est pas réflexive : personne n’est sa propre mère
— n’est pas transitive : a la mère de  b et b la mère de c, a est la grand’mère de c.


 

Règles

RÈGLES et NORMES

Les échanges argumentatifs institutionnels sont soumis aux règles d’interaction attachées au site sur lequel se produit l’échange. Dans des cadres privés, les règles de la politesse ordinaire sont plus ou moins remplacées par les règles de la politesse argumentative.
Du point de vue spécifiquement argumentatif, ces règles sur le comportement verbal des participants sont supplémentées par des règles normatives tendant, d’une part, à sauvegarder le maintien de relations humaines décentes et, d’autre part, à permettre l’examen approfondi du différend afin de progresser vers un accord se matérialisant par l’émergence d’une vérité partagée par les adversaires.

Le mot norme a deux acceptions principales.

— La norme description de ce que les gens font effectivement

En France, l’âge moyen du premier rapport sexuel est de 16,8 ans. 27% des jeunes ont une activité sexuelle avant 16 ans. Dans une vie, les Français(es) ont, en moyenne, 16,7 partenaires. Seuls 10 % se contenteront du même toute la vie. En moyenne, nos contemporains effectuent 121 galipettes par an. Sexualité en chiffres. [1]

Cette norme s’exprime par des moyennes, correspondant aux réalités observées.

— La norme comme impératif, non plus ce que les gens font, mais ce qu’ils doivent ou devraient faire.

Cette norme définit le comportement normé, valorisé, conforme à une obligation à laquelle doivent se conformer les membres d’un groupe. La transgression de la norme s’accompagne de sanctions dont la nature et le contenu dépendent du domaine concerné :

— Domaine moral et légal : Tu ne tueras pas. Sanction morale et judiciaire.
— Bon usage langagier : Tu ne diras pas “vous disez”, tu diras “vous dites”. Sanction: jugement social négatif.

La norme s’exprime par des règles approuvant ou réprouvant des comportements observés.

1. Le contexte argumentatif modifie systématiquement les règles générales de l’interaction

Les règles générales de l’interaction sont ajustées aux spécificités de l’argumentation; par exemple, dans le corps de l’échange, la préférence pour l’accord devient une préférence pour le désaccord, autrement dit, les suites produites par les interlocuteurs sont des suites non préférées.
Le Principe de coopération demande que les interlocuteurs fournissent des informations vraies, pertinentes et dans la quantité souhaitable. Ce principe est inapplicable en situation argumentative, où coopérer avec l’adversaire peut signifier collaborer à son propre dommage.
Les Principes de politesse — Les principes de politesse linguistique régulent la relation en fonction des concepts de face et de territoire. Dans la conversation ordinaire, ces règles jouent contre la ratification des contradictions et le développement d’argumentations explicites. En situation argumentative, les faces sont en jeu et les territoires sont au centre des revendications de chacun.

2. Règles attachées au site argumentatif

En tant que lieu de parole, chaque site argumentatif, parlement, tribunal, salle de classe produit son règlement et sa coutume auxquelles doivent se soumettre les intervenants dans ce lieu, V. Site. Ce règlement peut être élaboré et révisé selon des procédures sui generis explicites, et son application contrôlée par les autorités compétentes sur ce lieu. Les règles déterminent les thèmes qui seront traités, définit les rôles qui s’y jouent et les personnes qualifiées pour prendre ces rôles, ainsi que les procédures selon lesquelles se déroule une action légitime, du point de vue de ce lieu. Elles précisent les droits à la parole, à quelle quantité de parole, ainsi que l’ordre de succession des tours de parole ; elles peuvent par exemple interdire et réprimer les chevauchements et les interruptions. En l’organisant, elles contribuent à définir la rationalité du lieu comme rationalité locale.

L’Assemblée nationale française est dotée d’un Règlement [1] dont le chapitre XII porte sur « La tenue des séances plénières ». Il contient entre autres les règles suivantes

— Sur la prise de parole
Art. 54, 1 — Aucun membre de l’Assemblée ne peut parler qu’après avoir demandé la parole au Président et l’avoir obtenue, même s’il est autorisé exceptionnellement par un orateur à l’interrompre. En ce dernier cas, l’interruption ne peut dépasser deux minutes

— Sur la position de l’orateur
Art. 54, 3 — L’orateur parle à la tribune ou de sa place ; le Président peut l’inviter à monter à la tribune.

— Sur la durée des interventions
Art. 54, 3 — Quand le Président juge l’Assemblée suffisamment informée, il peut inviter l’orateur à conclure. Il peut également, dans l’intérêt du débat, l’autoriser à poursuivre son intervention au‑delà du temps qui lui est attribué.
Art 55, 1 — Dans tous les débats pour lesquels le temps de parole est limité, les orateurs ne doivent, en aucun cas, excéder le temps de parole attribué à leur groupe.

— Sur le contenu des interventions
Art. 54, 6 — L’orateur ne doit pas s’écarter de la question, sinon le Président l’y rappelle. S’il ne défère pas à ce rappel, de même que si un orateur parle sans en avoir obtenu l’autorisation ou prétend poursuivre son intervention après avoir été invité à conclure, le Président peut lui retirer la parole.

3. Règles sur le contenu de la parole argumentative

3.1 « Règles pour une controverse honorable »

Levi Hedge, dans ses Elements of Logick, or a Summary of the General Principles and Different modes of Reasoning propose un ensemble de sept « Rules for honorable controversy » (1838, p. 159-162). Ces règles sont les suivantes.

Règle 1. Les termes dans lesquels est formulée la question à débattre, le point précis en question, doivent être définis de façon suffisamment claire pour qu’il n’y ait aucune incompréhension à leur égard.

