Causalité 1 : Construction et exploitation de la corrélation causale

1. La corrélation causale et son expression

La notion de cause joue un rôle central pour l’argumentation quotidienne comme pour l’argumentation scientifique. L’idée de cause passe pour une notion primitive, intuitivement claire ; en pratique, cela signifie que le langage courant n’offre pour définir la cause que des notions d’une complexité au moins égale.
La relation causale lie des faits, des événements, des phénomènes, de sorte que si la cause est présente l’effet l’est nécessairement. La relation causale suppose une corrélation entre les faits, et il se peut que tout ce que nous appelons cause soit en fait l’expression d’une corrélation statistique.
La détermination de la cause d’un phénomène fournit l’explication, du phénomène ; elle rend compte de ce phénomène. Comprendre, c’est saisir la position d’un événement dans le réseau de ses causes et de ses effets ; connaissant leurs causes, on saisit le pourquoi, la raison des choses.

1.1 Expression de la corrélation causale

La causalité s’exprime à travers une grande variété de formes linguistiques.

Substantifs — Considérons le champ des synonymes de cause (DES, Cause ; Causer) :

1) La cause est principe, origine, base, fondementdéclencheur, départ, moteurressort, facteur. La cause est le premier moteur, qui déclenche une série d’effets.
2) L’individu agissant comme cause est agent, artisan, auteur, créateur, inspirateur, instigateur, promoteur
Ses buts, finalités, intentions, mobiles, motifs… valent comme des causes de ses actions. Si l’individu X avait l’intention et le pouvoir de faire quelque chose de mal M, si on constate que M, alors on conclut que c’est X qui l’a fait.
Les incitations sont des causes de second niveau. Si H1 incite, pousse H2 à faire F, alors il est agent de second niveau, et il peut être tenu pour responsable de F. H2 est considéré comme l’instrument de H1, et sa responsabilité est atténuée.

3) Métaphoriquement, la cause est pensée comme une étincelle, un ferment, un germe, une origine, une semence, une source. Leur cause est la mère des choses telles qu’elles sont.

Verbes — Des relations de type causal sont associées aux verbes correspondant aux substantifs précédents, ainsi qu’à des verbes très généraux comme les suivants.

Amener, apporter, attirer, créer, donner, donner lieu à, faire, former, procurer, soulever
— Une série est plus spécifique : être cause de, avoir pour effet, être à l’origine de, entraîner, créer, produire, provoquer, déterminer…
— La série allumer, engendrer, faire naître, déclencher, exciter, fomenter, inspirer, occasionner, motiver, susciter …est métaphorique, organique, et liée à des agents humains.

Relateurs — Comme la relation logique d’implication, la relation causale est notée par des relateurs :

Conséquence + Relateur + Cause : parce que, puisque :
Le fer s’est dilaté parce qu’on l’a chauffé

Cause + Relateur + Conséquence : donc ; quand ; si – alors :
Le pneu a explosé parce qu’on l’a chauffé.

Simple juxtaposition —Deux événements juxtaposés donnent parfois une impression de causalité, pour peu que leurs contenus s’y prêtent

On l’a retrouvé mort à son bureau. Il serrait dans sa main la lettre de son percepteur.

Toutes les fois qu’une séquence thématise un de ces termes ou une de ces constructions, elle peut développer une relation de la famille causale. Ce sont des indicateurs très généraux, des indices non nécessaires d’une relation causale, dans la mesure où ils peuvent également exprimer d’autres types de relations.

1.2 Relation causales pertinentes pour l’analyse de l’argumentation

D’un point de vue pratique, il serait difficile et pas forcément productif de chercher à identifier ou reconstruire toutes les relations causales explicitement ou implicitement à l’œuvre dans un texte. Les relations causales les plus pertinentes pour l’argumentation sont des relations de premier plan, exploitées de façon contradictoire dans les lignes argumentatives des protagonistes.
La mise en cause des causalités implicites est un instrument efficace pour réfuter le contre-discours.

2. Série temporelle, série causale, série logique

Dans le monde physique, la cause précède l’effet, mais l’effet peut rétroagir sur la cause, V. Causalité (II). Dans le monde logique, l’antécédent “précède” le conséquent, au sens où il figure à gauche du connecteur d’implication ‘’ et le conséquent à sa droite.

Série causale cause effet, conséquence
Série logique antécédent conséquent, conséquence
Série temporelle avant
antérieur
précédent
pendant
concomitant
après
postérieur, ultérieur
suivant,

La relation logique implicative lie un antécédent à un conséquent. Le terme conséquence s’emploie pour désigner l’effet (lié à la cause) ou le conséquent (lié à l’antécédent logique). Les démonstrations logico-mathématiques développent les conséquences de postulats ou d’hypothèses. Si on double la longueur du côté du carré, on multiplie sa surface par quatre : c’est une conséquence, liée à une “cause” qui est une raison mathématique.

Dans le cas suivant, on a affaire à une conséquence sémantique développant des contenus de langage, V. Conséquence §3 ; Inférence.

Tu parles de la naissance des dieux, tu affirmes donc qu’à une certaine époque, les dieux n’existaient pas.

3. Construire et exploiter une corrélation causale

La terminologie des argumentations mettant en jeu la cause est parfois délicate à manier. Nous distinguerons fondamentalement :
La construction argumentative du lien causal
L’exploitation argumentative d’un lien causal préconstruit (présupposé, implicite).

3.1 Argumentation établissant une relation causale, ou argumentation causale

Cette argumentation permet d’établir l’existence d’une relation de causalité entre deux faits et d’éliminer les “fausses causes”.
La méthodologie causale est au centre de la pensée aristotélicienne, V. Fallacieux 3.

3.2 Argumentation exploitant une relation causale

Cette argumentation présuppose l’existence d’une relation causale. On distingue :

  • L’argumentation par la cause, qui “descend” de la cause à l’effet. Elle s’appuie sur un fait-argument auquel est attribué un statut de cause, pour reconstruire ses effets, sur la base d’un principe causal reconnu.
  • L’argumentation par les conséquences ou les effets “remonte” de l’effet à la cause. Elle s’appuie sur un fait-argument auquel est attribué un statut d’effet, pour reconstruire sa cause.
  • L’argumentation pragmatique exploite une forme d’argumentation par les conséquences. Pour prendre une décision sur une question pratique, on propose une mesure, on la considère en tant que cause, et on s’appuie sur une évaluation positive ou négative de ses conséquences pour la recommander ou la rejeter.
  • Différentes formes d’argumentations par les mobiles et les motifs alignent la relation “mobile–acte” sur la relation “cause–effet”.

Les argumentations a priori et a posteriori, propter quid et quia, portent également sur les liens logiques et les liens causaux.