Règle 2. Les parties en présence doivent considérer qu’elles sont sur un pied d’égalité en ce qui concerne le thème débattu. Chacune doit considérer que l’autre possède autant de talent, de connaissance, et est animé du même désir de la vérité qu’elle-même ; et qu’il est donc possible qu’elle ait tort et que son adversaire ait raison.

Règle 3. Tout usage d’expressions dénuées de sens ou de pertinence par rapport au thème du débat doit être strictement évité.

Règle 4. On [2] ne doit se permettre aucune considération touchant à la personne de l’adversaire.

Règle 5. Personne n’a le droit d’accuser son adversaire d’avoir des mobiles cachés [indirect motives].

Règle 6. On ne doit pas imputer à une personne les conséquences de sa thèse, à moins qu’elle ne les revendique expressément [The consequences of any doctrine are not to be charged on him who maintains it, unless he expressly avows them].

Règle 7. Comme la vérité et non pas la victoire est le but proclamé de toute controverse, toutes les preuves produites par l’une ou l’autre partie doivent être examinées avec objectivité et sincérité [fairness and candor]. Toute tentative pour piéger [ensnare] un adversaire par des artifices sophistiques [by the arts of sophistry], ou pour affaiblir la force de son raisonnement par l’humour, la chicane ou en le tournant en ridicule [by wit, caviling, or ridicule] est une violation des règles de la controverse honorable.

Levi Hedge, « Rules for honorable controversy », Elements of Logick, or a Summary of the General Principles and Different modes of Reasoning, 1838, p. 159-162.

Ces règles sont, pour certaines, familières. La règle 5 correspond à l’accusation de mobile caché: “vous vous ralliez à cette proposition non pas parce que vous l’approuvez mais pour plaire à la directrice”, V. Mobile.
La règle 6 est originale et renvoie au problème de l’agenda caché, voire du complot, V. Pragmatique.

Ces règles visent d’une part à assurer la permanence de relations humaines décentes au-delà des désaccords, locaux ou permanents, qui peuvent opposer deux personnes, et d’autre part à permettre l’émergence de la vérité, ou d’une vérité.

3.2 Règles pragma-dialectiques pour la résolution des différences d’opinion

La pragma-dialectique définit les règles de la rationalité critique, qui doivent fonctionner comme “un code de conduite pour des interlocuteurs raisonnables (“A Code of Conduct for Reasonable Discussants”, van Eemeren & Grootendorst 2004, p. 190). Elles sont destinées à des partenaires ayant recours à la discussion comme moyen de résoudre leurs différences d’opinion. Une fallacie est définie comme une violation d’une de ces « dix commandements » (id., 190-196),

1e commandement. Liberté : Les parties ne doivent pas faire obstacle à la libre expression des points de vue ou à leur mise en doute.

2e — Charge de la preuve : Celui qui avance un point de vue est obligé de le défendre si l’autre partie le lui demande.

3e — Point de vue:Lorsqu’on attaque un point de vue, cette attaque doit porter sur le point de vue tel qu’il a été authentiquement proposé par l’autre partie.

4e — Pertinence : On ne peut défendre un point de vue qu’en avançant une argumentation relative à ce point de vue.

`5e — Prémisses implicites : On ne doit pas nier une prémisse qu’on a laissée implicite ou présenter faussement comme une prémisse quelque chose qui a été laissé implicite par l’autre partie.

6e — Point de départ  : On ne doit pas présenter faussement une prémisse comme un point de départ accepté, ni nier une prémisse représentant un point de départ accepté.

7e — Schème d’argument [argument scheme] : On ne doit pas considérer qu’un point de vue a été défendu de façon concluante si la défense n’a pas été effectuée au moyen d’un schème d’argument approprié [an appropriate argumentation scheme] et correctement appliqué.

8e — Validité : On ne doit utiliser dans son argumentation que des arguments  logiquement valides ou qu’on peut rendre valide en explicitant une ou plusieurs prémisses implicites.

9e — Clôture : Si un point de vue n’a pas été défendu de façon concluante, celui qui l’a avancé doit le retirer. Si un point de vue a été défendu de façon concluante, l’autre partie doit retirer les doutes qu’il avait émis vis-à-vis de ce point de vue.

10e — Usage : On ne doit pas faire usage de formulations insuffisamment claires ou dangereusement ambigües [insufficiently clear or confusingly ambiguous] et on doit interpréter les formulations de l’autre partie de façon aussi prudente et exacte [carefully and accurately] que possible.

Eemeren, F. H. van R. Grootendorst et A. F. Snoeck Henkemans, 2002, p. 182-183.

On” traduit l’expression “a party” toutes les fois qu’elle s’applique à l’une et l’autre des parties en présence.

Cette version de base du système de règles pragma-dialectiques est inspirée des propositions de l’école d’Erlangen pour la définition d’un “ortholangage” rationnel, V. Logiques pour le dialogue. Dans un esprit gricéen, elles introduisent ou imposent de la coopération là où elle ne serait pas spontanément pratiquée par les participants. Le jeu repose sur la notion de standpoint, “point de vue”. Il correspond à un traitement dialectique de la différence de point de vue, avec un proposant affirmant le point de vue et répondant aux attaques d’un opposant qui le met en doute. La règle 9 rappelle le but du jeu : régler la différence d’opinion soit en éliminant l’opinion insoutenable, soit en éliminant le doute sur l’opinion bien justifiée.

Ce système de règles rend compte des jugements de validité des locuteurs (Eemeren, Garssen, Meuffels 2009). Il est également possible de dégager les règles implicites auxquels les locuteurs se réfèrent pour leurs évaluations à partir de l’observation de leurs pratiques (Doury 2003, 2006).

3bis. Règles du débat dans les textes classique chinoise traduits

Accord ATCCTRègles du débat dans les textes classique chinoise traduits
Tradition mohiste: La recherche de la vérité par le débat
Tradition confucéenne: Conditions pour s’entretenir avec le Maître

4. Théories non normatives de l’argumentation

Les théories généralisées de l’argumentation, comme la théorie de l’argumentation dans la langue ou la logique naturelle, ne rencontrent pas la question des normes éthiques ou rationnelles telles que celles précédemment mentionnées. Elles s’attachent à dégager des règles observationnelles, comme le font, dans leurs domaines, les sociologues et les historiens.

Lorsque la théorie de l’argumentation dans la langue parle de norme, c’est de norme linguistique qu’il s’agit. Elle s’exprime en termes d’acceptabilité ou de non-acceptabilité des énoncés et des enchaînements d’énoncés. Les règles sont les règles de la grammaire, exprimant les formes structurelles du langage.

6. Sur la question des règles applicables à l’échange argumentatif

En rhétorique classique, les règles de la convenance portent sur l’adaptation du discours à son objet et à ses partenaires et à son lieu d’énonciation (gr. prepon, lat. aptum, Lausberg [1960] § 1055-1062), pour une aristocratie de la langue et de l’esprit.
Le système des péchés de langue est un système de contrôle de la parole dans un milieu religieux.
À la suite de Grice et dans le système pragma-dialectique, la coopération est vue comme un impératif de la communication rationnelle.

Voir aussi :
Fallacies ; Argumentation (2) ; Tranquillité ; Paradoxes ; Dialectique ; Charge de la preuve ; Évidence ; Reprise discursive ; Pertinence; Rôles; etc.


[1] www.google.com/search?client=firefox-bd&q=r%C3%A8glement+de+l%27assembl%C3%A9e+nationale
[2] “On” traduit l’expression “a party” toutes les fois qu’elle s’applique à l’une et l’autre des parties en présence.

 

 

 

Réfutation par les faits

RÉFUTATION PAR LES FAITS

L’affirmation d’un fait concret se réfute par la constatation qu’elle est démentie par la réalité : “Pierre est roux” se réfute dès qu’on constate que Pierre est brun. L’affirmation d’un  fait générique “tous les Syldaves sont roux” se fait par simple contre-exemple, “ce Syldave est brun”. Mais l’impact des faits sur les croyances est beaucoup moins net que ne le laissent penser ces exemples. Elles fonctionnent en réseau et on peut s’arranger d’un fait gênant en déclarant le fait marginal ou mal observé.

1. Falsification d’une affirmation factuell

Une affirmation factuelle peut être produite comme le rapport d’une évidence sensible immédiate, ou comme conclusion d’une argumentation “Tu es tout rouge, tu te sens fatigué, tu as certainement de la fièvre.” Toute argumentation contient des assertions de ce type, qui toutes peuvent être cibles d’une réfutation. Les modalités de cette réfutation varient selon la nature de l’assertion.
En philosophie , « an atomic fact is the simplest kind of fact and consists in the possession of a quality by some specific, individual thing » (SEP, Logical atomism). Un énoncé élémentaire rapporte un fait élémentaire. En langue naturelle, on peut admettre que l’énoncé élémentaire attribue a un être une propriété relevant de l’évidence empirique et donc réfutable empiriquement.

1.1 Réfutation d’une assertion rapportant un fait élémentaire

L’affirmation d’un fait concret se réfute par la constatation qu’elle est démentie par la réalité : “Tu dis ceci, mais moi je constate cela”. C’est une application du principe de non contradiction ; la règle des contraires dit que deux termes contraires ne peuvent être vrais du même sujet.

Affirmation : Pierre a les cheveux bruns
Constat : Pierre a les cheveux roux

Application de la règle des contraires : “noir” et “roux” sont des contraires ; ils peuvent être simultanément faux, mais ils ne peuvent pas être simultanément vrais. L’affirmation Pierre a les cheveux noirs est réfutée.
Le fait allégué et le fait constaté doivent appartenir à la même classe de contraires : on ne réfute pas “Marie a un chat” en affirmant, sur la base d’un constat, que “Marie a un lapin”.

La même procédure fonctionne également sur les contradictoires. Dans le régime sexuel du 19e siècle, on réfute “Marie est un homme”, en constatant que Marie est une femme. On réfute l’affirmation en montrant que sa contradictoire est vrai.
De même si deux termes sont dans la relation de possession / privation, autre forme de contraires : on m’accuse d’avoir, dans ma colère, arraché l’oreille de quelqu’un je demande à ce quelqu’un de venir devant le tribunal montrer qu’il a bien ses deux oreilles.

La présence constatée d’un contraire permet d’éliminer tous les autres termes de la famille de contraires à laquelle il appartient. Cet argument a une portée immense, il constitue le régime de réfutation standard des affimations fausses portant sur des jugements de faits élémentaires.

L’affirmation d’un fait concret générique, “tous les Syldaves ont les cheveux roux” se réfute en par un contre exemple, en trouvant un Syldave aux cheveux noirs. Cette réfutation générique est en principe beaucoup plus aisée que la réfutation d’une allégation sur un cas singulier : n’importe quel Syldave aux cheveux noirs fait l’affaire dans le premier cas, tandis que l’allégation singulière demande la connaissance concrète de l’être mentionné.

Résistance à la réfutation par les faits
On résiste à la réfutation par les faits d’abord en maintenant l’affirmation de fait originelle :

 pour moi il a les cheveux roux

On admet alors qu’il y a entre le brun et le roux une zone floue.

2. Impact des faits sur les théories et les croyances

Il est normal de vérifier ce qui est présenté comme un fait. Si les faits élémentaires, comme ceux précédemment invoqués, sont supposés s’imposer (mais voir infra), les faits complexes peuvent être déconstruits et reconstruits pour s’ajuster aux théories, et réciproquement, les théories peuvent être remaniées pour s’ajuster aux faits.

2.1 Sauver la théorie

Mais, au moins dans le domaine des sciences humaines, le constat du contraire est moins concluant qu’il n’y paraît avec l’exemple précédent. La théorie affirme, directement ou indirectement que P. Or le bon sens, l’intuition linguistique, poussent plutôt à “constater” Q, quelque chose de contradictoire avec P. Plusieurs options sont possibles pour sortir du dilemme.

— Rejeter la théorie, mais c’est une solution coûteuse et douloureuse.
Minorer le fait gênant, en l’opposant à la masse des faits qui confirment la théorie, ou que la théorie permet d’expliquer ou de coordonner de façon satisfaisante.
Mettre le fait gênant entre parenthèses en attendant de pouvoir l’intégrer dans la théorie.
Admettre des exceptions, et passer de l’universalité à la généralité. En logique classique, on ne peut pas soutenir que “tous les cygnes sont blancs” et concéder que ce cygne particulier, lui, est  noir. Le quantifieur tous marque qu’il s’agit d’une affirmation universelle, l’existence d’un cygne noir réfute de façon concluante l’universalité de l’affirmation, mais pas sa généralité, qu, elle,i permet des exceptions, V. raisonnement par défaut.
— Réformer l’intuition, et décider que la théorie est géniale, précisément parce qu’elle nous fait voir les choses “autrement”, de façon plus riche et plus profonde, et qu’en fait P est une sorte de structure profonde de l’intuition élémentaire exprimée par Q. En d’autres termes, on peut résister à la réfutation en choisissant de réformer les hypothèses internes (la théorie) ou les hypothèses externes (ce qui compte pour un fait).

2.2 La croyance résiste aux faits qu’on lui oppose

Le discours prédictif est en principe soumis au contrôle des faits : quelqu’un prédit que tel événement va, ou doit se produire, mais, le moment venu, tout le monde peut constater que  rien ne se passe. On prédit la fin du monde pour mercredi prochain, mais mercredi arrive, le monde continue, et le prophète renvoie à plus tard la réalisation de sa prophétie.

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances »

Le « culte » que M. Vinteuil voue à sa fille malgré sa conduite scandaleuse inspire à Proust la leçon suivante.

Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies se succédant sans interruption dans une famille, ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin. Mais quand M. Vinteuil songeait à sa fille ou à lui-même du point de vue du monde, du point de vue de leur réputation, quand il cherchait à se situer lui-même au rang qu’ils occupaient dans l’estime générale, alors ce jugement d’ordre social, il le portait exactement comme l’eût fait l’habitant de Combray qui lui était le plus hostile, il se voyait avec sa fille dans le dernier bas-fonds. (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913[1])

un Le mais qui enchaîne sur la première phrase, la plus souvent citée, de ce passage suggère que les choses vont plus loin qu’une simple suppression, ou refoulement. « Les faits » n’altèrent pas le culte, — l’amour —, que Vinteuil voue à sa fille, mais il « se [voit] avec sa fille dans le dernier bas-fonds. » Les faits restent là, sous le régime “Je sais bien mais quand même”.

La croyance peut résister au fait élémentaires qu’on lui oppose

Lorsque l’affirmation mise en avant correspond à un résultat d’expérience, on la réfute en refaisant l’expérience, pour constater que ce qui se passe réellement n’a rien à voir avec ce qui avait été dit, ou que l’expérience, telle qu’elle a été décrite, ne fonctionne pas.
Mais il ne suffit pas qu’elle fonctionne de manière irréfutable pour qu’elle soit acceptée, comme le prouve le cas d’Ignace Semmelweis (1818-1865), “l’inventeur du lavage des mains”.

Au XIXe siècle, les femmes mourraient beaucoup de fièvre puerpérale. L’Hôpital Central de Vienne avait deux services d’accouchement, et on constatait les femmes mourraient beaucoup plus dans l’un que dans l’autre, 11,4% pour le Service n°1 contre 2,7% pour le Service n°2, pour l’année 1846. Cette différence était expliquée par l’hypothèse d’un choc psychologique subi par les femmes du service n°1 ; les prêtres qui assistaient les femmes au moment de leur mort devaient traverser tout ce service, où la mortalité était particulièrement importante, alors que, dans l’autre service, ils pouvaient se rendre directement au chevet des mourantes, sans être remarqués. Semmelweis, médecin dans cet hôpital testa cette hypothèse en demandant aux prêtres de ne plus passer par ce service pour se rendre au chevet des mourantes ; le différentiel de mortalité resta le même.
Il observa que le Service n°1 servait à la formation des étudiants en médecine qui pratiquaient des dissections le matin, avant de s’occuper des femmes dans le service d’accouchement. Le Service n°2 servait à la formation des sages-femmes, qui ne prenaient pas part aux séances de dissection. Semmelweis remarqua qu’après ces dissections ses doigts avaient une odeur bizarre ; il se lava donc les mains dans une solution que nous dirions désinfectante, et demanda à chacun des étudiants d’en faire autant. Résultats : en avril 1847, dans le Service n°1, 20% des femmes mouraient de fièvre puerpérale. A partir de mai, et après introduction du lavage des mains, la mortalité tomba aux environs de 1% dans ce même service.

Ce fait a une force de persuasion qu’on pourrait croire irrésistible. Mais le fait est une chose et la conviction une autre. Comment admettre que les mains des médecins qui apportent la vie puisse ainsi apporter la mort ? Vingt ans plus tard certains collègues de Semmelweis attribuaient toujours la mortalité des femmes après l’accouchement à un choc psychologique attribuable à leur sensibilité si particulière.

Le loup et l’agneau : La preuve impuissante

La fable de la Fontaine Le loup et l’agneau (Fables, i, X) illustre un fonctionnement ordinaire du discours de la preuve, et montre que la preuve peut n’avoir aucun poids lorsqu’il s’agit de besoins vitaux.

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Situation :

Un agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.

L’interaction s’ouvre par un violent reproche, comme les humains en font habituellement à leurs futures victimes :

“Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?”
Dit cet animal plein de rage :
“Tu seras châtié de ta témérité”

Le délit est présupposé (tu troubles mon breuvage). La demande d’explication sur les mobiles ([qu’est-ce] qui te rend si hardi ?) semble laisser à l’agneau une possibilité de justification, mais elle est immédiatement suivie de la condamnation (tu seras châtié de ta témérité). Cette prise de parole est mystérieuse : pourquoi le loup parle-t-il ? Il pourrait simplement mettre à profit la nourriture qu’il quêtait et qu’il rencontre enfin ; il pourrait manger l’agneau comme l’agneau boit l’eau. L’agneau répond par un constat d’évidence :

—  Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.

La conclusion est rigoureuse, puisque les lois physiques font que le ruisseau ne remonte jamais à sa source. Mais “concluant” ne signifie ni “impossible à contredire”. Le loup réitère sa première accusation et en introduit une deuxième :

—  Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.

L’agneau repousse cette deuxième accusation, puis une troisième, toujours de façon concluante :

—  Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’agneau, je tette encor ma mère.
—  Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
—  Je n’en ai point.

Mais la dernière attaque est irréfutable, et ne laisse plus la parole à la défense :

— C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.

Et l’on conclut que les bonnes raisons ne déterminent pas le cours de l’histoire :

Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.


[1] Marcel Proust, Du côté de chez Swann, T. 1. Paris, France Loisirs, p. 226.


 

Réfutation par l’impossibilité du contraire

RÉFUTATION PAR L’IMPOSSIBILITÉ DU CONTRAIRE

La réfutation par l’impossibilité du contraire permet de rejeter un jugement sur un être, en faisant remarquer qu’il n’est pas possible pour cet être de faire l’objet du jugement contraire : “Pour être loué pour sa sobriété, il faut avoir la possibilité d’être intempérant”. C’est le topos “on ne peut pas dire le contraire” — donc ce que tu dis n’a ni sens, ni intérêt :

— Le locuteur dit que Pierre, qu’il est gentil (G) ; cette qualité a des contraires, être méchant (M).
— Pour qu’on puisse attribuer à Pierre la qualité G (G), il faut aussi que P soit susceptible de recevoir la qualité contraire, M

L1 : — Pierre a agi gentiment.
L2 : — Pour dire ça, encore faudrait-il qu’il ait eu la possibilité d’être méchant.

Pour qu’une déclaration apporte une réelle information, il faut que, dans la situation considérée, on puisse donner l’information contraire :

Dans Le Figaro de ce matin, le PDG d’EDF Henri Proglio affirme que le parc nucléaire français est en très bon état, en même temps on imagine mal comment il pourrait dire le contraire.
France Culture, Journal de 9 h, 18 avril 2011

On s’attend à ce que le PDG d’une entreprise soit positif au sujet de son entreprise.

Réfutation

RÉFUTATION

 

Le processus de réfutation proprement dit porte sur la structure et les contenus des argumentations visées, argument, conclusion, ainsi que la loi de passage qui assure la pertinence de l’argument pour la conclusion. L’argumentation peut globalement être rejetée sans examen si on juge que sa conclusion n’apporte pas une réponse pertinente à la question.

Le rejet du discours peut viser sa destruction. Tous les éléments entrant dans la formation du discours écrit comme le discours oral en situation peuvent alors être utilisés ou manipulés afin de présenter ce discours comme intenable, y compris le ton de la voix ou la tenue vestimentaires de son locuteur.
Ce locuteur peut en particulier être la cible d’une attaque personnelle, sans rapport avec sa position et les arguments qui la soutiennent.

L’argumentation est prise en compte a minima lorsqu’elle est déclarée infra-argumentative et traitée par le mépris ou par la dérision, lorsque son adversaire s’amuse à la désorienter argumentation et argumentateur.

La réfutation proprement dite est un acte réactif de rejet d’un discours visant à invalider une argumentation en tant que telle. Par extension, le mot réfutation peut être utilisé pour désigner la simple dénégation d’une affirmation.

Du point de vue du dialogue ordinaire, une proposition est réfutée si, après avoir été discutée, elle est abandonnée par l’adversaire, explicitement ou implicitement ; il n’en est plus question dans l’interaction.

La réfutation suppose que soit établie une connexion explicite avec ce discours. Cette reprise peut s’effectuer sous diverses modalités dans le discours réfutateur, p. ex. maximisation ou minimisation.

Alors que la réfutation pose une relation discursive agonistique, les objections sont présentées dans un cadre a priori coopératif et peuvent être intégrées à la discussion.

Le mot réfuter peut désigner toutes les formes de rejet explicite d’une position, à l’exception des propositions d’action : on réfute des thèses, des opinions prétendant à la vérité, mais on repousse, on rejette plus qu’on ne réfute (?) un projet ; les accusations peuvent être réfutées ou repoussées.

1. Réfutation portant sur l’argumentation elle-même

Chacune des composantes de la structure argumentative peut être la cible de l’acte de réfutation.

1.1 Rejet de l’argument

L’argument donné en faveur d’une conclusion peut être rejeté de différentes façons.

— L’argument peut être factuellement rectifié,

L1 : — Le vent vient de l’ouest, on va avoir la pluie, notre pique-nique est fichu !
L2 :  — Non, non,  pas de problème, c’est le vent du sud qui souffle aujourd’hui.

Il peut être admis mais sans pertinence pour la conclusion (voir § 4.3)

Il peut être admis comme tel, reconnu pertinent pour la conclusion mais considéré comme trop faible, de mauvaise qualité :

L1 : — Le Président a parlé, la bourse va remonter.
L2 : — Que voilà une excellente raison !

Le rejet de l’argument n’entraîne pas automatiquement celui de la conclusion :

L1 : — Pierre arrivera mardi, il veut être là pour l’anniversaire de Paul.
L2 : — L’anniversaire de Paul est lundi,
L11 : — Mais Pierre arrive bien mardi, c’est moi qui lui ai pris son billet.

Néanmoins, seuls les locuteurs les plus ascétiques réfutent les arguments discutables ou mauvais avancés en faveur de conclusions qu’ils considèrent bonnes ou vertueuses.

1.2 Rejet de la conclusion déclarée non pertinente pour la vraie question

La conclusion peut être rejetée alors même qu’une certaine validité est reconnue à l’argument (possiblement sur le mode ironique) ; c’est une forme inoffensive de concession :

L1 : — Il faut légaliser la consommation du haschich, les taxes permettront de combler le déficit de la sécurité sociale.
L2 : — Ça augmentera sûrement les rentrées fiscales, mais ça augmentera encore plus le nombre de drogués et la course aux drogues dures. Il faut maintenir l’interdit.
L3 : — La question n’est pas le déficit de la sécurité sociale, mais la santé publique.

La contre-argumentation établit une contre-conclusion, en laissant intacte l’argumentation à laquelle elle s’oppose.

1.3 Rejet de la loi de passage

La loi de passage peut être mise en cause et l’argument considéré comme sans pertinence pour la conclusion,

L1 : — Le vent vient de l’ouest, on va avoir la pluie, notre pique-nique est fichu !
L3 :  — Non, ici c’est plutôt le vent du sud qui apporte la pluie

Le rejet de l’argument peut entraîner l’ouverture d’une stase de définition et l’ouverture d’une nouvelle question argumentative (sous-débat),

L1 : — Il est très intelligent, il a lu tout Proust en trois jours.
L2 : — L’intelligence n’a rien à voir avec la vitesse de lecture.

L1 : — Ce soir, on mange des nouilles !
L2 : — Encore ! On en a déjà mangé à midi.

L1 : — Oui, et il faut les finir

L’adverbe “ justement” est un indice de la substitution d’un principe inférentiel à un autre, par laquelle les données sont réorientées vers une conclusion opposée (Ducrot et al. 1982), V. Orientation

L2 : — Encore ! C’est anti diététique, on en a déjà mangé à midi.
L1 : — Justement, il faut les finir. On ne doit pas gaspiller la nourriture.

1.4 Réfutation d’un type d’argument par mise en œuvre d’un élément spécifique de son contre-type.

Réfutation standard, mobilisant une des règles critiques (discours contre) associées au type argumentatif : “contre un témoignage” ; “contre une argumentation fondée sur une autorité” ; “contre une définition” ; “contre une induction” ; “contre une affirmation de causalité”, etc.
Par exemple, on sait qu’un témoignage peut être rejeté si l’on montre que le témoin n’était pas en position de voir ce qu’il prétend avoir vu. Cette règle est invoquée dans l’argumentation suivante :

Vous prétendez avoir reconnu Paul. Mais tout cela se passait à la tombée de la nuit et vous étiez en voiture. (Voir exemple Argument§1.1)

Les règles critiques concernant les discours contre peuvent être exploitées sous sa forme d’une réfutation, d’une objection ou d’une concession.

Réfutation par rejet du type argumentatif lui-même
À la différence des précédentes, les réfutations suivantes s’en prennent au type argumentatif lui-même. On soutient alors un discours général, qui rejette a priori toutes les formes d’autorité, d’analogie, etc. (V. exemple Analogie catégorielle §4).

L1 : — Voyez ce qui s’est passé en 1929 !
L2 : — Mais en 29, il y avait un certain Hitler …
L3 : — Oh, vous savez, en histoire, tout est toujours analogue à n’importe quoi…

L2 réfute l’analogie en mobilisant la règle critique sur les différences essentielles.
L3 la réfute en l’englobant dans un refus général de l’analogie.

2. Paradoxes de la réfutation faible protégeant la position attaquée

3. Réfuter ou accepter la réfutation

La réfutation porte sur une proposition soutenue par un autre locuteur. Normalement, le locuteur lui-même peut faire des concessions à propos des thèses qu’il défend actuellement, mais il ne les réfute pas. Il y a des subordonnées concessives, mais pas de subordonnées réfutatives.

Face à l’opposant qui prétend réfuter son discours, le proposant peut réfuter la réfutation ou faire des concessions. Il peut aussi admettre la réfutation. C’est ce qui se passe dans le genre retractatio, où le locuteur remanie une position qu’il avait défendue antérieurement (Gaffiot, Retractatio) ce remaniement pouvant aller jusqu’au rejet de ses anciennes positions, V. Ad hominem.

Réciprocité

Argumentation fondée sur la  RÉCIPROCITÉ

 

Soit un énoncé reliant deux groupes nominaux : “N 1 — Verbe — N2”. Par permutation des actants (conversion), on obtient l’énoncé : “N 2 — Verbe —N1”
La relation établie par le verbe entre les deux actants est symétrique (ou réciproque) si ces deux énoncés sont des paraphrases l’un de l’autre. “A est égal à B” est un verbe symétrique, alors que “A mange B” n’est pas un verbe symétrique, même s’il peut être symétrique dans certains de ses emplois, certains êtres étant autophages.

L’énoncé (a) “le poids des pommes est égal à celui des cerises” et l’énoncé (b) obtenu par permutation des actants “le poids des cerises est égal à celui des pommes” sont logiquement équivalents.
Les énoncés obtenus par permutation des actants ne sont pas nécessairement équivalents. Dans l’énoncé (c) “Pierre regarde le fauve”, le verbe apercevoir lie deux actants, Pierre, sujet, et le fauve, objet. En permutant ces deux actants (conversion) on obtient l’énoncé (d) “le fauve regard Pierre”, où le rôle de sujet est tenu cette fois par le fauve, et celui d’objet par Pierre, et (c) n’est pas équivalent à (d). Les deux énoncés ne disent pas la même chose.

Les prédicats “… est l’ami de …” “… est le frère ou la sœur de …” sont symétriques ; si a a rencontré b, alors b a rencontré a, autrement dit, a et b se sont rencontrés.
La distance du point m au point n est une relation symétrique, mais la durée pour parcourir cette distance ne l’est pas forcément.

Une relation “quasi-logique ?
La relation de réciprocité (symétrie) est considérée comme une relation “quasi-logique” par Perelman & Olbrechts-Tyteca. En mathématique, R est symétrique (réciproque, convertible) si elle lie à la fois a à b et b à ; autrement dit, si R est symétrique, alors “aRb” et “bRa”.
Les exemples précédents montrent que cette relation correspond à des déductions impeccables et banales dans le discours ordinaire. Le principe de réciprocité est inscrit dans le sémantisme des relations considérées et savoir l’appliquer c’est simplement savoir parler sa langue.

2. Principe de réciprocité

Dans les relations humaines, la réciprocité n’est pas un constat de fait, mais un impératif moral de première importance, par lequel se matérialise l’égalité des personnes et des groupes. S’agissant d’actes impliquant deux personnes, le strict principe de réciprocité dit que si A agit de telle manière vis-à-vis de B, alors B fait / doit faire / peut faire la même chose à A.
Positivement, si A a fait un cadeau à B, par exemple, l’a invité à dîner, alors B conclut qu’il doit faire la même chose, c’est-à-dire faire un cadeau à A ou l’inviter.

L’argument du “retour d’ascenseur” dit que si A a procuré à B un avantage décisif, alors B doit faire quelque chose d’équivalent pour A lorsque la situation se présentera : “un bienfait n’est jamais perdu”.

Le principe de réciprocité ne peut être strictement appliqué que  dans la mesure où il s’agit d’actes pour lesquels A et B peuvent traiter d’égal à égal. Il n’a pas de sens lorsqu’il existe entre A et B une inégalité fondamentale : si A fait l’aumône à B, ou si A condamne B à une amende, il n’est pas question pour B d’appliquer mécaniquement la réciproque stricte. Mais dans un roman rose, B peut cependant sauver la vie de A et dans un roman policier se venger de celui qui l’a (fait) condamné(er).

Dans cette limite, l’appel au principe de réciprocité est une ressource applicable à la régulation des interactions sociales : “Je suis poli avec vous, alors soyez poli avec moi”.
Le locuteur se définit lui-même et définit son partenaire comme des membres d’une même catégorie, qui doivent être traités de la même façon, V. Règle de Justice.

3. Réciprocité comme loi du talion

La loi du talion, œil pour œil, dent pour dent, est une règle de “justice” fondée sur la lettre du principe de réciprocité : si A a causé un dommage à B, il est légitime pour B de causer le même dommage à A.

Si ton amoureux déçu t’a défiguré au vitriol, le tribunal t’accorde le droit de le traiter de même.

Dans le domaine des relations internationales, le principe de réciprocité permet aux États d’affirmer leur égalité dans leurs relations, et éventuellement de justifier une mesure de rétorsion,

Si le pays A exige un visa des ressortissants du pays B, il est juste que le pays B exige également un visa des ressortissants du pays A.

La dissuasion nucléaire, qui repose sur la certitude de destruction réciproque, réactualise le principe du talion. Ces formes qui compensent un dommage par un dommage sont apparentées à l’argument “Toi aussi !”.

4. Réciprocité comme principe de morale naturelle

Elle s’énonce par les maximes :

Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent,
Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent.

Sous la forme “ne faites pas aux autres ce que vous n’auriez pas voulu qu’ils vous fassent”, ce second principe s’oppose à la loi du talion.

Raisonnement par défaut

RAISONNEMENT PAR DÉFAUT

 

Les recherches en intelligence artificielle ont développé l’étude formelle de l’argumentation comme raisonnement par défaut ou raisonnement révisable, du point de vue logique et du point de vue épistémologique.

1. Raisonnement par défaut

Du point de vue logique, le raisonnement révisable est étudié dans le cadre des logiques dites non monotones. À la différence des logiques classiques (ou “monotones”), elles admettent la possibilité qu’une conclusion soit déductible d’un ensemble de prémisses {P1} et ne le soit pas de {P1} augmenté de nouvelles prémisses. En termes de révision des croyances, il s’agit de formaliser l’idée simple qu’un apport nouveau d’information peut amener à réviser une croyance déduite d’un premier ensemble restreint de données.
Du point de vue épistémologique, la théorie du “defeasable reasoning” (Koons 2005) porte sur des croyances permettant des inférences qui admettent des exceptions. Defeasable se traduit par “révisable”, “susceptible d’être invalidé”. L’inférence révisable s’oppose à l’inférence nécessairement (apodictiquement) vraie de la logique classique.

Sur la base de la régularité “les oiseaux volent”, l’inférence révisable considère que 1) l’inférence suivante est valide :

Pioupiou est un oiseau, donc Pioupiou vole

et que 2) cette régularité admet des exceptions.

Les sphéniciformes, autrement appelés manchots, sont des oiseaux, pourtant ils ne volent pas. Si l’on sait que Pioupiou est un oiseau et rien d’autre on ne peut donc, en logique classique, rien conclure sur le fait qu’il vole ou non. La théorie du raisonnement révisable fait ce que fait le raisonnement ordinaire, et admet la conclusion “Pioupiou vole”, à défaut d’information permettant de penser que Pioupiou est un manchot.

Les oiseaux est alors lu “la plupart des oiseaux” ; la possibilité d’exceptions, est notée par la présence d’un modal :

Pioupiou est un oiseau, donc, normalement il vole.

La prémisse étaye la conclusion, mais il est possible que cette prémisse soit vraie et que la conclusion soit fausse. Une conclusion tirée des connaissances disponibles au moment T0 peut être légitime et ne plus l’être en T1 si entre-temps nos connaissances se sont accrues et précisées.

La présence d’une exception touche d’autres raisonnements portant sur des phénomènes liés au fait de voler ou de ne pas voler. Par exemple, on sait que :

(1) Les oiseaux volent
(2) Pioupiou est un oiseau
(3) Les oiseaux ont les muscles des ailes très développés
(4) Donc Pioupiou a les muscles des ailes très développés

Mais qu’en est-il si Pioupiou ne vole pas ? Il y a un lien entre la capacité de voler et le fait d’avoir les muscles des ailes très développés. Puisque d’après (5), “Pioupiou ne vole pas”, on doit donc suspendre l’inférence vers “Pioupiou a les muscles des ailes très développés”.
En d’autres termes, la conclusion “il a les muscles des ailes très développés” est déductible non pas de “Pioupiou est un oiseau” mais “Pioupiou est un oiseau qui vole”.

Non interrogatif de fin de phrase et l’adverbe a priori sont des indicateurs linguistiques de l’affirmation par défaut :

Il est étudiant de l’Université Paris XX, donc il s’inscrit en thèse à Paris XX, non?
— donc il s’inscrit en thèse à Paris XX, non?
— donc a priori, il s’inscrit en thèse à Paris XX.

Pioupiou est un oiseau,
— donc il vole, non?

— donc a priori il vole.

2. Conditions de réfutabilité du raisonnement par défaut

On distingue deux types de conditions de réfutabilité (defeasability) d’une conclusion C affirmée dans le cadre d’un raisonnement défaisable.

— Il existe de bons arguments (rebutting defeater Koons 2005) pour une conclusion incompatible avec C. Par exemple, si on sait que Pioupiou est un oiseau en peluche, alors on sait qu’il ne peut pas voler.

— Il existe de bonnes raisons de penser que la loi de passage invoquée habituellement dans l’argumentation ne s’applique pas au cas envisagé (undercutting defeaters, ibid.). Par exemple, si l’on sait que l’univers du discours porte sur la faune Antarctique, alors on a de bonnes raisons de suspendre l’inférence.

3. Schématisation de l’inférence par défaut

L’inférence révisable est schématisée comme une règle par défaut [default rule] :

Si Tweety est un oiseau,
en l’absence d’information selon laquelle Tweety est un manchot,
il est légitime de conclure que Tweety vole.

Ce raisonnement est noté et représenté comme suit :

Tweety est un oiseau : tweety n’est pas un manchot
————
Tweety vole

ζ : η
——
θ

ζ : prérequis :          on sait que ζ
η
: justification :    η est compatible avec l’information disponible
θ : conclusion :       Tweety vole   

Cette schématisation exploite les mêmes intuitions et les mêmes concepts que ceux mis en jeu dans le schéma de Toulmin, que l’on peut écrire de la même manière :

D (Donnée, Data) : R (Réfutation, Rebuttal)
————
C (Conclusion, Claim)

D, Donnée : on sait que D, Pioupiou est un oiseau
R, Condition de Réfutation : on n’a pas d’information permettant de penser que la réfutation possible est effectivement vraie, autrement dit que Pioupiou est une exception à la règle selon laquelle les oiseaux volent, c’est-à-dire que Pioupiou est un manchot
C, Conclusion ; Jusqu’à plus ample information, C peut être acceptée et prise comme hypothèse de travail.

Gabbay & Woods (2003) développent une théorie du raisonnement pratique combinant théorie de la pertinence et raisonnement par défaut.

4. Clarification, raisonnement révisable, argumentation

Les modèles de raisonnement révisable s’appliquent dans des situations où l’information fait défaut. Ces situations sont bien distinctes de celles où l’information est suffisante, mais inégalement répartie entre les participants. Il s’agit alors de clarification, d’explication et d’élimination des malentendus, après quoi la conclusion est supposée s’imposer à tous.

Comme le modèle de Toulmin, la théorie du raisonnement révisable fonctionne sur des domaines de connaissance normalisés, où les données et les règles sont connues et admises de tous, en particulier les conditions de réfutation.

D’une façon générale, en situation d’argumentation, non seulement l’information importante peut faire défaut, mais les conditions de confirmation et de réfutation ne sont pas forcément bien définies et la question elle-même peut être négociable.

Tout cela est dû au fait que l’argumentation est non seulement un mode de raisonnement, mais une activité intersubjective de raisonnement. Les données comme les règles utilisées par chaque partie sont marquées par leurs propres intérêts, valeurs et émotions. Il s’ensuit qu’il est délicat d’éliminer totalement une position ; en excluant la position, on exclut de fait la personne.